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Le companion gaming débarque

Le Vif

Tablettes et smartphones sont en train de remodeler le secteur du traditionnel jeu vidéo. De quoi bousculer l’omnipotence de Nintendo, Sony et Microsoft ?

Par Michi-Hiro Tamaï, à Los Angeles

La guerre des consoles next-gen ne crépitait pas que dans les allées du dernier E3 à Los Angeles. Alors que Microsoft, Sony et Nintendo y vantaient les mérites de leurs consoles de salon à coups de millions de dollars au coeur du tentaculaire centre de convention, l’Ouya a piraté l’événement. Cette nouvelle console de salon open source née du financement participatif (crowdfunding) de 63 416 internautes a en effet adressé un fameux pied-de-nez à l’Entertainment Software Association (ESA), organisatrice de l’événement, en plantant un stand géant sur un parking voisin du showfloor. Un appel (vain) à la police n’aura pas suffi. L’ESA a fini par installer un semi-remorque géant occultant l’espace dédié à la machine de jeux ne visant aucune exclusivité de son catalogue ludique. L’anecdote a valeur d’instantané pour l’industrie. Car les écosystèmes logiciels fermés de Microsoft, Sony et Nintendo se fissurent. Jusqu’ici, aimer Gears of Wars et Uncharted demandait en effet de passer à deux reprises au tiroir-caisse pour acquérir une Xbox 360 et une PlayStation 3. Ces grosses productions ne se pratiquent en effet qu’exclusivement (et respectivement) sur ces consoles de salon.

Cet état de fait n’émeut guère les joueurs habitués à la guerre des consoles. Mais à l’échelle des divertissements numériques, cette fragmentation ubuesque revient à devoir acheter un lecteur de HD DVD et un autre de Blu-ray pour regarder des films de studios « soutenus » par chacun de ces formats. Non sens. L’utilisation croissante du Web comme canal de financement, de développement et de distribution de jeu vidéo décloisonne toutefois ces prés carrés depuis plusieurs mois.

Enfin vers un format unique ?

Et de mémoire de joueur, on n’aura jamais vu autant de solutions alternatives à Microsoft, Nintendo et Sony se dessiner dans les salons. En effet, l’Ouya essaye de porter le succès phénoménal des jeux vidéo mobiles sur les téléviseurs dans un environnement ouvert où les développeurs ne paient plus de droit d’entrée pour y publier leurs créations. En face, la Steam Box de Valve lui emboite le pas en tentant d’amener le jeu vidéo PC dans les salons.
D’autres phénomènes comme le cloud gaming essayent aussi de tendre vers un standard unique. Idée maîtresse : déporter tous les calculs nécessaires au fonctionnement d’un jeu vidéo sur un serveur afin d’interagir avec son jeu en streaming, comme lors du visionnage d’une vidéo YouTube. Onlive, une des deux sociétés phares des jeux à la demande sur le nuage, a quasiment disparu de la circulation cette année. Gaikai, le second gros acteur a, lui, été racheté par… Sony Computer Entertainment qui utilisera ses services pour diffuser des jeux rétro et des démos sur PlayStation 4.

Constructeur historique de cartes graphiques depuis quinze ans, nVIDIA est tenté par l’expérience de la console de jeu. Ancien monopole de Nintendo, le secteur du jeu vidéo nomade voit ainsi débarquer la Shield. Ce terminal Android ressemblant à une manette de jeu surmontée d’un écran rétractable entend promouvoir la puissance du Tegra 4, nouveau processeur mobile à tout faire de nVIDIA. « Le but était simplement de créer le terminal Android le plus performant, ludiquement parlant. On est réaliste, il serait suicidaire de vouloir se frotter à Nintendo et Sony, tempère Boran Skaljak, ingénieur en charge de l’optimisation des jeux Android sous Tegra 4. Nous n’avons jamais voulu en faire une console. C’est un grand malentendu. La seule chose qui soit spécifique à la Shield est la possibilité de streamer son contenu vers la télé et inversement depuis des PC. » Un discours officiel permettant d’éviter une confrontation directe face à la 3DS et à la Vita…

Débordant de jeux gratuits ou tarifés à une poignée d’euros, le jeu vidéo sous Android/iOS grappille pourtant les clients potentiels de Nintendo et Sony. Les bureaux d’études IDC et App Annie prévoient ainsi que la base installée de terminaux tactiles utilisés à des fins ludiques augmentera de 10 %. d’ici à 2014 alors que les parts de marché des consoles portables des deux géants traditionnels chuteront de 11 %. Si la qualité des jeux sur Vita et 3DS ne mettra probablement pas en péril Nintendo et Sony, le mobile montre les dents et remodèle le secteur traditionnel du jeu vidéo.

Invasions barbares

Selon une étude de comScore/MobiLens publiée au début de cette année, le nombre de joueurs quotidiens sur tablettes et téléphones des cinq grands pays européens a augmenté de 34% entre 2011 et 2012, pour atteindre 18 millions d’adeptes. Pour détourner l’attention des joueurs d’Angry Birds, Fruit Ninja et Doodle Jump (les trois apps les plus vendues sur iPhone toutes catégories confondues !), les éditeurs de console misent désormais sur le companion gaming. Derrière ce terme barbare se cache l’idée de prolonger l’expérience ludique sur console de salon sur terminal tactile. Après avoir joué un match de hockey sur NHL13, le joueur peut ainsi dealer les transferts de son équipe sur tablette lorsqu’il est en déplacement et voir ces changements instantanément appliqués lorsqu’il revient chez lui. Lancée par Ubisoft il y a deux ans, la démarche s’est bien installée chez des éditeurs comme Activision et Warner Bros qui proposent des prolongements mobiles de Call of Duty ou Injustice: Gods Among Us.

« Mais avec les consoles next gen, on bascule aujourd’hui vers un nouvelle forme de companion gaming, constate Marc Bellavance, d’Ubisoft Québec. D’une extension d’une console de jeu vidéo sur un appareil mobile, on passe à une expérience permettant également d’interagir avec d’autres joueurs, sur une console de salon, via une tablette ou un smartphone. »

Présenté en avant-première à l’E3 et attendu sur Xbox One/PlayStation 4, Tom Clancy’s The Division propose ainsi au joueur mobile de piloter un drone sur son terminal tactile. Ce dernier sert de renfort offensif aux équipes de terrain (jouées sur console) et leur déniche également des munitions. « C’est un travail de longue haleine car il faut penser à ces fonctionnalités en amont du développement. Le faire après est trop artificiel. Techniquement, il faut en outre adapter l’univers 3D très complexe des jeux next gen sur des configurations moins puissantes, poursuit Marc Bellavance. Lors de cet E3, on s’attendait à ce que la plupart des gros éditeurs arrivent avec des solutions similaires sur next gen mais à ma connaissance, personne ne l’a fait. » Une belle avance qui confirme également une faiblesse : développer une grosse production sur next gen coûtera à l’avenir de plus en plus cher.

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