A bonne école

Olivier Rogeau
Olivier Rogeau Journaliste au Vif

Les inscriptions seront soumises à un tirage au sort dans plusieurs dizaines d’écoles secondaires à Bruxelles et en Wallonie. Pourquoi ces établissements sont-ils si recherchés ? Leur réputation d’excellence est-elle justifiée ?

Dominique n’a jamais été aussi surbookée. Divorcée, mère de trois enfants, elle s’est lancée, sans prendre congé, dans une tournée éprouvante des écoles secondaires pour y inscrire son aîné.  » L’horreur ! En deux semaines, j’ai fait la file dans sept établissements cotés de l’est de la capitale. Le plus souvent, les formalités ont été réglées en un quart d’heure, mais quelques écoles, tout aussi submergées et moins bien organisées, vous font attendre beaucoup plus longtemps.  » La jeune femme n’a pas de mots assez durs pour dire tout le mal qu’elle pense du décret mixité du ministre Christian Dupont (PS), qui veut en finir avec les écoles ghettos, où se concentrent des publics d’une même origine socio-économique :  » Dans les files, les parents étaient mécontents : le nouveau système est confus et stressant. Il donne des sueurs froides aux familles qui devront attendre des mois avant de savoir s’il y a de la place dans leur école préférée. « 

Pour ouvrir les portes des établissements prisés aux élèves qui n’y avaient pas accès, la ministre Marie Arena (PS) avait imaginé, l’an dernier, la logique du  » premier arrivé, premier servi « . Les effets médiatiques des longues files de parents campant nuit et jour sous la pluie devant certaines écoles, surtout à Bruxelles et en Brabant wallon, avaient été calamiteux. Arena remplacée par Dupont, le sprint est devenu, cette année, une épreuve de fond. Une fois les prioritaires (frères et s£urs des élèves…) inscrits, les « parents non prioritaires » ont été appelés à se présenter au cours de la quinzaine écoulée. Résultat pervers : le boom des inscriptions multiples. Pour augmenter leurs chances d’obtenir une place dans une école qui les agrée, les parents ont assiégé parfois jusqu’à une dizaine d’établissements différents, gonflant artificiellement les inscriptions. Un tirage au sort est prévu pendant la première quinzaine de décembre pour départager les élèves, si le nombre de places est inférieur à la demande.

Le bouche-à-oreille détermine le choix

Pourquoi ces écoles qui croulent sous les inscriptions sont-elles si recherchées ?  » En Belgique, nous ne disposons pas d’études sur les critères de choix des parents, indique le sociologue Bernard Delvaux (UCL). Il n’y a pas non plus de données comparatives sur les écoles. Au Royaume-Uni, en revanche, on peut consulter, sur le Net, les résultats moyens des établissements aux tests scolaires et les rapports de l’inspection scolaire.  » Chez nous, pour se faire une idée du  » profil  » d’une école, les parents doivent se contenter de consulter son projet pédagogique et son éventuel site Internet.

Toutefois, l’élément déterminant dans le choix d’une école repose sur sa réputation, forgée par le bouche-à-oreille, assurent de nombreux parents et professeurs.  » J’ai eu le feed-back par ma baby-sitter : elle m’a communiqué l’avis de plusieurs familles chez qui elle garde des enfants, raconte Caroline, une mère occupée à faire la file dans un lycée communal de Bruxelles-Ville. Même si c’est subjectif, je me suis fait une idée du public qui fréquente l’établissement. J’ai aussi tenu compte des options qu’on y propose : latin, grec, maths fortes…  » Une autre mère, interrogée à la sortie d’un athénée d’Etterbeek où les inscriptions ont largement dépassé la capacité d’accueil, confie :  » Moi, je vise l’école qui, d’après ce qu’on me dit, prépare le mieux les enfants aux études supérieures. Je tiens compte également de la proximité de l’établissement. « 

 » On parle surtout à ceux qui nous ressemblent « 

Bernard Delvaux commente :  » L’image de l’école repose, d’une part, sur des données objectives : situation géographique, facilité d’accès en transports en commun, existence d’une étude dirigée, d’une cafétéria… A ces atouts matériels s’ajoutent des appréciations, impalpables, sur le niveau de l’école, du corps enseignant. En général, les parents ont tendance à surévaluer la qualité des professeurs d’une école élitiste.  » Le sociologue pointe aussi les limites du bouche-à-oreille :  » Nos réseaux sociaux sont déterminants. Ils engendrent une dualisation sociale. Car on parle aux gens qui nous ressemblent, qu’on connaît. « 

Si, dans le Brabant wallon, le manque de places expliquerait l’afflux d’élèves dans certains établissements, à Bruxelles, c’est la forte ségrégation résidentielle qui crée des déséquilibres. A ce clivage entre un nord-ouest de l’agglomération défavorisé et un sud-est plus cossu s’ajoute l’afflux, dans certaines écoles de la capitale, d’une population aisée venue de la périphérie située en territoire flamand. Un enfant sur six fréquentant l’enseignement obligatoire à Bruxelles habite hors des limites de la Région, indique l’UCL. Près de 85 % de ces élèves proviennent du Brabant flamand. Ce public de francophones de Flandre accentue le profil élitiste de certaines écoles et participe au décalage entre les établissements qui refusent du monde et les autres.

Ainsi, le succès du collège Saint-Pierre, à Jette, assailli depuis deux semaines par des centaines de parents, tient, en partie, au fait qu’il attire beaucoup d’élèves résidant en Flandre.  » En questionnant les familles venues inscrire leurs enfants ces jours-ci, je me rends compte que nous sommes presque toujours, pour eux, un premier choix, se félicite Thierry Vanderijst, directeur de l’école. Si nous avons bonne presse, c’est peut-être parce que le quartier est agréable, le taux d’absentéisme de nos professeurs, peu élevé et les valeurs de solidarité et de démocratie inculquées aux élèves sont solides. Il n’y a pas de graffitis sur nos murs, mais nous ne sommes pas pour autant une tour d’ivoire. Je préfère, dans le cas du collège Saint-Pierre, parler d’excellence plutôt que d’élitisme. « 

Le niveau social moyen des enfants dans l’enseignement libre serait légèrement supérieur à celui des écoliers de l’enseignement officiel.  » Mais les deux réseaux ont leurs établissements réputés « , note Bernard Delvaux. La concurrence est également forte dans l’enseignement technique et professionnel. Là, comme ailleurs, pour attirer des familles, la discipline est mise en avant.  » Le critère de fermeté permet de faire la différence, d’autant que le discours sur la nécessité d’une autorité forte est à la mode. D’autres écoles, qui voient leur population se modifier socialement, utilisent l’immersion linguistique comme produit d’appel pour sauver leur réputation. « 

Le choix d’une école élitiste a aussi ses revers. Certaines d’entre elles, reconnaissent des parents d’élèves, chercheraient autant à  » exclure  » qu’à bien former.  » Il suffit d’observer la structure pyramidale de l’établissement, explique le sociologue. S’il compte dix classes en 1re secondaire et quatre seulement en 6e, c’est que l’écrémage fait partie de la politique de la maison. Les plus lents, les plus faibles et les moins conformes à la norme sont laissés sur le carreau. « 

Olivier Rogeau

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