5. Alain Deneef » Envoyer un signal d’apaisement à la Flandre « 

Bruxellois et businessman à la carrière fulgurante, Alain Deneef est l’un des principaux organisateurs des Etats généraux de Bruxelles, en 2008 (1). Il défend l’idée de régionaliser l’enseignement pour rassurer les Flamands.

Le Vif/L’Express : La cogestion de Bruxelles par les Communautés, est-ce vraiment un scénario invraisemblable pour les francophones ?

> Alain Deneef : Pour les francophones bruxellois, ce n’est pas acceptable, car cela poserait des problèmes inextricables de sous-nationalités avec toutes les conséquences néfastes qu’on sait. Dans ce cas de figure, il est clair qu’on verrait émerger une force politique autonome bruxelloise, composée majoritairement de francophones qui ne prendraient plus leurs ordres auprès des partis classiques. Les Wallons, eux, se disent opposés à la cogestion. Pourtant, si on essaie de deviner leurs arrière-pensées, cela pourrait les arranger, car, dans les négociations, ils devraient alors lâcher moins de lest sur des questions fondamentales comme la sécurité sociale. En fait, Bruxelles est déjà cogérée, pour les matières communautaires ou dans le cadre de l’accord de coopération entre Bruxelles et le fédéral (Beliris). Donc, un peu moins ou un peu plus, cela ne changerait pas grand-chose pour les Wallons…

Une cogestion signifie-t-elle forcément une  » flamandisation  » de Bruxelles ? Qu’est-ce qui empêcherait les francophones de garder leur identité ?

> Il s’agit moins de préserver le caractère francophone de Bruxelles que de sauvegarder un mécanisme institutionnel efficient. Le fédéralisme personnel n’a jamais fonctionné. On a tenté le coup dans l’Empire austro-hongrois. Ce fut un échec. Leur seul fédéralisme qui ait réussi est territorial. En l’occurrence, pour la Belgique, régional.

Ne faudrait-il penser Bruxelles davantage en tant que ville plutôt que Région ?

> Il est vrai que, de par son caractère urbain, Bruxelles n’est pas une Région comme les autres. La Région bruxelloise peut donc se concevoir différemment. Je ne vois pas d’inconvénient à ce que Wallons et Flamands aient un droit de regard sur les Bruxellois, notamment en matière de financement complémentaire, pour autant que le rôle de capitale multiple de Bruxelles soit accepté par les deux Régions. Mais, en dehors de ce rôle-là, rien ne justifie que les Bruxellois se laissent dicter ce qu’ils doivent faire par le reste du pays.

N’y a-t-il pas un peu de paranoïa de la part des francophones, comme l’affirment des éditorialistes flamands ?

> Il y a certainement de l’exagération de la part de certains francophones. Cela dit, il faut admettre que la communautarisation prônée par les Flamands ne rendrait pas compte de l’extrême pluralité de Bruxelles en tant que Région et, surtout, en tant que ville : 28 % des habitants de la capitale sont étrangers et 24 % ne sont pas des Belges de souche depuis deux ou trois générations. Impossible de rendre compte de cette mosaïque multiculturelle et cosmopolite via un système qui ne met en avant que deux Communautés. Savez-vous qu’à Bruxelles la communauté marocaine est plus importante que la communauté flamande ? Si on rentre dans la logique des communautés…

Qu’est-ce qui explique la rage communautariste des Flamands ?

> La stratégie du fruit mûr, qui consiste à attirer les Bruxellois dans les filets d’institutions flamandes plus généreuses. Mais aussi, et peut-être surtout, la volonté de neutraliser Bruxelles. Depuis trois ans, les francophones ont fait deux erreurs. D’abord en refusant de négocier. Ils récoltent aujourd’hui ce qu’ils ont semé. Ensuite, en voulant toujours marier Bruxelles avec la Wallonie. Ils n’ont cessé de marteler l’idée qu’il fallait affermir l’alliance entre les deux. Comment voulez-vous que les Flamands ne craignent pas de devoir jouer à un contre deux ? Ce sont les Wallons qui contrôlent la Communauté française, puisqu’ils représentent trois francophones sur quatre. Donc, via les matières communautaires, ils gèrent beaucoup plus de choses que les Flamands à Bruxelles, vu que 90 % des habitants de la capitale sont francophones. La seule manière de désamorcer la crainte flamande est de découpler la Wallonie et Bruxelles : si on régionalisait l’enseignement, la principale compétence communautaire, on enverrait un signal clair d’apaisement à la Flandre.

Mais les Flamands ne voudront jamais régionaliser cette matière, puisqu’ils prônent la communautarisation…

> Et pourquoi ne pas le faire de manière asymétrique ? Je pense qu’une série de compétences de la Communauté française peuvent être transférées aux Régions bruxelloise et wallonne, sans obliger les Flamands à faire de même, en leur permettant de conserver la Vlaamse Gemeenschap telle quelle.

(1) Dès le 3 octobre prochain, les Etats généraux se verront prolongés par l’Université citoyenne de Bruxelles, sur les campus de l’ULB et de la VUB. Celle-ci réunira notamment des représentants des milieux de l’immigration populaire pour réfléchir à la création d’un festival des jeunesses bruxelloises.

ENTRETIEN : TH.D.

Les flamands craignent de devoir jouer à un contre deux

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