"Au lieu de pousser des cris outrés, que ceux qui ne sont pas d'accord avec Eric Zemmour réfutent ses thèses", affirme Francis Esménard. © J. SAGET/AFP

« Zemmour ne devrait pas être publié ? »

Le patron de la maison d’édition Albin Michel, Francis Esménard, contre-attaque. Il répond aux controverses entourant la publication du dernier livre du polémiste de droite.

Désormais, c’est presque un rituel : la sortie d’un livre d’Eric Zemmour suscite des polémiques passionnées. Son nouvel ouvrage, Un quinquennat pour rien, n’échappe pas à la règle. Ses récents propos au mensuel Causeur sur le respect que lui inspireraient les djihadistes prêts à mourir pour  » ce en quoi ils croient  » lui valent même d’être poursuivi pour apologie du terrorisme. Jusqu’au sein de sa propre maison d’édition, Albin Michel, ses thèses controversées provoquent des remous – pétition, lettre ouverte à la direction… A la tête d’Albin Michel depuis 1967, Francis Esménard, pourtant connu pour n’accorder que très parcimonieusement des interviews à la presse, a décidé de répondre à ceux qui l’accusent de propager des idées dangereuses. Vieux briscard du monde de l’édition, patron d’une maison florissante abonnée aux best-sellers – un mur de son bureau expose les derniers livres d’Amélie Nothomb, de Stephen King, de Philippe de Villiers ou d’Eric-Emmanuel Schmitt -, il ne mâche pas ses mots.

Vous venez de publier, coup sur coup, Un quinquennat pour rien, d’Eric Zemmour, Les cloches sonneront-elles encore demain ?, de Philippe de Villiers, et Vaincre le totalitarisme islamique, de François Fillon. Votre maison d’édition serait-elle de droite ?

© L. BENHAMOU/AFP

Albin Michel est apolitique. Une maison d’édition est un être vivant, où différentes opinions doivent s’exprimer. Après la guerre, Albin Michel, seul grand éditeur à ne pas avoir reçu de blâme pour collaboration, a publié aussi bien l’écrivain résistant Vercors que Pierre Benoit, qui avait été emprisonné à la Libération. Il se trouve qu’il y a quelques années, une éditrice de la maison m’a présenté Eric Zemmour. J’ai tout de suite souhaité le publier. Je ne suis pas en accord avec tout ce qu’il écrit, je ne pense pas que nous soyons menacés par des hordes islamiques, mais j’estime qu’il a le droit de s’exprimer. Certaines personnes crient au scandale. Pensent-elles donc qu’Eric Zemmour n’aurait pas le droit d’être publié ? Ce n’est pas ma conception de la liberté. Je rappelle en passant que nous publions aussi quantité de livres sur le dialogue interreligieux, comme Histoire des relations entre juifs et musulmans, d’Abdelwahab Meddeb et Benjamin Stora. Zemmour est l’arbre qui cache la forêt.

Dans son précédent livre, Le Suicide français, un chapitre sur Vichy avait suscité un vif débat, y compris au sein d’Albin Michel, où une pétition avait même circulé…

Vous savez, certaines personnes pensent que cela fait  » bien  » d’apposer leur signature au bas d’une pétition. C’est une réaction un peu  » bobo « , qui ne m’émeut pas du tout. Quand sortira-t-?on de cette dictature de la bien-pensance ? Sur le fond, je continue à croire que ce bref passage sur Vichy ne méritait pas tout ce battage. C’est un fait historique, épouvantable d’ailleurs, mais le maréchal Pétain a préféré laisser déporter les juifs d’origine étrangère plutôt que ceux qui étaient français. Peut-être Eric Zemmour a-t-il exprimé cela un peu maladroitement…

Justement, lui demandez-vous parfois de modifier certains passages avant publication ?

J’essaie, nous avons des débats homériques, mais il est très difficile de lui faire changer ne serait-ce qu’un mot ! Pour son nouveau livre, il a voulu écrire une longue préface expliquant que l’expression  » islam radical  » était un pléonasme. Je n’étais pas certain que cela soit vraiment nécessaire, mais il y tenait absolument. Au lieu de pousser des cris outrés, que ceux qui ne sont pas d’accord avec lui réfutent ses thèses. Je serais même prêt à les éditer, tant qu’il n’y a pas d’attaques ad hominem contre Zemmour !

Deux chroniques ont mystérieusement disparu du livre lors de l’impression d’Un quinquennat pour rien. Avez-vous une explication ?

Certains complotistes ont échafaudé des thèses paranoïaques. La vérité, c’est que nous avons scrupuleusement édité le fichier qu’Eric Zemmour nous avait envoyé. Y a-t-il eu un bug informatique ? En tout cas, ces deux chroniques ont été disponibles sur notre site Internet et insérées dans tous les exemplaires dès que nous l’avons su.

Le fait qu’il ait été condamné pour incitation à la haine raciale en décembre dernier ne vous a-t-il pas gêné ?

Il n’a jamais été poursuivi pour des textes publiés chez nous. Eric Zemmour est un polémiste, un provocateur, il peut parfois aller un tout petit peu trop loin. Mais je ne pense pas qu’il soit raciste. Cela dit, aujourd’hui, avec toutes ces lois mémorielles, confessionnelles, antiracistes, sans parler de la diffamation, nous sommes moins libres qu’au XVIIIe siècle. Etre l’éditeur d’Eric Zemmour, c’est lourd à porter. Il faut un certain courage.

Certes, mais son Suicide français s’est vendu à 450 000 exemplaires. Est-il le plus gros vendeur de la maison ?

Après Le meilleur médicament, c’est vous !, du Dr Saldmann, oui. Il y a un moment où certains livres deviennent des bulletins de vote. J’ai connu cela avec Mitterrand et les 40 voleurs, de Jean Montaldo, qui avait dépassé le million d’exemplaires. Lui aussi était controversé et m’avait valu des attaques.

Ne craignez-vous pas d’être accusé de propager des thèses extrémistes ?

C’est une question terrible. Un éditeur n’est pas comme un marchand de réfrigérateurs, qui vend toujours le même produit. Chaque livre est différent et pose des questions spécifiques… Je crois que les ouvrages dont nous parlons sont en phase avec le pays et, s’ils ont tant de succès, c’est que les lecteurs, plutôt que d’y chercher des révélations, se sentent confortés d’y trouver et d’y lire ce qu’ils ont envie d’y trouver et d’y lire. Mais une certaine intelligentsia de gauche veut toujours ostraciser ceux qui ne sont pas d’accord avec elle. Cela dit, le monde intellectuel évolue. Regardez les prises de position d’Alain Finkielkraut, de Régis Debray, de Pascal Bruckner sur l' » islamo-gauchisme « .

Pourquoi n’avez-vous pas publié La Cause du peuple, le dernier livre de Patrick Buisson, qui était pourtant un  » auteur Albin Michel  » ?

Il m’avait soumis un synopsis d’une quarantaine de pages, mais pas le manuscrit complet. J’ai pensé que publier la  » troïka  » Zemmour-Villiers-Buisson ferait un peu beaucoup. Je dois respecter un certain équilibre dans ma maison. Je note au passage que, à partir du moment où il disait du mal de Sarkozy, le  » diable  » Buisson était soudain acclamé par toute la presse !

Seriez-vous prêt à éditer Marine Le Pen ?

Non.

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