Zemmourisation des esprits

Le courant néo-réactionnaire ultra-conservateur aurait-il gagné la bataille dans les médias et dans l’intelligentsia ? C’est la thèse de plus en plus répandue dans le camp adverse.

Le politiquement correct aurait changé de camp : les déclinistes, les islamophobes, les anti-européens et les souverainistes auraient gagné la guerre idéologique. Les nouveaux rebelles sont les anciens gardiens de l’orthodoxie. Les penseurs de droite sont majoritaires et la gauche a perdu la bataille des idées. Les nombreux héritiers de Marx, Bourdieu, Deleuze et Foucault qui trustent la plupart des émissions radio et télé seraient sur la défensive.

Est-on bel et bien devant un phénomène de « zemmourisation » des esprits ? Dans la version actualisée de son Rappel à l’ordre : Enquête sur les nouveaux réactionnaires, Daniel Lindenberg l’affirme : « Ils sont partout ! ». Mais le problème est qu’il a du mal à en trouver plus de dix. Et le moins qu’on puisse dire est qu’ils forment une composante très hétérogène.

On peut difficilement comparer Eric Zemmour, tombé jeune dans la marmite et Alain Finkielkraut, encore il y une petite décennie, le philosophe de L’Obs. Pas davantage Pascal Bruckner qui se définit comme intellectuel de gauche qui pense contre la gauche à Michel Houellebecq, un des rares écrivains de droite avec Maurice G. Dantec et Jean d’Ormesson. Quant à Michel Onfray, il a certes fait une sortie fracassante récemment à propos des migrants (se demandant si une simple interrogation faisait de vous un fasciste). Mais il a fait une rapide volte-face, renoncé à publier son essai sur l’Islam et appelé à ce que la France cesse « sa politique étrangère islamophobe » à tel point qu’il a été utilisé par la propagande de l’Etat islamique.

On reproche aussi aux néo-réacs, non contents d’avoir pris possession de nos cervelles, d’amplifier avec des mots savants, les pseudo-arguments qu’on entend au café du commerce (et par extension, sur les réseaux sociaux).

Et si, au contraire, ils étaient tout simplement, chacun à leur manière, dans la conviction que tout ce qu’ils annonçaient est rattrapé par la réalité ?

Eric Zemmour peut jubiler : Les récentes agressions sexuelles en Allemagne et en Scandinavie font curieusement penser aux Wisigoths entourant les villes romaines juste avant la chute de Rome et décrite dans son avant-dernier livre (Mélancolie française). Claude Askolovich, éditorialiste sur i-Télé (10/01/2016) le concède de guerre lasse : « Cologne va produire du lepénisme ou de l’extrême droite, car la réalité correspond exactement au discours de l’extrême droite. »

De fait, on peut le haïr et l’abhorrer, mais Eric Zemmour est intimement persuadé que la France court au suicide depuis au moins Louis XIV, qu’elle est rongée par le droit-de-l’hommisme et que les valeurs « féminines » de la société compassionnelle ont pris le pouvoir. Il estime que la France qu’il a connu (y compris dans les cités dont il est issu) est en voie de disparition et que le multiculturalisme sera son tombeau. Depuis de nombreuses années, il annonce contre vents et marée une guerre civile laquelle, vu de 2015, apparaît hélas comme de moins en moins improbable. Il suffit de voir la montée de Pegida boosté par le flot ininterrompu de migrants en Allemagne…

Autre ennemi public, Alain Finkielkraut a failli devenir fou lorsqu’il a constaté au début des années 2000 une recrudescence de l’antisémitisme en France et surtout, le fait que les médias niaient l’évidence. Il a découvert au passage un phénomène relevant du tabou absolu : l’antisionisme radical de l’extrême gauche la conduisait à l’antisémitisme, lequel grandissait à vue d’oeil dans les cités immigrées. Mais le nouvel opprimé (l’Arabe) phobique par rapport à l’ancien supplicié (le Juif) était au début de ce siècle une notion trop explosive, impensable pour une Europe plus habituée à l’antisémitisme version crâne rasé. Le philosophe resta donc inaudible pendant plusieurs années jusqu’à ce que les faits nous rattrapent : Mehra, le Musée juif bien sûr, mais encore récemment cet enseignant juif marseillais qui a failli être décapité par un jeune Turc dont la détermination à tuer a littéralement estomaqué la police marseillaise.

Michel Houellebecq est islamophobe depuis longtemps en raison d’une méfiance atavique envers les religions en général. Il avait lancé il y a longtemps déjà cette fameuse phrase, relevant de la liberté d’expression : « L’Islam est la religion la plus con du monde » et reconnu que la lecture du Coran lui donnait des haut-le-coeur. Il a largement confirmé depuis avec Soumission, son dernier roman qui imagine une France s’islamisant lentement et benoîtement en envoyant à l’Elysée une sorte d’islamiste modéré à la Erdogan. Mais en évacuant le problème fondamental de la foi, le roman rate sa cible : les kamikazes du Bataclan croyaient réellement emporter avec eux 70 personnes au paradis, dont souvent leur mère, dont ils considèrent les moeurs occidentalisées comme dissolues.

Michel Onfray, anti-libéral obsessionnel, a quitté sa famille l’espace d’un instant, regrettant que la plus grande avocate de la laïcité n’était plus la gauche libre-exaministe mais… Marine Le Pen. Il observe aujourd’hui, comme on l’a dit, un silence médiatique stratégique.

Pascal Bruckner poursuit, depuis le Sanglot de l’homme blanc, sa quête critique sans concession des contradictions de la gauche qu’il considère toujours comme sa famille. Dans ses ouvrages, aux titres d’oxymoron (Misère de la prospérité,…) il égrène sa nostalgie d’une France clairvoyante et les affres d’un antiracisme absolutiste qui nous a conduit aux portes de l’islamisme radical.

Régis Debray, ancien soldat de Che Guevara en Bolivie, vient lui, de faire son coming out de « déçu de la gauche », ce qui n’en fait pas, loin de là, un néo-réac.

Si on fait une petite incursion en Belgique, pays où l’on trouve le moins d’intellectuels au mètre carré dans le monde développé, on citera dans la composante « réactionnaire » : Bart De Wever (dont chaque apparition fait polémique), Alain Destexhe (quasi seul contre tous sur les plateaux de télé) et Mischaël Modrikamen (invité une fois l’an à la RTBf et interdit sur RTL-TVI).

Bref : la séduction des discours dits réactionnaires, bien qu’objectivée chaque jour davantage par le principe de réalité, est encore loin de rivaliser avec l’armada de centre-gauche. En Wallonie comme en France, elle domine largement la presse, l’enseignement, les ONG, la politique, l’université, la sociologie, la philosophie, l’épistémologie, l’anthropologie, la littérature, l’art, le cinéma et la recherche.

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