2. La Liberté attirant le monde

La statue de la Liberté symbolise le long xixe siècle, de la fin de la guerre d’Indépendance à la Première Guerre mondiale, qui voit les Etats-Unis accueillir les laissés-pour-compte de l’Europe et s’affirmer comme puissance.

Le surgeon chétif mais prometteur du Nouveau Monde s’étale aux dimensions du continent et croît en puissance. Constitués en nation souveraine aux dépens des Anglais, les Etats-Unis se dilatent aux dépens des Français (Louisiane) et des Espagnols (Californie, Floride, Nouveau-Mexique). Une grande nation naît dans une épopée qui, comme sous tous les cieux, mêle le sublime et le sordide, puis connaît sa crise de croissance sous la forme d’une effroyable guerre civile. Les Etats-Unis puisent la force de surmonter ces épreuves dans le génie de leurs institutions, l’activité débridée de leurs citoyens, l’inépuisable richesse d’un pays immense… et le réservoir d’hommes que lui est l’Europe, laquelle lui envoie par vagues successives ses pauvres, ses persécutés, ses laissés-pour-compte et ses aventuriers.

Une Europe fascinée, mi-admirative, mi-dédaigneuse, dont seuls quelques grands esprits, au premier rang desquels Alexis de Tocqueville, l’auteur du célèbre De la démocratie en Amérique, comprennent que ce que l’Amérique fait aujourd’hui sera son avenir demain. Mais une Europe qui fascine tout autant l’Amérique, qui y cherche ce qui lui manque encore : une histoire et du raffinement.

L’Amérique aux Américains

 » Aux Européens, le Vieux Continent, aux Américains, le Nouveau Monde « . C’est par ces mots que, le 2 décembre 1823, le président James Monroe résume devant le Congrès des Etats-Unis la  » doctrine  » qui va définir pour près d’un siècle la diplomatie américaine. Après l’indépendance, voici venu le temps de l’émancipation, mieux, de l’affirmation de la puissance.

Une décennie auparavant, les Etats-Unis sont sortis victorieux d’un nouveau conflit avec la Grande-Bretagne (1812-1814), que l’opinion survoltée a considéré comme une  » seconde guerre d’Indépendance « . Le continent sud-américain est agité par des révolutions qui aboutissent à la liquidation de l’empire espagnol, et les Etats successeurs sont menacés par des velléités de restauration impériale de la Sainte-Alliance (Russie, Autriche, Espagne, Grande-Bretagne, France).

Washington, qui se pose en champion de la cause de la liberté des peuples, n’entend pas que les Européens mettent leur nez dans les affaires américaines, toute intervention de leur part dans les Etats indépendants du Sud étant désormais considérée  » comme la manifestation d’une position inamicale à l’égard des Etats-Unis « . En contrepartie, il s’abstiendra d’intervenir dans les querelles européennes.

Isolationnisme par rapport à l’Europe, colonisation de tout l’espace nord-américain, interventionnisme dans l’ensemble des Amériques : ce sont là les principales incarnations d’une  » destinée manifeste  » ( » Manifest Destiny « ) de la jeune République, qui trouve dans ses racines puritaines les ferments de son messianisme démocratique.

Les vagues d’immigration européennes

Au xixe siècle, la population européenne, sous les effets combinés de la révolution industrielle, de la vaccination antivariolique et des progrès de l’hygiène, explose : de 120 millions d’habitants en 1770, soit moins de 17 % de la population mondiale, à 190 millions en 1800, ou 20 %, à 400 millions, soit près du quart, à la fin du siècle. Or l’Europe n’a pas les moyens d’absorber cette forte croissance, dont elle exporte les surplus : quelque 70 millions d’Européens s’en vont durant cette période chercher sous d’autres cieux ce qu’ils ne trouvent pas chez eux, en Amérique latine, en Australie, au Canada, et, surtout, aux Etats-Unis, l’eldorado de l’immense majorité des émigrants européens.

La plupart sont irlandais, dès avant la grande famine des années 1840, et, surtout, après. Ils comptent à ce moment-là pour près de la moitié des immigrants. Ils sont suivis par les Anglais, les Ecossais, les Allemands et les Scandinaves, puis les Italiens, les Polonais et les juifs, ces derniers mis massivement en mouvement par les grands pogroms de 1881 dans la Zone de Résidence où l’Empire russe les parquait.

Jusqu’à la fin du xixe siècle, l’entrée des immigrants sur le territoire des Etats-Unis est anarchique et pratiquement sans entraves, après quoi le gouvernement entreprend d’en canaliser le flux en construisant un port à leur intention à l’entrée de New York, au sud de Manhattan. Entre sa fondation en 1892 et sa fermeture en 1954, plus de 12 millions de personnes ont franchi Ellis Island, cette antichambre de leur terre promise.

Depuis le 28 octobre 1886, les immigrés sont accueillis par un symbole puissant : la statue de la Liberté. Trois ans auparavant, Emma Lazarus a écrit son célèbre poème, Le Nouveau Colosse, dont un fragment serait bientôt gravé dans le bronze sur le piédestal de la statue :

 » Donnez-moi vos pauvres, vos exténués

Qui en rangs serrés aspirent à vivre libres,

Le rebut de tes rivages surpeuplés,

Envoie-les moi, les déshérités, que la tempête m’apporte.

De ma lumière, j’éclaire la porte d’or ! « 

A ces foules européennes en quête d’une vie meilleure, aux pauvres et aux exténués du Vieux Continent, l’Amérique ouvre une  » porte d’or  » sur une triple promesse : un pays immense, la prospérité et la liberté. Foule bigarrée, diverse, hétéroclite, qui se précipite sans esprit de retour dans le creuset où se constitue une nation nouvelle à l’énergie débordante. C’est ainsi que se mettent en place une idéologie et la réalité qu’elle reflète : le melting-pot américain.

Mirages américains, mirages européens

Conquête de l’Ouest. Guerre de Sécession. Guerres indiennes. Esclavage. Emancipation. L’Amérique bouillonne. Et elle fait rêver. Elle élargit les horizons des Européens qui se passionnent pour elle. On pleure à la lecture de La Case de l’oncle Tom, de Harriet Beecher-Stowe, le best-seller absolu du siècle. On plonge dans l’histoire de l’affrontement franco-anglais en Amérique dans Le Dernier des Mohicans, de James Fenimore Cooper. On s’enflamme pour les aventures au Far West de l’Apache Winnetou, le héros de Karl May. Et, en 1909, Sigmund Freud débarque en Amérique pour y apporter, dit-il, la  » peste  » de la psychanalyse.

En retour, les élites américaines continuent de s’abreuver au lait de leurs cultures d’origine. James Monroe lui-même ne proclame-t-il pas, dans son fameux discours où il expose sa  » doctrine « , l’attachement des Américains à leurs racines européennes ? Le voyage en Europe reste pour ces élites un pèlerinage obligé. Les élégantes s’habillent à la mode de Paris ou de Londres. Dans les saloons du Far West, au son des pianos mécaniques et entre deux  » square dances « , le french cancan émoustille toujours cow-boys et chercheurs d’or. Et un écrivain comme Henry James, qui ne cesse de voyager sur le Vieux Continent et passe par le plus européen des écrivains américains, finit par fermer la boucle en se faisant citoyen britannique.

Au royaume des idées, des arts, de la mode et de la science, la vieille Europe donne toujours le ton. Pour l’instant.

 » L’Amérique, c’est aussi notre Histoire !  » Trois siècles de relations entre l’Europe et les Etats-Unis, exposition, Tour & Taxis, à partir de ce 15 octobre 2010.

La semaine prochaine

3.  » La Fayette, nous voilà ! « 

ELIE BARNAVI

Aux Européens l’Amérique promet l’immensité, la prospérité et la liberté

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire