1963-1966, la bataille du Vicaire

En décembre 1963, Le Vicaire, la pièce de Rolf Hochhuth, est monté à Paris, dans une traduction de Jorge Semprun, adaptation de Peter Brook. Des dizaines de protestataires hurlent: « Caricature! Interdiction! Vive Pie XII, vive Hitler et vive le roi! » Sifflets, tracts et prise d’assaut de la scène par des manifestants qui s’en prennent aux comédiens, Michel Piccoli et Antoine Bourseiller. Les interventions musclées se succèdent au fil des représentations. Le Belge Robert Delville, aujourd’hui président du conseil d’administration du Théâtre national, décide, avec l’Union des anciens étudiants de l’ULB, d’inviter la production à Bruxelles. Elle se jouera deux fois, à bureaux fermés, provoquant de nombreux remous. Pour entrer, il faut montrer patte blanche: sa carte d’étudiant ULB.

Alors que la pièce est interdite à Rome, elle poursuit sa carrière chahutée à Londres, Bonn, Bâle, Stockholm (montée par Ingmar Bergman). En Belgique, Le théâtre des Galeries prend le relais et annonce la programmation (mais en spectacle libre, c’est-à-dire, au choix, dans ou hors abonnement) de la pièce à scandale pour sa saison 1965-1966. D’emblée, le directeur de la BRT, la radiotélévision flamande, interdit une émission sur la pièce, qui « porte atteinte à l’honneur d’une personne, est une injure à Pie XII et est purement négative ».

Le cardinal Suenens tient à « dénoncer publiquement Le Vicaire comme une atteinte grave à la mémoire respectée du pape Pie XII. Pour ceux qui, sans préjugés, consultent l’Histoire, il apparaît clairement que le personnage décrit par l’écrivain est totalement différent de la personnalité du pape, telle qu’elle ressort des témoignages de personnes compétentes et, en premier lieu, du pape Paul VI, qui fut son plus proche collaborateur ».

La première du Vicaire, en 1966, est relatée dans tous les journaux, y compris à la Une du Figaro et dans Le Monde, qui précise que le théâtre des Galeries a engagé six judokas pour l’occasion! Manifestations, pugilat, jets de boules puantes dans la salle, vociférations et quolibets aux comédiens, empoignades avant, après et pendant le spectacle, plusieurs fois interrompu, intervention musclée de la police… Et, quelques jours plus tard, évacuation de la salle pour cause d’alerte à la bombe! Des tracts invitent à refuser « cette ignominie », d’autres affichent « Malheur à celui par qui le scandale arrive! »; « Attaquer le pape, c’est attaquer l’Eglise; Le devoir d’un catholique est de réagir »… A Anvers, la pièce est interdite: les lettres de protestation et de menaces ont afflué à l’Hôtel de ville.

La Libre Belgique, elle, s’indigne de ce « pamphlet médiocre et tendancieux ». Pour le quotidien catholique, il s’agit d’un « méchant procès fait à Pie XII », d’un « ennuyeux pensum qui n’a aucune valeur ni historique, ni théâtrale » et d’un « Grand-Guignol pour potaches de la Saint-Verhaegen ». Et d’argumenter: « Pourquoi Pie XII aurait-il dû protester solennellement? Pourquoi, alors, le pape n’aurait-il pas condamné le bombardement de Dresde par les Alliés? Et pourquoi ne pas accuser le pape d’être responsable de Nagasaki, sous prétexte qu’il n’aurait pas protesté après Hiroshima? »

Elisabeth Mertens

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