48 heures chrono

Le réalisateur des Barons Nabil Ben Yadir tourne actuellement Dode Hoek entre Anvers et Charleroi. Un film noir et politiqueinterrogeant sa Belgique. Visite du plateau.

La hantise d’un des personnages des Barons était de se retrouver  » chez les Flamands « . Après un détour par la France pour La Marche, qui revenait sur l’action de militants antiracistes dans les années 1980, c’est pourtant à… Anvers que l’on retrouve le jeune et talentueux Nabil Ben Yadir, lequel y tourne une bonne partie de son troisième long-métrage, Dode Hoek. Nous voici sur le port de plaisance, à un jet de pierre du MAS (Museum aan de Stroom), le beau musée ouvert en 2011 et autour duquel la rénovation de vieux bâtiments industriels ne cesse de progresser. Plus discrète que celle, sublimement Art déco, de l’entreprise Leon Van Parys, la façade de l’immeuble où nous attend l’équipe s’ouvre sur une rue couverte, chaulée de blanc. Tout en haut, les décorateurs ont recréé l’espace d’une salle publique, où se prépare un meeting d’un parti populiste. Le vieux leader prend place à la tribune. Il a la toison blanche et le port sévère de Jan Decleir, grand acteur naguère qualifié par certains de  » Depardieu flamand  » et qui fit les belles heures du cinéma de Hugo Claus, quand il n’incarnait pas Daens, le curé militant de la classe ouvrière, dans le film à succès de Stijn Coninx. Tout le monde ici parle la langue de Vondel, que Ben Yadir ne maîtrise pas parfaitement. Mais l’homme aux baskets grises et à la casquette noire n’en domine pas moins son plateau. Le Molenbeekois sait ce qu’il veut, mais reste à l’écoute de chacun. On sent chez lui comme chez tous, acteurs et collaborateurs, une détermination tranquille à faire aboutir un film vraiment pas comme les autres…

L’angle mort

Dode Hoek signifie en néerlandais l’angle mort, la zone inaccessible au regard d’un conducteur parce que non couverte par ses rétroviseurs. Sous ce titre métaphorique prend forme un mix de polar et de film politique, où il est question de flirt entre police et parti sécuritaire. Un long métrage  » 100 % belge  » puisque tourné aussi dans la région de Charleroi et produit par la société bruxelloise Wrong Men (Parasol, Préjudice).  » Ce film, j’en avais envie depuis l’époque des Barons, s’enthousiasme Nabil Ben Yadir lors d’une pause entre deux plans. Un film de genre, mais qui ne serait pas gratuit, avec une véritable histoire à raconter : le parcours d’un mec en apparence parfait qui va se lancer en politique pour tout changer mais que son passé va revenir hanter, démontrant qu’il n’est pas l’homme providentiel qu’on voulait voir en lui. Je voulais montrer ce qu’il y a dans l’angle mort, ce qu’on ne voit pas. Et rappeler qu’au bout du compte, tout finit toujours par se payer.  »

C’est le longiligne Peter Van den Begin (Waste Land, D’Ardennen) qui joue Jan, le flic incorruptible saisi d’ambitions électorales. L’acteur anversois n’ignore pas que l’aspect politique de Dode Hoek, l’évocation d’un populisme sécuritaire, devrait susciter la controverse au moment de sa sortie en janvier 2017.  » D’autant que le réalisateur et scénariste est un Bruxellois d’origine marocaine, que les Flamands ne connaissent pas encore vraiment… « , sourit celui qui constate heureusement que  » jusqu’ici, nous avons réussi à voler sous les radars !  » L’autre policier du film est joué par Soufiane Chilah (Black). Il est jeune, il a fait de Jan son  » père spirituel « , et de la police  » sa maison « . Son prénom arabe est Driss, mais il veut qu’on le prononce  » Dries « , à la flamande…  » C’est un jeune homme en quête d’identité, qui s’est cherché un modèle, et croit l’avoir trouvé jusqu’à ce qu’en 48 heures (NDLR : le temps de l’action du film), les choses basculent « , explique Chilah.  » Il veut être un Jan, ajoute Nabil Ben Yadir, il veut être plus flamand qu’un Flamand, plus commissaire de police qu’un commissaire de police. Ce personnage va créer une polémique parce que, d’une certaine manière, il est dans la surintégration ! Il a tellement investi là-dedans que quand ça s’écroule, il n’a plus rien devant lui, sinon le pire…  » Le réalisateur de Dode Hoek élargit sa pensée en évoquant  » ces gamins en manque de modèle, en recherche identitaire et dont on fait des monstres en leur offrant une perspective, évidemment fausse, de trouver leur place, la reconnaissance…  »

Retour à Molenbeek

Bien sûr, la nouvelle des attentats de Bruxelles est parvenue sur le plateau et a causé la stupeur, un effarement que l’exigence de poursuivre le travail a obligé à surmonter très vite, trop vite sans doute. Tout en causant des complications pour des séquences encore à tourner, au Parlement et à Charleroi, où le concours du Posa (NDLR : peloton protection, observation, soutien et arrestation) de la police locale est requise… A Nabil Ben Yadir, les massacres de l’aéroport et du métro ont inspiré une résolution plus grande encore de mener à bien son film, lui le fils d’immigrés, lui le gars de Molenbeek qui avait donné à sa commune le visage des Barons avant que les terroristes la projettent aux yeux du monde comme un bastion du radicalisme islamiste, voire un minicalifat djihadiste comme le laissait supposer le New York Times du jour de notre visite au tournage…

 » On s’était battus, avec Les Barons, pour passer de la page faits divers à la page culture. Je faisais en sorte de donner mes interviews là-bas… Mais je vais revenir à Molenbeek ! Je vais y revenir vite, avec le cinéma. Mais, cette fois, je vais faire un film sur les mères, sur les  » baronnes « . La solution politique, et les gens ne l’ont malheureusement pas compris, ce sont les mères. Pas les pères. La solution ne viendra jamais des pères, culturellement surtout. Mais bien des mères, auxquelles il faut accorder plus d’écoute, et aussi de moyens…  » Nabil Ben Yadir avoue  » avoir un peu peur des films qui sont trop sur l’actualité, ce qui était un peu le cas de La Marche par exemple « . Mais force est pour lui de penser que Dode Hoek  » sera encore d’actualité dans plusieurs années, car ce à quoi il nous confronte ne disparaîtra pas de sitôt.  »

PAR LOUIS DANVERS

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