» A 20 ans, je n’avais pas d’épaisseur humaine « 

Ecrivain à succès devenu cinéaste, le réalisateur d’Avant l’hiver a écrit son film pour Daniel Auteuil, qui s’y montre admirable. Rencontre avec un analyste de la maturité.

Les premiers froids de l’automne ont enrhumé un Philipe Claudel qui nous reçoit l’écharpe au cou, et des mouchoirs à portée de main. Le romancier à succès (1) devenu cinéaste signe avec Avant l’hiver un troisième film qui est aussi son plus profond à ce jour. Un drame à la Claude Sautet, sur un homme touchant la soixantaine sans avoir vu sa vie passer, et dont l’apparition d’une mystérieuse jeune femme va bouleverser un quotidien jusque-là des plus prévisibles. Et dans ce personnage écrit pour lui par l’auteur et réalisateur, Daniel Auteuil signe une de ses plus grandes prestations…

Le Vif/L’Express : Auteuil est fabuleux dans votre film !

Philippe Claudel : Daniel, c’est quelqu’un qui est là. Il n’a pas besoin de faire autre chose. Tout ce métier qu’il a, tout son travail sur la levée des inhibitions mais aussi tout le travail technique (c’est un gros bosseur !) se fond dans cette extraordinaire présence qui est la sienne. Ce n’est pas un acteur qui veut être bluffant, brillant, virtuose. Il est une espèce d’évidence. Il est là. Au tournage, c’était très frappant. Car il est quelqu’un d’assez déconneur (et de dépressif, comme tous les déconneurs…) qui aime bien faire des vannes. Il sortait encore des conneries 15 secondes avant que je dise  » Moteur !  » et puis  » Action ! « , mais à l’instant où on tournait, il était le personnage. Avec cette densité, ce vertige intérieur. C’est stupéfiant !

Comment est né Avant l’hiver ?

D’une question de con, qu’on peut tous se poser :  » Est-ce que la vie que je mène est celle dont j’avais rêvé ?  » Quand on s’interroge ainsi à 25 ou 30 ans, ça n’a rien de tragique, car on a encore du temps pour en explorer d’autres, de vies. Par contre, avant l’hiver de la vie, à cet âge où on arrive au bout de quelque chose, cette question peut être extrêmement angoissante. Surtout pour quelqu’un qui ne se l’est jamais, mais alors jamais posée. Tellement sa vie est allée vite, tellement il est dans l’évidence sociale, l’évidence de couple, l’évidence amicale… J’avais envie d’exposer comme un cliché de réussite sociale, puis aller gratter. De montrer un personnage qui tout à coup s’arrête et découvre qu’il est nu…

A quel moment avez-vous pensé à Auteuil pour le rôle principal ?

Tout de suite. J’ai écrit pour lui, dès le départ. Je lui ai d’abord fait lire le synopsis… qui lui a fait peur. Il m’a lâché  » Philippe, c’est magnifique, mais je ne le ferai pas. Ça me perturbe trop.  » Moi, ça m’a… perturbé, beaucoup. Car je n’avais plus d’acteur. J’ai tout de même écrit le scénario. Et il se trouve qu’un an après, son agent le lui a fait quand même lire. Et puis, là, il m’a appelé au téléphone pour me dire  » J’adore le scénario. Je le fais !  »

Le choix étant si évident, avez-vous dû parler du personnage, ensemble ?

Non. Mais nous avons beaucoup parlé de Claude Sautet, dont Daniel affirme qu’il a tout appris de lui (sur Un coeur en hiver), et avec le cinéma duquel j’ai grandi. Un immense cinéaste si longtemps sous-estimé. La critique de son époque lui crachait à la gueule. Il a fallu qu’il soit mort pour qu’on en dise du bien…

Auteuil et Richard Berry sont amis et collègues dans le film… tout comme dans la pièce (2) dont ils partagent l’affiche en ce moment à Paris…

Daniel et Richard s’étaient déjà croisés auparavant, mais ils devaient être arrivés au bon âge pour faire naître une amitié… qu’ils ont eu envie de prolonger en jouant une pièce ensemble.

Vous retrouvez dans Avant l’hiver Kristin Scott Thomas, qui jouait dans votre premier long-métrage Il y a longtemps que je t’aime.

J’avais envie de retravailler avec elle, même si nous nous étions beaucoup battus moralement, engueulés, sur ce premier film. Et on s’est encore plus battu cette fois-ci (rire) ! D’accord, seul le résultat importe. Mais c’est de plus en plus difficile de travailler avec elle. Je crois que c’est la dernière fois…

Le montage du film, c’est encore une forme d’écriture ?

Oui. Je coupe des choses, je cherche le rythme, surtout. Mais pour le reste, le film est le plus fort. Il sait où il veut aller. C’est une matière organique. C’est comme un vin qu’on élève en cuve. On lui apporte notre savoir-faire, mais le raisin est là. La météo lui a donné certaines qualités, le sol aussi. On ne pourra pas changer ça. On peut juste essayer de faire au mieux. Le film a sa propre énergie, sa propre existence. Il nous emmène où il veut !

Un film vous emmène…

La vie nourrit la création ? La maturité permet d’aborder des sujets qu’on n’aurait pas pu traiter avant ? Ce que j’écrivais à 20 ans, romans ou scénarios, c’était de la merde. Et pourquoi ? Parce que je n’avais rien à dire, en fait ! Je n’avais aucune épaisseur humaine, à l’intérieur… Mon premier roman, je l’ai publié à 37 ans parce que là, j’avais commencé à devenir moi-même, j’avais accumulé un peu de matériau humain. Et mon premier film, je l’ai réalisé à 45 ans, parce qu’avant, je ne me sentais pas prêt.

Y a-t-il des gens proches qui sont les premiers spectateurs de vos films, et à qui vous demandez leur avis avant de conclure ?

Il y a ma femme, qui travaille beaucoup avec moi. Elle n’assiste pas au montage mais je lui en montre le premier résultat, en lui demandant son sentiment. Et puis il y avait mon meilleur ami et aussi éditeur Jean-Marc Roberts, qui est mort en mars. C’était un grand cinéphile, quelqu’un en qui j’avais totalement confiance. J’aimais bien leur montrer, à tous les deux. Parce que c’est délicat, de montrer. Il faut à la fois que la personne soit honnête, et savoir qu’elle ne détient pas la vérité…

Quel sera votre prochain film ?

J’aime bien procéder par action-réaction. Après un film avec un casting aussi important que celui-ci, j’avais envie de retrouver quelque chose de presque anonyme, et un fonctionnement léger. Donc j’ai écrit un film que je vais faire avec une toute petite équipe technique, et avec un enfant dans le rôle principal. Un garçon de 13-14 ans. Pour évoquer cette zone particulière qui mène de l’enfance à l’adolescence. Une histoire où la dureté sociale sera compensée par un traitement poétique, lumineux. Cela s’appellera sans doute (Une) enfance, avec le Une entre parenthèses.

C’est important, de trouver le titre avant d’écrire, de filmer ?

Je n’arrive pas à bosser sur un projet si je n’ai pas de titre. Impossible ! J’ai l’impression que quand j’ai trouvé le titre, l’essentiel est presque fait.

Y a-t-il une dimension artisanale dans ce que vous faites ?

Oui, et elle est cruciale. Je ne fais ce que je fais que pour apprendre. Apprendre sur les autres comme sur moi. Apprendre des autres, aussi. Chaque chose faite permet de mieux faire par la suite. Je suis très critique par rapport à ce que je fais, je suis rarement satisfait. Quand est-ce que j’arriverai vraiment à faire une belle armoire ? On ne fait pas son chef-d’oeuvre de Compagnon en un tour de main…

(1) Claudel a reçu le Prix Renaudot 2003 pour Les Ames grises et le Goncourt des lycéens 2007 pour Le Rapport de Brodeck. Au cinéma, il a réalisé Il y a longtemps que je t’aime, avec Kristin Scott Thomas, en 2008 et Tous les soleils en 2011.

(2)Nos femmes, actuellement au Théâtre de Paris.

Entretien : Louis Danvers

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