Le traité d'Ottawa a 20 ans mais les mines tuent encore malgré tout. © AFP

Vingt ans après le traité d’Ottawa, les mines tuent toujours

Le Vif

« Je me souviens d’avoir été projetée en l’air comme un chiffon. Ensuite, je n’ai pas réussi à me remettre debout. » Vingt ans après le traité d’Ottawa, qui les interdisait, les mines antipersonnel continuent à tuer et estropier, se désole l’ONG Handicap international.

Gniep Smoeun allait avoir 10 ans quand elle est partie chercher de l’eau en forêt. Mais en 1979, après une décennie de guerre civile au Cambodge, les pourtours du camp de réfugiés dans lequel elle vit alors, à la frontière thaïlandaise, sont constellés de mines.

L’explosion lui abîme la jambe gauche et arrache la droite. « On voyait les lambeaux de chair, se souvient-elle. J’ai subi dix-sept opérations. Mais la blessure s’est gangrénée. J’ai été amputée au niveau de la cuisse », se souvient-elle lors d’un entretien avec l’AFP.

Jean-Baptiste Richardier se rappelle parfaitement de Gniep. Dans l’atelier où ce médecin français, alors salarié de Médecins sans frontières, coordonne la fabrication de prothèses de fortune, « il y avait quatre gamines entre 8 et 11 ans qui avaient sauté sur des mines. On les appelait +les trois mousquetaires+. Gniep était D’Artagnan. »

« C’était une espèce de leader naturel, très rock’n roll, qui mettait le feu, poursuit-il. Gniep était toujours prête à se moquer d’elle-même de ses copines. Très mutine, très joviale, et par instant infiniment triste. »

Dans le camp de Khao I Dang, où elle est soignée, les amputés sont omniprésents. Les mines ont fait 6.000 victimes dans le nord du Cambodge. Près de 50.000 de ces blessés seront recensés dans tout le pays.

Mais après leur avoir prodigué les soins vitaux, les ONG ne s’occupent plus d’eux. « A l’époque, la doxa humanitaire disait que les personnes handicapées nécessitaient des moyens trop importants, raconte-t-il. Alors elles se fabriquaient leurs propres prothèses, grâce à du bambou ou des emballages d’obus trouvés sur les champs de bataille ».

Face à cette situation, Jean-Baptiste Richardier crée Handicap international (HI) en 1982, avec un autre médecin. Les effectifs de l’ONG se limitent alors à « quelques artisans cambodgiens qui avaient appris à faire des prothèses » et « des amputés qui fabriquaient eux-mêmes leur propre appareillage ».

– ‘20.000 vies épargnées’ –

En 1986, une photo de Gniep s’aidant d’une béquille, un ballon au pied, illustre une campagne de communication de la structure. Qui prend très vite une incroyable ampleur.

Avec 3.000 salariés, HI, l’une des vingt plus grosses ONG au monde, selon son co-fondateur, est aujourd’hui présente dans une soixantaine de pays. En 1997, elle reçoit, avec cinq autres structures, le prix Nobel de la paix pour leur campagne contre les mines.

En décembre de cette même année, 122 pays signent les accords d’Ottawa et s’engagent à ne plus jamais utiliser, produire ou stocker des mines antipersonnel.

Résultat, le nombre de victimes passe de 25.000 par an à 3.500, affirme M. Richardier, soit « plus de 20.000 vies épargnées ». Un accord est ensuite signé à Oslo en 2008, qui bannit les bombes à sous-munitions.

« Des pays entiers ont été nettoyés », se félicite Anne Héry, la directrice du plaidoyer de Handicap international, citant l’exemple du Mozambique, « qui s’est déclaré l’an passé libre de mines alors qu’il était très pollué ».

Malgré ces victoires, la « frustration » reste de mise, ajoute-t-elle. Car depuis deux ans, les victimes de mines repartent à la hausse. Près de 6.500 d’entre elles ont été blessées ou tuées en 2015, soit 75% de plus qu’en 2014 (moins de 3.700), la plupart en Afghanistan, Libye, Yémen, Syrie et Ukraine, selon l’Observatoire des mines antipersonnel.

Mais il y a surtout ces armes explosives utilisées en zones peuplées, qui ont fait 92% de victimes civiles, au mépris du droit humanitaire, s’indigne Mme Héry. Handicap international a récemment lancé une pétition contre « les bombardements de civils », dont l’objectif est de rassembler un million de signatures.

« Moi j’ai fait mon deuil. Mais je sais qu’on ne peut pas rester indifférent », observe Gniep, qui soutenait vendredi HI devant la Pyramide de chaussures que l’ONG organisait à Paris. Aujourd’hui, Gniep vit en France. Elle est infirmière mais boîte toujours. « Enfant, je voulais être danseuse », glisse-t-elle.

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