Xavier Bertrand visite les Thermes de Saint-Amand-les-Eaux. Loin des "élites parisiennes", l'ancien ministre veut "rester à portée d'engueulades". © DIDIER CRASNAULT/PHOTO PQR/LA VOIX DU NORD/MAXPPP

Xavier Bertrand, l’anti-FN à l’épreuve du terrain

Le Vif

Voilà un an, l’ancien ministre Xavier Bertrand sortait vainqueur de son duel face à Marine Le Pen dans la région Nord-Pas-de-Calais-Picardie. Et s’engageait à faire reculer le Front national. Un an plus tard, le bilan est mitigé…

Le 13 décembre 2015, toute la France avait les yeux rivés sur lui. Xavier Bertrand allait-il ou non empêcher le FN de s’installer à la tête d’une grande région française ? Saurait-il briser l’élan qui semblait porter Marine Le Pen vers le pouvoir ? Ce jour-là, il l’avait finalement emporté, mais, surtout, il avait su trouver les mots. Au soir du second tour, c’est avec gravité qu’il avait commenté sa victoire.  » Le résultat nous oblige à rester humbles. […] Il claque comme le dernier coup de tonnerre avant qu’un jour le Front national n’accède au pouvoir.  » Lors de son discours d’investiture, le 4 janvier 2016, il en tirait les conclusions, conséquentes et limpides :  » Il faut changer radicalement les méthodes, les politiques, les comportements.  »

Sur le moment, les propos de cet homme qui avait été tour à tour député, secrétaire général de l’UMP et même quatre fois ministre avaient été accueillis avec scepticisme. Mais, justement, Bertrand prétend faire de son passé – de son passif – une force.  » J’ai changé, assure-t-il au Vif/L’Express. Je suis davantage moi-même que je ne l’ai jamais été.  » Et d’avancer pour preuves des décisions on ne peut plus concrètes. N’a-t-il pas renoncé à se présenter à la primaire de la droite ? abandonné son mandat à l’Assemblée nationale ? promis de ne pas être ministre en 2017 ? déserté les médias nationaux, auxquels il a longtemps semblé plus accroché qu’un chien à son os ?

Tous les adversaires sincères de Marine Le Pen souhaitent que Xavier Bertrand fasse reculer le FN

Loin des  » élites  » parisiennes, donc, il donne depuis douze mois priorité absolue au  » terrain « . Tous les jours ou presque, qu’il pleuve, qu’il neige ou qu’il vente, Xavier Bertrand arpente les 32 000 kilomètres carrés d’un territoire plus vaste que la Belgique. De Dunkerque à Château-Thierry et de Beauvais à Avesnes-sur-Helpe, on l’aperçoit, dès potron-minet, sur les quais de gare et dans les exploitations agricoles, serrant les mains comme à la parade et décochant des formules efficaces quoique préparées.  » Je veux rester à portée d’engueulades !  » Pour un peu, on croirait voir le rejeton improbable qu’auraient pu avoir ensemble Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy…

Ce mardi-là, il a jeté son dévolu sur la commune d’Albert, dans la Somme. Aux premières heures, il se rend dans un parc d’activités. Enchaîne par la visite d’un étonnant musée souterrain consacré à la guerre de 14-18. Passe ensuite par la gare, avant de se rendre au lycée Lamarck, où il apprend notamment que les évacuations des plans de travail de la salle de physique fuitent dans les classes de sciences de la vie de l’étage inférieur…  » J’ai bien fait de venir…  » glisse-t-il, tandis que ses collaborateurs prennent des notes avec frénésie. Mais, bon, ce n’est pas tout, ça. Il est déjà midi et il est attendu à Amiens. Avant d' » arpartir « , comme on dit en langue picarde, il prend soin de laisser sa carte de visite à la proviseur adjointe.  » Si ça n’avance pas assez vite, prévenez-moi directement.  » On ne peut pas lui enlever ça : le bonhomme a du métier.

Le terrain, c’est bien ; les résultats, c’est mieux. Justement : Xavier Bertrand en revendique déjà quelques-uns.  » J’ai bouclé le financement du canal Seine-Nord. J’ai aussi contribué à sauver des entreprises menacées et à en attirer de nouvelles, notamment l’usine de Safran et Air France-KLM à Valenciennes « , souligne-t-il à juste raison. Il n’a pas non plus commis d’erreur quand il s’est agi de baptiser la nouvelle région Hauts-de-France, en écartant l’appellation  » Nord-de-France « , qui aurait été ressentie par l’ancienne Picardie comme une forme d’annexion. Il a enfin su se montrer malin avec une mesure peu onéreuse mais concrète : une dotation de 20 euros par mois pour les particuliers contraints de prendre leur voiture pour aller travailler loin de chez eux.

Xavier Bertrand, il est vrai, n’oublie jamais de faire de la politique. Il n’a pas tort. Car, en réunissant seulement 25 % des voix au premier tour, pour 41 % à Marine Le Pen, il n’a pas exactement enregistré un plébiscite personnel en décembre 2015. S’il a été élu, c’est grâce au retrait unilatéral du PS, dans une sorte de référendum anti-FN. Aussi, depuis un an, multiplie-t-il les attentions à l’égard de la gauche.  » Dans la semaine qui a suivi son investiture, nous sommes convenus de nous voir systématiquement avant chaque séance plénière du conseil régional, raconte Pierre de Saintignon, ancien chef de file des socialistes. La première fois, c’est même lui qui s’est déplacé dans mon bureau de la mairie de Lille. J’ai apprécié son geste.  »

 » S’il échoue, le FN l’emportera  »

L’attitude du premier adjoint de Martine Aubry, honnête homme qu’on croirait parfois égaré parmi les fauves de la politique, n’est pas appréciée de tous ses  » amis  » ? Il s’en moque :  » Certains voudraient que je crie contre Bertrand matin, midi et soir. C’est ridicule. Premièrement, il est encore trop tôt pour le juger. Deuxièmement, s’il échoue, ce sont les habitants qui en seront les premières victimes. Et lors des prochains scrutins, le Front national l’emportera !  »

L’objectif ultime de Xavier Bertrand reste l’Elysée…

Au fond, comme Pierre de Saintignon, tous les adversaires sincères de Marine Le Pen souhaitent que Xavier Bertrand fasse reculer le FN. Ce n’est pas gagné. En effet, malgré sa notoriété personnelle et son abattage incontestable, le nouveau patron des Hauts-de-France peine à médiatiser son action. Non seulement l’institution régionale reste mal connue des citoyens, mais les journalistes ont tendance à déserter l’hémicycle en raison des absences régulières de Marine Le Pen, qui les privent de l’information spectacle dont ils sont friands (voir ci-dessous). Pour ne rien arranger, les élections régionales se jouent moins sur le bilan du sortant que sur celui du président de la République. Si, par hypothèse, François Fillon était élu chef de l’Etat en 2017 et venait à décevoir les Français, Xavier Bertrand, quel que soit son mérite, aurait les pires difficultés à être réélu en 2020.

L’intéressé, pour le moment, refuse d’ailleurs de dire s’il sera ou non candidat à sa propre succession –  » J’ai passé l’âge de me prendre la tête !  » Cela tombe bien car, s’il a plusieurs succès à son actif, il a aussi commis quelques erreurs. Il a notamment choisi de cumuler en restant président de la communauté d’agglomération de Saint-Quentin (dans le département de l’Aisne). Une précision qu’il s’était bien gardé de clamer urbi et orbi pendant la campagne électorale, se contentant d’annoncer discrètement qu’il resterait  » élu de Saint-Quentin « . Pire, le 26 janvier 2016, il a fait voter à ce titre une augmentation de sa rémunération de… 2 373 euros net (4 000 euros brut), laquelle a compensé en partie ses pertes de revenus liées à l’abandon de son mandat de député.

 » Il s’agit d’une cabale lancée par le Front national, s’indigne-t-il, visiblement meurtri par cette polémique. Je rappelle que rien ne m’obligeait à quitter l’Assemblée nationale avant 2017. Et que, malgré cette augmentation, mes revenus restent bien inférieurs à ce qu’ils étaient auparavant !  »

En difficulté sur le thème de l’emploi

Le choix de ses vice-présidents au conseil régional est tout aussi curieux. Plusieurs d’entre eux dirigent en effet des agglomérations et de grandes mairies dévoreuses de temps et porteuses de conflits d’intérêts.  » Personnellement, je ne voulais pas me présenter mais il a insisté en m’expliquant que c’était un bon moyen de tracter des voix pour battre le FN « , se souvient Brigitte Fouré, maire (UDI) d’Amiens.  »

Plus ennuyeux, peut-être : Xavier Bertrand se trouve en difficulté sur l’emploi, son principal thème de campagne.  » Je m’engage à ce que, au 1er septembre 2016, nous ayons redonné un travail à 60 000 chômeurs « , promettait-il sur son site, le 25 octobre 2015. Or, il est loin du compte. Certes, selon lui,  » 50 522 personnes ont trouvé ou retrouvé une activité avec l’aide de la région « , ce qui serait une belle performance si le bilan n’était enjolivé. 40 % d’entre eux bénéficient en fait d’une simple formation.  » Afficher cet objectif a été une erreur, reconnaît le patron des Hauts-de-France. Désormais, je ne donnerai plus de chiffres.  »

Il reste enfin à prouver que l’ancien ministre a vraiment changé. Car, bien qu’il s’en défende devant les journalistes, son objectif ultime demeure évidemment l’Elysée, comme il l’a d’ailleurs confié à quelques proches.  » Il n’a pas du tout renoncé à ses ambitions nationales, confirme, parmi d’autres, Gérald Darmanin. Son objectif consiste à bien gérer les Hauts-de-France pour devenir président plus tard.  » Une trajectoire qui, si elle se confirmait, ne fleurerait pas franchement la  » politique autrement « .

Par Michel Feltin-Palas.

UNE CONSEILLERE A ECLIPSES

Marine Le Pen :
Marine Le Pen : « Je ne suis qu’une conseillère lambda. »© ÉRIC FEFERBERG/AFP

Six séances sur neuf. C’est le nombre de séances plénières du conseil régional des Hauts-de-France auxquelles Marine Le Pen a assisté depuis un an. Et encore : « La plupart du temps, elle se contente de signer la feuille de présence mais n’assiste pas à l’ensemble des débats », dénonce Gérald Darmanin, vice-président (LR) de la région. « Il ne vous a pas échappé que je suis candidate à la présidence de la République, réplique la patronne du FN au Vif/L’Express. Dans les Hauts-de-France, je ne suis qu’une conseillère lambda. » Aussi, depuis sa défaite, a-t-elle délégué la présidence du groupe à un élu « technicien », Philippe Eymery, qui abat l’essentiel du travail. Pourquoi, dès lors, ne pas tout simplement démissionner de l’institution qui la rémunère, même partiellement ? L’intéressée s’en tire avec une pirouette : « Je le ferai si je suis élue à l’Elysée. » A ce jour, elle continue donc de percevoir environ 300 euros brut sur les 2 527 normalement dévolus à un élu régional, le surplus étant « écrêté » en raison des indemnités qu’elle reçoit déjà en tant que députée européenne. Une institution où, au demeurant, son assiduité laisse aussi à désirer.

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