0900 point cons

Vive la transparence des technologies modernes ! Dis-moi tes coordonnées, je te dirai qui tu es. L’adresse Internet, d’abord, indispensable signe de modernité, sauf éventuellement pour les maisons de repos. Les marques vraiment branchées (ou qui supposent que leurs clients le sont) omettront le triple W, supposé connu et qui, en outre, sous nos latitudes, fleure un peu trop le scepticisme. Le point (dites dot) suivi du suffixe  » be  » (Belgique, pour ceux qui l’ignoreraient) traduira l’ancrage local : utile pour une grosse multinationale qui veut faire croire qu’elle n’est pas une grosse multinationale et qu’elle sait, au contraire, s’ancrer près de chez vous. Au contraire, le suffixe  » com  » sera censé traduire l’universalité et, surtout, la rentabilité : indispensable pour une entreprise belge de portée belge qui veut faire croire que ses appétits d’expansion ne s’arrêtent pas à nos frontières. Enfin, le point  » org « , honni soit qui mal y pense, signifiera le désintéressement : à proscrire dans la relation commerciale, sauf pour l’appel aux dons (voir plus loin).

Mais le bon vieux téléphone offre plus de gradations encore. Un préfixe zonal trahit un caractère zonal : à éviter, sauf pour la publicité locale, diffusée en boucle la nuit sur la RTBF entre JT soir et la météo, des marchands de matelas, de salons plein Skaï ou de cuisines équipées désireux de véhiculer un message subliminal du genre  » chez nous les prix sont tellement réduits que nous ne perdons pas notre temps en frais de communication « . Y préférer toutefois les 078, numéros dits  » à tarif national  » (fédéral ?) : même coût et plus universels.

Les numéros verts (0800) évoquent la générosité. Générosité de celui qu’on appelle et qui ne fait même pas payer la communication, mais aussi générosité de celui qui appelle pour faire un don. Comme son équivalent postal, le port payé par le destinataire, le 0800 sert cependant à attirer des engagements dont on ne se libérera que par lettre recommandée ou exploit d’huissier.

Restent évidemment les numéros payants, mais qui tentent de le faire oublier. Si le 077, un temps prisé pour les salons de massage par téléphone, semble aujourd’hui abandonné depuis qu’il a valu des poursuites aux dirigeants de belga.com, les 0900 ont le vent en poupe. Dix-huit francs la minute, précisera-t-on parfois (mais mieux vaut donner le montant en euro, les gens sont incapables de faire la conversion), dont neuf pour l’offreur et autant pour l’opérateur dit historique, étant entendu qu’il ne faut pas espérer en avoir fini en moins de cinq minutes.

Certes, l’économie de marché rend pareil système légitime pour un véritable service à valeur ajoutée, type météo de votre région ou fellation en ligne : pour Josyane, tapez 1 ; voor Mieke, druk op 2 ; pour Marcel, tapez 3 ; pour Kevin, tapez 4 et préparez votre numéro de carte de crédit. Mais qu’en penser quand il s’agit, comme par exemple pour des salles de cinéma donnant l’heure de leurs séances, de ne communiquer rien d’autre que la teneur de l’offre : qui d’autre réussirait à faire payer le chaland rien que pour voir la vitrine ?

On hésite toutefois pour savoir où réside le comble du cynisme. Un 0900 pour le débat dominical, comme sur RTL : si vous trouvez que le fisc vous pompe trop d’argent, formez le suffixe 1 ; si vous trouvez seulement qu’il est trop glouton, formez le 2? Sans doute le plaisir de la démocratie directe est-il sans prix. Pour offrir des cadeaux, comme à la RTBF ? Pour gagner une visite des ascenseurs de Strépy-Thieu en compagnie de Michel Daerden, appelez immédiatement le 0900.99999? Il est vrai qu’il est des faveurs qui se méritent. Ou pour les nouvelles des classes de neige, comme dans certaines écoles tentant par tous les moyens de contribuer au refinancement de la Communauté française ? Pour savoir si la troisième C du collège Saint-Christophe est bien arrivée au tunnel du Gothard, tapez 1.

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