© ILLUSTRATION NADIA DIZ GRANA

A crise exceptionnelle, fraude considérable

Aides corona détournées, travail au noir, blanchiment… La crise sanitaire aura bien profité aux fraudeurs, petits et grands. Impossible d’évaluer le dommage, même si on le devine important. L’aide aux employeurs et aux travailleurs a été gérée dans l’urgence. Inévitablement, vu l’ampleur de la crise. Mais la force majeure est-elle une excuse acceptable?

Never waste a good crisis! Cette devise des fraudeurs, qu’on peut traduire par « ne jamais gâcher une bonne crise! », a rarement été autant d’actualité. On retrouve la formule dans l’avant-propos du dernier rapport de la CTIF (cellule antiblanchiment), cosigné par son président et avocat général Philippe de Koster et par le procureur fédéral Frédéric Van Leeuw qui expliquent: « La pandémie et la crise sanitaire prouvent que les fraudeurs et les criminels font montre d’une grande adaptabilité aux changements de circonstances économiques ou à l’émergence de situations extrêmes. » Pour la CTIF, qui a lancé des alertes importantes dès avril 2020, il y a un risque de criminalisation de certaines entreprises dans les secteurs les plus touchés ( lire l’encadré page XX).

En cas de crise, les mesures de soutien cru0026#xE9;ent toujours de nouvelles possibilitu0026#xE9;s de fraude. A fortiori pour la Covid.

Révélateur de ce que les escrocs sont prêts à faire pour piller les caisses Covid, un mégadossier de fraude sort du lot au niveau judiciaire. Il a été transmis au parquet fédéral car il concerne plusieurs arrondissements. Une vingtaine de suspects ont été arrêtés mi-décembre dernier. Les trois principaux sont toujours en détention préventive. Ils sont accusés d’avoir détourné deux millions d’euros d’allocations de chômage corona, entre mars et août 2020, via une trentaine de sociétés dormantes et des travailleurs fictifs dont l’identité a été volée à des mineurs d’âge ou des pensionnés. Les allocations étaient versées sur des comptes de mules financières.

Le parquet fédéral a fait de ce dossier une priorité, dans l’espoir qu’un procès se tienne avant la fin de l’année. « L’enquête se déroule avec une extrême célérité, affirme son porte-parole Eric Van Duyse, et ce grâce à la collaboration de la police judiciaire, de l’Onem et de l’ONSS. Car si ces escrocs présumés ont tiré profit de la bienveillance de l’autorité publique, il faut que le dossier ait une valeur exemplative. » Des saisies sur comptes et dans des coffres ont aussi été réalisées. Mais il n’est pas certain qu’une grosse partie du préjudice puisse être récupérée.

En dehors de ce cas exceptionnel, les auditorats du travail ne semblent pas inondés de pro justitia rédigés par les inspecteurs sociaux. « On a quelques dossiers de fraudes au chômage temporaire et au droit passerelle mais, à mon avis, peu par rapport à la réalité des infractions, sans doute en raison d’un nombre insuffisant de contrôles, vu la situation sanitaire et sachant que ce ne sont pas des fraudes faciles à détecter », témoigne ainsi l’auditeur du travail de Liège Christian Gaber ( lire page XXX). Des abus, il doit y en avoir eu beaucoup, chez nous comme ailleurs, notamment de la part de ces sociétés zombies qui sont, en Belgique, entre 36 000 et 40 000, selon le bureau Graydon, et dont une partie a dû pomper indûment des aides Covid. Une société zombie est une entreprise dont l’absence de rentabilité ne permet plus, depuis au moins trois ans, de payer les charges de la dette qu’elle a contractée.

Les experts de la lutte contre la fraude sociale sont unanimes: les mesures de soutien en cas de crise créent inévitablement de nouvelles possibilités de fraude. Cela s’est vu en 2008. A fortiori pour la Covid où les aides se seront révélées exceptionnelles. En outre, « la mission des services d’inspection sociale a été adaptée lors la crise sanitaire et l’accent a surtout été mis sur leur rôle de prévention et de soutien davantage que sur celui de répression », notent deux chercheurs de la KULeuven dans une étude consacrée à l’impact de la Covid sur le travail au noir ( lire page XXX). Et d’ajouter: « Selon les indicateurs, la fraude pourrait s’avérer très élevée, mais on ne connaîtra sans doute jamais l’ampleur des abus pendant la pandémie. » Un scénario somme toute typique des crises. Inévitable?

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