Il a fallu deux débats les 26 et 27 juin à Miami pour confronter les opinions de tous les candidats démocrates à la présidence. © C. allegri/reuters

USA: Parti démocrate recherche candidat désespérément

Le Vif

La bataille pour les présidentielles de 2020 est lancée. Le camp démocrate, qui penche à gauche, est en quête de l’homme ou de la femme capable de battre Trump. Pas simple.

Nul ne sait si c’est de bon augure. En tout cas, aucun parti n’a jamais aligné autant de candidats à l’investiture, décidés à en découdre avec un président sortant. Un an et demi avant le scrutin du 3 novembre 2020, le casting des primaires démocrates tient de la superproduction hollywoodienne avec un record de 24 têtes d’affiche. Parmi elles : sept sénateurs, six femmes, des New-Yorkais, des Californiens, des Texans, deux gouverneurs (Colorado et Washington), trois Afro-Américains, un Latino et, last but not least, un ex-vice-président, Joe Biden. A coup sûr, cette profusion constitue une nouvelle preuve de la vitalité démocratique américaine. Mais elle est aussi un signe supplémentaire que, avec Donald Trump, les us et coutumes de la vie politique ont changé en profondeur.

Multiplication de socialistes assumés

 » Tout le monde sait que sous la présidence de Trump, le Parti républicain s’est droitisé, constate un conseiller politique washingtonien qui veut garder l’anonymat. Mais cela ne s’arrête pas là. En polarisant le débat à l’extrême, à coups de tweets fracassants et de décisions radicales – sur la fiscalité, sur l’immigration, sur les relations internationales, etc. -, Trump a aussi fait bouger les lignes chez ses adversaires et déplacé le centre de gravité du parti de John F. Kennedy vers la gauche.  » Alors qu’en 2015 Bernie Sanders était le seul à se dire socialiste, il partage aujourd’hui ce créneau politique avec d’autres candidats. A commencer par la sénatrice du Massachusetts Elizabeth Warren, ennemie autoproclamée de la finance.

Les candidats doivent réaliser la synthèse d’un électorat très hétéroclite.

Très détaillé, son programme propose ainsi de remplacer les assurances santé privées,  » dont les profits sont indécents « , par une sécurité sociale publique à l’européenne. Seul problème : le coût d’une telle décision serait astronomique. Mais la candidate entend le financer par un impôt sur la fortune sans doute impossible à mettre en oeuvre politiquement, selon le journal Politico, et contestable du point de vue constitutionnel.

Certains proposent d’ouvrir les frontières

La  » gauchisation  » du Parti démocrate a sauté aux yeux de l’Amérique le 26 juin dernier, lors de la seconde soirée du premier débat de la précampagne démocrate – scindé en deux en raison du nombre pléthorique de candidats. Ce soir-là, lorsqu’une présentatrice demande aux dix participants s’ils sont favorables à la décriminalisation de l’immigration illégale, presque tous lèvent la main pour répondre oui, sans tenir compte de l’inquiétude suscitée par l’actuel boom des arrestations à la frontière mexicaine – plus de 100 000 par mois, du jamais-vu depuis 2007. Si le franchissement clandestin du Rio Grande devenait un simple délit, il serait passible d’une simple amende.

 » L’idée est noble, certes, mais sur un plan purement politique, l’effet positif n’est pas garanti « , glisse le politologue Andrew J. Polsky, au Hunter College de New York, dont les bureaux donnent sur l’avenue Lexington. Quand les démocrates parlent d’ouvrir les frontières, de supprimer l’Immigration and Customs Enforcement (ICE, l’agence de police douanière et de contrôle des frontières) ou d’assouplir les conditions de demande d’asile, ils ne provoquent pas seulement des sueurs froides chez les supporters de Trump : ils inquiètent aussi leur base électorale.  »

Le fait est que les démocrates rencontrent une difficulté qui épargne le Parti républicain. Hétéroclite, leur électorat se compose en effet de publics épars aux valeurs parfois divergentes que les candidats doivent convaincre simultanément. Aux élites des deux côtes océaniques s’ajoutent les green millennials (jeunes mobilisés par le changement climatique), les Afro- Américains, les Latinos et, c’est essentiel, la classe ouvrière syndiquée des Etats industriels du Midwest (Michigan, Ohio, Wisconsin…). Or, pour espérer gagner les présidentielles, tout candidat démocrate doit être capable de  » réaliser la synthèse « . Bill Clinton y était parvenu en 1992. Barack Obama aussi en 2008.

Joe Biden est-il suffisamment combatif ?

A ce jour, Joe Biden semble le mieux à même de réussir ce numéro d’équilibriste. Pete Buttigieg, le talentueux maire de South Bend (Indiana), pourrait sans doute y parvenir, mais il doit d’abord confirmer sa percée. Et la sénatrice Amy Klobuchar, centriste et modérée ? En théorie oui, mais elle ne pèse rien. Retour donc à Biden. Expérimenté, rassurant, habile et connu pour sa capacité de négociation – en un mot : présidentiable -, c’est lui qui mène la course avec 27 % dans les sondages, loin devant Bernie Sanders (15 %), Kamala Harris (14,5 %) Elizabeth Warren (13,5 %) et Pete Buttigieg (5 %).

L’ennui, pour l’ancien vice-président de Barack Obama, c’est que les primaires démocrates 2019-2020 ressemblent à une machine à perdre.  » Pour exister dans la mêlée et électriser le public, les candidats doivent adopter des postures radicales et égratigner leurs concurrents « , reprend Andrew J. Polsky. A ce jeu, Kamala Harris, ex-procureure générale de Californie, est la meilleure. Lors du premier débat télévisé, par exemple, elle a attaqué Joe Biden sur des prises de position vieilles de plusieurs décennies. Dans les années 1970, le sénateur Biden s’était en effet opposé à une loi fédérale visant à rendre le financement des transports scolaires obligatoire, plutôt que de laisser aux Etats le soin d’en décider.

Or, a pointé Harris, la position de Biden était également celle de deux élus ségrégationnistes, laissant entendre que le vice-président d’Obama était alors raciste. C’est faux. Mais, avec ce clash,  » Kamala  » a doublé sa popularité en une seule soirée.  » Elle a complètement éclipsé Bernie Sanders et Elizabeth Warren, confirme Leopoldo Martinez, coprésident du Hispanic Caucus (représentation de la minorité latino) au sein du Comité national démocrate (DNC, la direction du parti). Aujourd’hui, ce que les gens ont en tête, c’est un duel Biden-Harris.  »

Mais le septuagénaire Joe Biden est-il suffisamment combatif pour affronter Donald Trump ? Dès le lendemain du débat, le New York Times a tranché :  » Il s’est révélé être un champion imparfait, incapable de naviguer entre les courants contraires du parti ou de susciter autant d’intérêt que ses rivales de gauche Elizabeth Warren et Kamala Harris.  » Conclusion du journal :  » Si Joe Biden est l’homme censé contenir la gauchisation du parti, alors ses limites viennent d’être cruellement mises au jour.  »

En juillet et en septembre prochain, deux autres débats seront organisés avant le lancement officiel des primaires, en janvier 2020, dans l’Iowa. D’ici là, certains candidats auront été éliminés.  » Pour rester dans la course du DNC, reprend Leopoldo Martinez, les prétendants doivent atteindre un certain niveau de popularité, mesurée par quatre instituts de sondages, et ils doivent démontrer leur capacité à lever des fonds.  » A ce stade, il faut donc considérer le processus des primaires comme la phase des éliminatoires d’un Mondial de football.  » L’objectif de chaque équipe n’est pas de bien jouer ni même de gagner tous ses matchs ; il est simplement de rester debout et de se qualifier pour la phase suivante « , note le politologue Andrew J. Polsky.

L’impopularité de Trump, loin d’être une garantie

De son côté, Donald Trump possède l’immense avantage de n’avoir aucun rival à affronter dans son propre camp, et l’on sait qu’aux Etats-Unis, tous les présidents sortants dans cette situation ont systématiquement été réélus. Or, heureusement pour les démocrates, le locataire de la Maison-Blanche demeure très impopulaire, près de trois ans après son élection, en raison de son image de président agressif, erratique, narcissique, malhonnête. Résultat, 57 % des Américains déclarent qu’ils ne voteront jamais pour lui. Pour autant, donneront-ils leurs voix à un démocrate qui, par hypothèse, se situerait à la gauche du parti ? Architecte de la victoire du président démocrate Bill Clinton en 1992, James Carville a résumé l’enjeu de la présidentielle 2020 par une jolie formule :  » Ceci est une élection que Trump ne peut pas gagner, mais que les démocrates peuvent perdre.  »

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.© Infographie Le Vif/L’Express
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Par Axel Gyldén.

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