Marie-Laurence Jadot : " Toutes les matières peuvent être abordées à l'extérieur sur la base de thématiques comme les arbres, le vent, les insectes... " © DR

Dans ces écoles belges, on fait parfois la classe… dehors

Pierre Jassogne
Pierre Jassogne Journaliste Le Vif/L’Express

Faire classe dehors est une pratique peu commune en Belgique. Quelques écoles francophones ont toutefois osé franchir le pas en donnant cours aux élèves une à plusieurs journées à l’extérieur, en pleine nature. Encore une idée scandinave.

Chaque jeudi matin, Laurence Simons se lance à la découverte de la nature avec sa classe de maternelle dans un petit bois à proximité de l’école du Préa, à Amay, en province de Liège. Un camp est installé pour donner cours dans ce lieu qui était alors tout à fait abandonné.  » Le premier objectif a été de nettoyer le bois, de ramasser les déchets pour que les enfants puissent s’approprier l’endroit et se rapprocher de la nature, se souvient l’institutrice. Chaque journée passée dans le bois est un moyen de leur faire prendre conscience de ce rapport à la nature dès le plus jeune âge, de manière à en faire des citoyens responsables.  »

Depuis septembre 2017, l’école du Préa s’adonne à  » l’école du dehors « , un mouvement éducatif et pédagogique qui permet aux enfants de renouer avec la nature, en leur proposant des activités à l’extérieur. Le jeune peut ainsi se développer à tous les niveaux : sensoriel, émotionnel ou social…  » Au contact de la nature, il est tout à fait libre pour créer, observer, pour prendre des initiatives… Des enfants plus timides ont été métamorphosés grâce à ces sorties où l’enseignant devient avant tout un guide dans un lieu ouvert à l’aventure et aux découvertes « , résume Laurence Simons.

Diverses activités sont proposées, au gré des saisons ou des trouvailles du jour, pour apprendre les couleurs, les nombres, pour faire de la musique ou de la psychomotricité, sans qu’il y ait besoin de matériel. Les enfants trouvent toujours à s’occuper en explorant la nature à travers des jeux ou des ateliers qui leur permettent de courir, sauter, mais aussi réfléchir ou regarder ce qu’il y a autour d’eux.  » Feuilles, écorces, fleurs… La nature nous donne toutes les ressources nécessaires pour que les enfants se construisent à leur rythme, en développant leur habileté, leur curiosité « , ajoute l’enseignante.

Une plus grande motivation

A Saint-Vaast, près de La Louvière, Anne Dubray et Marie-Laurence Jadot emmènent, elles aussi, leurs élèves à l’extérieur pendant trois matinées par semaine qu’il neige, pleuve ou vente. L’initiative existe depuis six ans maintenant. C’est sur le terril voisin que se déroulent les journées en nature.  » Notre fil conducteur est simple : on suit les saisons, en veillant à orienter les apprentissages en fonction de la nature, de ce qu’on va pouvoir découvrir durant la journée pour répondre aux demandes des enfants. Toutes les matières peuvent être abordées à l’extérieur sur la base de thématiques comme les arbres, le vent, les insectes… Ce qui est motivant, c’est qu’on sort d’un cadre bien établi pour se plonger dans une sorte d’aventure permanente « , explique Marie-Laurence Jadot.

Dans les bois, la nature apaise, calme : il y a moins de bruit ou de conflits qu’en classe.

Dans les bois, la nature apaise, calme : il y a moins de bruit ou de conflits qu’en classe. Les enfants sont aussi moins malades que leurs congénères restés à l’école. Source de plaisir, ces sorties entraînent une plus grande motivation des élèves et des enseignants, une plus grande implication de chacun, y compris des parents, mais aussi plus de coopération, plus d’entente et de respect dans le groupe.  » C’est un projet fédérateur avec un groupe de parents très soudés qui accompagnent le développement de la classe « , témoigne l’institutrice. Quand les parents veulent inscrire leurs enfants, ils suivent d’ailleurs des réunions préalables afin d’adhérer pleinement au projet pédagogique.  » C’est la condition pour que cela fonctionne bien, pour que l’enfant ne soit pas en souffrance et qu’il apprécie d’être à l’extérieur « , précise Marie-Laurence Jadot.

Si ces projets restent encore marginaux en Wallonie et à Bruxelles, la pédagogie en extérieur commence néanmoins à être intégrée à la formation des enseignants. C’est le cas à la haute école Léonard de Vinci, à Woluwe-Saint-Lambert, où un module existe depuis six ans.  » Cette initiation à la pédagogie permet de faire prendre conscience aux futurs enseignants que pour comprendre quelque chose, il faut le vivre, souvent dans des situations authentiques. Notamment dans la nature, rappelle Hanan Benkadour, maître-assistante en didactique d’éveil. Sortir de la classe, c’est prendre un risque, et si nous ne le faisons pas avec les futurs enseignants lors de leur formation, ils n’oseront jamais le faire avec les enfants.  »

Meilleurs résultats scolaires

L’apport de l’école du dehors est multiple, selon la pédagogue.  » C’est pluridisciplinaire, y compris pour des matières scientifiques, plus abstraites pour les plus petits. On exploite, on s’approprie le lieu, l’enfant entre dans une démarche de chercheur, en s’interrogeant sur ce qu’il découvre dans le lieu où se déroulent les activités en extérieur, l’enseignant est là pour l’aider à structurer son questionnement. L’enfant devient aussi acteur, en étant responsabilisé sur la protection du lieu. Mais quand on dit dehors, il ne s’agit pas d’aller très loin : l’environnement immédiat de l’école suffit, y compris en ville.  »

Au Danemark, en Suède ou en Suisse, ce type de projet fait partie intégrante de l’éducation depuis des décennies et diverses études ont démontré l’intérêt de cette pédagogie pour les enfants : motivation, renforcement du langage, meilleurs résultats scolaires…  » Dans de nombreux cas, des élèves qui n’arrivaient pas à se concentrer en classe, y parviennent une fois dehors « , relève encore Hanan Benkadour.

Il y a vingt ans, la Suisse a développé, par exemple, des jardins d’enfants dans la nature, notamment par l’intermédiaire de la pédagogue Sarah Wauquiez, auteure de l’essai Les Enfants des bois (Books on Demand, 2008), véritable bible en la matière.  » Depuis, de nombreux pays ont franchi le pas et cela ne cesse d’augmenter. Généralement, cela vient d’un enseignant motivé qui essaie ce type d’initiative dans son école, explique-t-elle. C’est surtout une réponse aux problèmes que rencontre l’école, en favorisant l’expérience directe, en contrant l’enfermement qui conduit à une série de problèmes chez l’enfant.  »

Selon la pédagogue suisse, un environnement en dehors de la classe permet d’augmenter la motivation des élèves, de diminuer les problèmes physiques et psychologiques comme les troubles de l’attention, l’obésité ou le manque de sommeil…  » Toute la difficulté pour l’enseignant sera de maintenir un rythme régulier pour instaurer des rituels, des habitudes avec les enfants. Au début, il peut y avoir des appréhensions. Les premières sorties peuvent être plus difficiles parce que les enfants ne sont pas forcément encore tous bien équipés, mais avec la régularité, cela va de mieux en mieux. Peu importe le temps… « 

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