2007-2012 Sarko contre Sarko

L’été aura confirmé les deux priorités du président candidat français : sécurité et économie. Dans le premier cas, il applique les recettes de 2007 : risqué ! Dans le second, il doit faire le contraire : difficile !

Corinne Lhaïk et Éric Mandonnet

Alain Juppé l’a trouvé fidèle à lui-même. C’est-à-dire très agaçant. Reçu le 22 juillet, le maire de Bordeaux a été frappé par l’autosatisfaction de Nicolas Sarkozy. A l’entendre égrener le nom de tous les dirigeants étrangers, un seul s’en sortirait de manière satisfaisante : lui, bien évidemment ! Le chef de l’Etat apparaît volontiers sûr de son fait devant ses interlocuteurs. Convaincu d’avoir adopté la bonne stratégie, qui repose, il l’a répété à la fin de ses vacances, sur deux piliers : la sécurité et l’économie. Avec le premier, le candidat pense à son parti ; avec le second, le président songe au pays. Certes, l’un n’oublie jamais les intérêts de l’autre, mais, dans les deux cas, Sarkozy joue contre Sarkozy.

L’été sécuritaire relevait de l’état d’urgence. Le président a dégainé son habituelle panoplie. Elle avait attiré les électeurs du FN lors de la dernière présidentielle. En trois ans, elle a montré ses limites et risque aujourd’hui de provoquer le mouvement inverse en faveur de l’extrême droite. Lui est persuadé du contraire. Déjà, alors qu’il venait d’annoncer sa candidature à l’Elysée, en décembre 2006, il confiait :  » Plus on m’attaque sur ce sujet, mieux c’est. Pas un Français ne pense que la gauche est meilleure sur la sécurité. Ils se disent que si Sarkozy a du mal, qu’est-ce que ce serait pour les autres ! Et je vais mettre un second piège dans la campagne : l’immigration. « 

Il a donc choisi de caresser de nouveau les électeurs dans le sens du poil en ciblant les Roms et en annonçant l’élargissement des conditions de déchéance de la nationalité française. Deux messages hautement symboliques. Car la construction du candidat de 2012 passe forcément par le souvenir de 2007. Comment celui qui promettait alors, dans son tract de campagne, de promouvoir  » l’autorité et le respect  » comme  » valeurs fondamentales de notre société  » pouvait-il, trois ans plus tard, accepter qu’une gendarmerie soit démantelée par des gens du voyage ? Si l’accusation de lepénisation lui est toujours apparue comme une vue de l’esprit de la classe politico-médiatique, Nicolas Sarkozy ne veut surtout pas être pris à contre-pied par l’opinion. Et surtout pas par les électeurs de son camp.

Après les régionales de mars, le président a dû en effet éviter que la majorité lui fasse porter le chapeau de la défaite, comme elle l’avait fait porter à Jacques Chirac après la dissolution ratée de 1997 et le référendum de 2005.  » Grosso modo, son électorat a tenu, observe un proche. Aux yeux de la droite, il apparaît comme le patron et elle le soutient. « 

En retrait depuis le choc des mots à Grenoble, le 30 juillet, Nicolas Sarkozy a mis en scène sa réapparition, le 20 août à Brégançon, où il a passé ses vacances, autour de l’autre thème majeur, l’économie. Là encore, Sarkozy joue contre Sarkozy : mais cette fois, parce qu’il est contraint de mener une politique et de préparer une campagne aux antipodes de celle de 2007. Le candidat affiche alors son volontarisme : réhabiliter et récompenser le travail, augmenter le pouvoir d’achat, donner à la France le point de croissance qui lui manque, etc. Les déficits ? C’est son moindre souci, à peine quelques lignes dans le projet. Le président de l’UMP n’écoute pas les Cassandre de son parti, ces élus soucieux de rigueur budgétaire, qui lui recommandent de mettre de l’ordre dans les finances publiques avant de baisser les impôts. Non, il promet une réduction des prélèvements obligatoires de 68 milliards d’euros en dix ans. Et encore, il aura fallu l’intervention du sénateur Alain Lambert pour que le futur chef de l’Etat accepte d’allonger le délai initial, prévu à cinq ans.

Avec celui qui deviendra son conseiller spécial, Henri Guaino, il partage cette conviction : c’est la croissance qui suscite la réduction des déficits et non cette dernière qui favorise la croissance. L’expérience politique du candidat renforce son pressentiment économique. Nicolas Sarkozy a été très marqué par l’échec d’Edouard Balladur à la présidentielle de 1995 : face à un Jacques Chirac qui portait en étendard la lutte contre la fracture sociale, le Premier ministre de l’époque menait une campagne obsessionnelle en faveur de la réduction des déficits.

A peine élu, Nicolas Sarkozy transforme son credo en loi, celle du 21 août 2007 sur le travail, l’emploi et le pouvoir d’achat (Tepa). Un texte qui prévoit une série de baisses d’impôts ciblées, estimées à 13 milliards d’euros, une sorte d’avance sur la réduction annoncée de 68 milliards. A partir de septembre 2008, l’aggravation de la crise va contraindre le chef de l’Etat à rejoindre le camp des coupeurs de déficits. Après une période d’indulgence, les marchés financiers s’inquiètent de l’explosion des dettes publiques. Ignorer leur pression serait suicidaire : la France mettrait en danger son excellente notation (triple A), qui lui permet d’emprunter aux meilleurs taux. Pour l’Elysée, cet enjeu devient cardinal. Le candidat de 2012 pourrait-il assumer d’avoir perdu une si précieuse note dans la bataille ? Inimaginable ! Peut-il se présenter au suffrage des Français avec des déficits publics qui ne seraient pas proches de la limite des 3 % du produit intérieur brut, un seuil que l’exécutif promet d’atteindre en 2013 ? On a souvent prédit à Nicolas Sarkozy sa chiraquisation, le voilà guetté par la balladurisation, converti par nécessité à la religion de la rigueur budgétaire.

Ce combat, qui n’est pas franchement son genre, l’obligera-t-il à augmenter les impôts ? Le chef de l’Etat a d’abord dû renoncer à les réduire. Puis à ne pas les augmenter. Il doit finalement se résoudre à leur hausse, même si elle est ciblée (c’est la chasse aux niches) et non générale : pas d’augmentation de TVA, de la contribution sociale généralisée (CSG) ou de la contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS), qui frapperait l’ensemble des Français. En tout cas, pour le moment.

Puisqu’il ne peut plus faire du quantitatif, il va se lancer dans le qualitatif, réformer les impôts à défaut de les baisser.  » Il faut provoquer ce débat pour reprendre la main politiquement avant la campagne « , préconise un ministre, qui met notamment au menu l’éventuel rapprochement entre l’impôt sur le revenu et la CSG, ou encore la disparition concomitante de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) et du bouclier fiscal.

En 2012, contrairement à François Mitterrand en 1988 et à Jacques Chirac en 2002, l’un et l’autre candidats à leur propre succession après une cohabitation, Nicolas Sarkozy sera comptable de tout. Dans son mandat, il n’existera aucune parenthèse qui empêche de relier les promesses du premier jour aux résultats du dernier.

Au moment d’aborder la période qui conduira à la campagne, il remaniera fortement son équipe.  » Depuis 2007, il m’a toujours dit qu’il prévoyait de terminer son quinquennat avec un autre casting « , raconte un ministre. Ce sera le rendez-vous des prochaines semaines, le moyen, également, de se fixer sur l’échiquier politique.

Nicolas Sarkozy n’a jamais cru qu’une présidentielle se gagnait au centre. Cette intuition, il l’avait déjà confiée en 2002. C’était deux jours avant le premier tour qui allait propulser Jean-Marie Le Pen devant Lionel Jospin.  » De toutes les manières, analyse un membre du gouvernement, peut-on faire « la France unie », comme Mitterrand en 1988, après le discours de Grenoble ? « 

corinne lhaïk et éric mandonnet

le voilà converti à la religion de la rigueur budgétaire

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