César Botero González

Venezuela: évitons les tours de passe-passe rhétoriques !

César Botero González Militant du PS - Licencié en sciences politiques et science des religions

Eh bien ! voilà le problème. Quelle est la vérité sur la crise que traverse le Venezuela. Qui en est le dépositaire et qui a la solution ? Nicolas Maduro et ses amis ? Juan Guaidó et ses amis ? Ou d’autres qui ne sont les amis ni de l’un ni de l’autre ? Comment le savoir ?

Animé par cette curiosité, j’ai lu et relu « Venezuela: empêchons d’urgence la nouvelle guerre annoncée ! » Je suis de près ces évènements dans les médias belges, français, espagnols, vénézuéliens et colombiens… en plus des analyses politiques des sources spécialisées. Je croyais y trouver un éclairage complémentaire fondé sur un raisonnement objectif. Tel ne fut le cas, bien que les 91 signataires de la carte soient des démocrates censés maitriser leur sujet.

La carte blanche nous invite à « tout faire pour préserver la paix en exigeant le respect du droit international » afin « d’éviter un désastre humain et écologique » au Venezuela. Le but est fort louable et nous ne pouvons qu’y adhérer, mais l’argumentaire pour l’étayer s’inspire de critères, dont certains peu convaincants. Je passe en revue quelques-uns. L’espace d’une carte blanche ne me permet pas de les revoir tous :

« Le Président Donald Trump a annoncé qu’il n’excluait pas une intervention militaire au Venezuela. La Colombie et le Brésil ont promis leur appui ».

Est-ce vrai ? Le Groupe de Lima, y compris le Brésil et la Colombie, a manifesté le 25 février leur opposition à une intervention militaire. L’accepteront-ils dans quelques semaines ? Le gouvernement des États-Unis vient d’annoncer le départ du personnel diplomatique encore sur place à leur ambassade à Caracas. Pour sa part, Josep Borrell, ministre de Relations extérieures espagnol, admet que Mike Pompeo et John Bolton lui ont demandé si son pays serait disposé à accueillir les ministres vénézuéliens qui décideraient de quitter le gouvernement. De quel évènement imminent ces démarches seraient-elles les signes annonciateurs ? Si les signataires le savent déjà, je comprends leurs appréhensions. Ce sont des démocrates censés maitriser leur sujet.

Les signataires s’insurgent contre les  » menaces d’intervention militaire au Venezuela en violation flagrante du droit international. »

Ils ont raison de s’insurger. Il faut respecter le droit international. Mais pourquoi ne pas s’insurger aussi contre les violations du droit national au Venezuela lesquelles sont nombreuses ? Pour en connaître quelques-unes, il suffit de lire le RAPPORT 2017/18 D’AMNESTY INTERNATIONAL à moins qu’il ne faille douter de l’indépendance et de l’impartialité de cette organisation. Pourquoi pas ?

Michelle Bachelet, ex-président socialiste du Chili et présidente du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme déclare pour sa part le 6 mars : « La situation au Venezuela montre clairement en quoi la violation des droits civils et politiques, notamment le non-respect des libertés fondamentales et l’indépendance des principales institutions, peut accentuer le déclin des droits économiques et sociaux », mais reconnaît que la situation est aggravée par les sanctions. A-t-elle raison ? Allez savoir !

« Personne de sensé ne peut croire que l’action des États-Unis est motivée par une préoccupation sincère pour les droits humains, la démocratie, ou la situation économique et sociale des Vénézuéliens ».

Certes, la politique extérieure des États-Unis à l’égard de l’Amérique latine est bien connue depuis au moins deux siècles. Déjà en 1818, Simón Bolivar, le Libertador, déclarait : « Les États-Unis semblent destinés par la Providence à remplir l’Amérique de misère au nom de la liberté. » L’Amérique dont il parlait était celle qui va du Mexique à la Patagonie et le gentilé « Américains » n’était pas encore celui d’États-Uniens.

« Les déclarations de M. Bolton […] prouvent qu’il s’agit avant tout de mettre la main sur les réserves de pétrole, de coltan, d’or et autres métaux rares que renferme le sous-sol de ce pays. »

Tout cela est bien vrai. Ils aiment en plus s’approprier des territoires. Presque la moitié des États-Unis faisaient partie du Mexique et la Colombie perdit le Panamá. Mais peut-on croire que l’appui de la Chine, de la Russie et de la Turquie soit motivé par une préoccupation sincère dans le seul intérêt du peuple vénézuélien et du renforcement de la démocratie dans le cadre de la révolution bolivarienne et socialiste ? Peut-être. La politique internationale est si complexe ! Mais les signataires sont des démocrates censés maitriser leur sujet.

Les États-Unis en tant qu’uniques responsables de tous les malheurs du Venezuela est un argument usé jusqu’à la corde et ne sert qu’à exonérer le gouvernement Maduro de toutes ses dérives. Les causes uniques n’expliquent pas tout, tout au moins en politique. Mais les signataires sont des démocrates censées maitriser leur sujet.

Rafael Correa, un des signataires de la carte blanche, controversé certes, mais dont son mandat de 10 ans (2007-2017) fut très positif pour les Équatoriens, mena une politique d’indépendance vis-à-vis des États-Unis avec intelligence et sens des responsabilités sachant jusqu’où il pouvait aller sans faire courir de risques inutiles à son pays face à la première puissance du monde. Gouverner à gauche ce n’est pas crier dans les meetings « Abajo el Imperio » ; c’est aussi savoir calculer ses propres forces et celles de l’adversaire avant de se lancer dans des aventures à haut risques. Maduro n’est pas Correa.

On peut dire autant d’Evo Morales en Bolivie. Sa politique de gauche et d’indépendance vis-à-vis des États-Unis ne l’a pas empêché de réduire la pauvreté les inégalités et l’analphabétisme dans son pays.

Le soutien de Rafael Correa et de Evo Morales à Maduro est compréhensible. Dans certaines circonstances, les solidarités forcées sont de mise, surtout en politique internationale.

Quelle que soit la capacité de nuisance des États-Unis, le gouvernement de Maduro est le principal responsable de ce qui arrive à son peuple. Son échec n’est pas l’échec du socialisme. Il n’y a pas de socialisme au Venezuela, mais les conséquences prévisibles de l’incompétence, la corruption, l’inefficacité, le népotisme et le mensonge qui caractérisent la nomenklatura du gouvernement actuel. Mais les signataires sont des démocrates censées maitriser leur sujet.

Trois millions de Vénézuéliens ont quitté leur pays. Ce chiffre à lui tout seul en dit plus que les analyses socioéconomiques et politiques les plus pointues. Le plus grand nombre ne sont pas des opposants de la haute bourgeoisie au service de l’Imperio. Ce sont des gens pauvres et affamés qui ont cru au chavisme. Mais les signataires sont des démocrates censées maitriser leur sujet.

Un autre groupe d’émigrants est celui de chavistes dont leurs convictions révolutionnaires n’ont pas résisté au gout de l’argent. Ils ont fait fortune, pendant la période des vaches grasses du chavisme quand le prix du pétrole était élevé. Ce sont de hauts dirigeants et de jeunes entrepreneurs (les bolichicos) qui blanchissent leurs millions dans l’immobilier des quartiers chics en Espagne, ou confient leur argent aux banques suisses et autres paradis fiscaux. Des ex-ministres pendant la présidence de Chavez cachèrent 2 milliards d’euros en Andorre.

« Monsieur Juan Guaido, député du parti le plus extrémiste de la droite, « Volonté populaire », est devenu député à l’Assemblée nationale lors d’élections organisées sous le gouvernement de M. Maduro. »

Quelques données devraient nous faire réfléchir avant de nous lancer dans des jugements à l’emporte-pièce :

« Volonté populaire » le parti le plus extrémiste de la droite ! Voilà un euphémisme pour ne pas dire extrême droite. Ce parti est membre de plein droit de l’Internationale socialiste. Cela ne fait pas de Juan Guaidó un démocrate, diront certains. Le Fidesz, le parti de Viktor Orban, côtoie le cdH et le CD&V au sein du PPE au parlement européen.

Un certain Elio Di Rupo figure dans la liste des vice-présidents de l’Internationale socialiste. Difficile de croire qu’un démocrate comme lui ferme les yeux sur les dérives fascistes de Guaidó et son parti. Elio di Rupo serait-il en désaccord avec l’IS ? Il est vrai que Maria Arena signe la carte blanche en tant que députée européenne membre du S&D. Comment expliquer cette contradiction, en apparence tout au moins ?

Avant l’auto proclamation de Juan Guaidó, l’internationale socialiste a condamné, en juillet et en août 2017, le régime de Maduro, pour « la décision du régime vénézuélien d’usurper les pouvoirs de l’Assemblée nationale, l’organe où siège le pouvoir législatif de ce pays », en faisant voter la création d’une assemblée nationale constituante par un processus contraire à la Constitution. Voilà donc l’Internationale socialiste au service de Trump et sa clique. Il n’y a plus de gauche !

La logique en toile de fond de tout ce manège manichéen est fort simple : Maduro est bon parce que Trump, Bolsonaro, Duque… sont ses ennemis sans regarder qui sont ses amis. C’est oublier que Maduro est bon ou mauvais quelques soient ses amis et ses ennemis.

Une position plus conforme au bon sens et à la démarche démocratique serait :

  • Rejeter la politique et le bilan du gouvernement de Nicolas Maduro.
  • Rejeter l’auto-proclamation de Juan Guaidó.
  • Rejeter l’ingérence des États-Unis et toute autre ingérence étrangère. C’est le peuple vénézuélien qui doit décider de son destin.
  • Créer les conditions propices pour que Maduro et l’opposition acceptent la médiation proposée par les gouvernements du Mexique et l’Uruguay auxquelles devraient se joindre ceux de l’Union européenne.
  • Adopter des solutions basées sur les principes de la Constitution vénézuélienne. Elle le permet, notamment en organisant un référendum consultatif contraignant afin que la population vénézuélienne décide de la convocation d’élections générales. (Chapitre IV. Des Droits Politiques et du Référendum Populaire – Section deux).

Cette position est le résumé de : « Venezuela : Déclaration internationale – Pour une sortie démocratique où le peuple vénézuélien décide » La lire, ainsi que la liste de signataires, est éclairant et salutaire.

César Botero González

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