Patrouilles militaires dans les rues d'Harare, Zimbabwe, le 15 novembre 2017 © Reuters

Zimbabwe: l’armée intervient contre les « criminels » proches de Mugabe

Le Vif

L’armée a pris position mercredi dans les rues de la capitale du Zimbabwe Harare lors d’une opération destinée, selon elle, à éliminer des « criminels » de l’entourage du président Robert Mugabe, qui règne d’une main de fer sur le pays depuis 1980.

Des véhicules blindés barraient dans la matinée les accès au Parlement, au siège du parti au pouvoir, la Zanu-PF, et aux bureaux dans lesquels le chef de l’Etat réunit généralement ses ministres, a constaté un journaliste de l’AFP.

Quelques heures plus tôt, un officier supérieur a annoncé à la télévision nationale que l’armée était intervenue contre des « criminels » de l’entourage de M. Mugabe, mais démenti toute tentative de coup d’Etat.

L’entrée en scène de l’armée intervient en pleine crise ouverte entre M. Mugabe et le chef de l’armée après le limogeage la semaine dernière du vice-président Emmerson Mnangagwa, longtemps présenté comme son dauphin. « Il ne s’agit pas d’une tentative de renverser le gouvernement », a assuré dans la nuit le général Sibusiso Moyo. « Nous ne faisons que viser les criminels qui entourent » le chef de l’Etat, a-t-il poursuivi en lisant une déclaration, « dès que notre mission sera accomplie, nous nous attendons à ce que la situation retourne à la normale ». « Nous assurons à la Nation que son Excellence le président (…) et sa famille sont sains et saufs et que leur sécurité est garantie », a-t-il également ajouté.

Des échanges de tirs nourris ont été entendus dans la nuit de mardi à mercredi près de la résidence privée de Robert Mugabe dans la capitale Harare, a rapporté sous couvert d’anonymat à l’AFP un témoin, résident dans le quartier de Borrowdale. « Peu après 02H00 du matin (00H00 GMT), nous avons entendu environ 30 à 40 coups de feu tirés pendant trois à quatre minutes en provenance de sa maison », a-t-il affirmé.

Aucune information confirmée n’a été donnée mercredi matin sur la situation du chef de l’Etat.

Dans un communiqué publié tard mardi soir, l’ambassade des Etats-Unis au Zimbabwe avait recommandé à ses ressortissants de rester chez eux « à l’abri » en raison des « incertitudes politiques ».

Trahison

Après plusieurs jours de très vives tensions, l’opération de l’armée, jusque-là considérée comme un pilier du régime, constitue un défi à l’autorité de Robert Mugabe, à 93 ans le plus vieux dirigeant en exercice de la planète.

Lundi, le chef d’état-major, le général Constantino Chiwenga a publiquement dénoncé lundi la décision du chef de l’Etat de limoger le vice-président Mnangagwa.

L’armée pourrait « intervenir » si cette « purge » ne cessait pas au sein du parti présidentiel, avait-il mis en garde.

Le parti du président a accusé en retour mardi le militaire de « conduite relevant de la trahison » et dénoncé sa volonté de « perturber la paix nationale » et « d’encourager au soulèvement ».

L’irruption de l’armée sur la scène politique zimbabwéenne, a fortioti contre M. Mugabe, est inédite.

Le général Chiwenga et M. Mnangagwa, qui entretient des liens étroits avec l’appareil sécuritaire du pays, ont tous deux été des figures majeures de la lutte pour l’indépendance du Zimbabwe, au côté de l’actuel chef de l’Etat. « Le silence du gouvernement après les déploiements militaires tend à confirmer que le président Mugabe a perdu le contrôle de la situation », a estimé Robert Besseling, analyste à la firme britannique EXX Africa risk consultancy.

L’ancien vice-président Mnangagwa, 75 ans, a été démis de ses fonctions et a fui le pays, après un bras de fer avec la Première dame, Grace Mugabe, 52 ans.

Il a accusé la deuxième épouse du président d’avoir tenté de l’empoisonner pour l’éliminer, suscitant une vive réaction de l’intéressée qui a obtenu son éviction, comme elle s’était déjà débarrassée il y a trois ans de la vice-présidente Joyce Mujuru.

Figure controversée connue pour ses accès de colère, Mme Mugabe, qui dirige la puissante Ligue des femmes de la Zanu-PF, compte de nombreux opposants au sein du parti au pouvoir et du gouvernement.

Avec le limogeage de M. Mnangagwa, Grace Mugabe s’est retrouvée en position idéale pour succéder à son époux.

A la tête depuis 37 ans d’un régime autoritaire et répressif, Mugabe a été investi par la Zanu-PF pour la présidentielle de 2018, malgré son grand âge et sa santé fragile.

Sous son régime, le Zimbabwe s’est considérablement appauvri et traverse une grave crise économique et financière, marquée par un chômage de masse et le retour d’une forte inflation.

Les dates-clé depuis l’arrivée au pouvoir de Mugabe

Depuis son indépendance en 1980, le Zimbabwe n’a connu qu’un seul dirigeant, Robert Mugabe. Rappel des principales étapes de son règne de plus de trente-sept ans, l’un des plus longs sur le continent africain.

– De la Rhodésie au Zimbabwe –

Le 18 avril 1980, la Rhodésie devient indépendante sous le nom de Zimbabwe, après quatre-vingt-dix ans de colonisation britannique. Dès 1965, Ian Smith, Premier ministre, avait déclaré unilatéralement l’indépendance, non reconnue par Londres, afin de sauvegarder les privilèges de la minorité blanche.

Le pays bascule dans une guerre (au moins 27.000 morts de 1972 à 1979) qui oppose les autorités de Salisbury (aujourd’hui Harare) aux nationalistes noirs.

Après la signature des accords de Lancaster House, Robert Mugabe, chef de l’Union nationale africaine du Zimbabwe (Zanu), remporte les élections, devient Premier ministre. Son partenaire de lutte, Joshua Nkomo, chef de l’Union populaire africaine du Zimbabwe (Zapu), est ministre de l’Intérieur.

En février 1982, M. Nkomo, accusé de complot, est limogé. M. Mugabe envoie dans le Matabeleland (sud-ouest), le fief de son adversaire, sa 5e brigade, chargée de réprimer les partisans de celui qui est désormais considéré comme un rebelle. L’opération fait 20.000 morts.

En décembre 1987, Robert Mugabe devient chef de l’Etat, après une modification de la Constitution instituant un régime présidentiel. Deux ans plus tard, les deux mouvements rivaux fusionnent sous le nom de Zanu-Front patriotique, voué à devenir parti unique. En 1991, la Zanu-PF renonce au marxisme-léninisme et adopte l’économie de marché.

– Violente réforme agraire –

Le 28 février 2000 débute le mouvement d’occupation par les ex-combattants de la guerre d’indépendance des fermes appartenant à la minorité blanche. Officiellement, il s’agit de corriger les inégalités héritées du passé colonial.

En fait, le mouvement intervient après le rejet par les Zimbabwéens d’un projet de Constitution qui devait renforcer les pouvoirs du chef de l’Etat et permettre l’expropriation de fermiers blancs sans indemnisation, dans le cadre de la réforme agraire.

Plus de 4.000 des 4.500 agriculteurs blancs du Zimbabwe sont dépouillés de leurs fermes, avec le soutien du régime.

– Mugabe s’accroche –

En mars 2002, Robert Mugabe est réélu lors d’un scrutin dénoncé comme irrégulier par les observateurs et après une campagne marquée par de multiples violences.

En mars 2008, le parti d’opposition du Mouvement pour le changement démocratique (MDC) gagne le contrôle du Parlement. Son chef Morgan Tsvangirai devance le président sortant au premier tour de la présidentielle, mais renonce en raison du déferlement de violences qui vise ses partisans dans l’entre-deux-tours. Seul en lice, Robert Mugabe est réélu en juin.

Il est largement réélu (61%) en juillet 2013, et son parti remporte une majorité des deux tiers à l’Assemblée. Son rival Tsvangirai dénonce des fraudes.

L’Union européenne (UE) commence toutefois à normaliser ses relations avec le Zimbabwe, levant la plupart des sanctions imposées depuis 2002, sauf pour Robert Mugabe et son épouse.

– Purge –

Le 6 décembre 2014, le chef de l’Etat, reconduit à la tête du parti au pouvoir, intronise son épouse Grace à la présidence de sa puissante Ligue féminine.

Puis il se livre à une vaste purge en limogeant notamment sa vice-présidente, Joice Mujuru, remplacée par un très proche, le ministre de la Justice Emmerson Mnangagwa.

Le 14 avril 2016, le MDC rassemble plus de 2.000 manifestants à Harare lors de la plus importante marche jamais organisée depuis une décennie contre Mugabe.

Le 24 septembre 2017, le pasteur Evan Mawarire, un des leaders de la contestation, est arrêté après avoir diffusé une vidéo dénonçant les pénuries de carburant. Il est acquitté pour incitation à l’émeute, mais reste accusé de tentative de renversement du gouvernement.

Le 6 novembre, le vice-président Emmerson Mnangagwa, longtemps pressenti comme dauphin du président, est démis de ses fonctions. Il fuit le pays.

Le 13 novembre, le chef de l’armée dénonce l’éviction du vice-président et prévient que l’armée pourra « intervenir » si la « purge » ne cesse pas au sein du parti présidentiel.

Dans la nuit du 14 au 15 novembre, des officiers annoncent être intervenus pour éliminer des « criminels » dans l’entourage du chef de l’Etat mais démentent toute tentative de coup d’Etat contre M. Mugabe, prétendûment « sain et sauf » avec sa famille.

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