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Une Europe, mais combien de Papandreou?

En convoquant un référendum sur l’accord obtenu à Bruxelles, le Premier ministre grec a pris tout le monde par surprise. Même s’il ne faut pas en faire un bouc émissaire, il a brisé la solidarité européenne… si tant est qu’elle existe. L’analyse de Christian Makarian.

Au lendemain de l’annonce surprise de la prochaine tenue d’un référendum en Grèce sur l’accord obtenu à Bruxelles la semaine dernière, il n’est pas complètement honnête de s’en prendre violemment au Premier ministre grec, George Papandreou.

1. Il n’est pas personnellement responsable de plusieurs longues décennies d’incurie, de dessous de table, de chiffres falsifiés, de statistiques arrangées (y compris celles qui ont permis à la Grèce d’entrer dans la zone euro), d’économie parallèle, d’argent au noir, de privilèges fiscaux, de combines et de passe-droits. A tout prendre, Papandreou assume le rôle de « Jack the cleaner » avec un certain courage et encaisse les coups pour le compte de tous ses prédécesseurs.

2. Depuis 18 mois, ce que subit Papandreou dépasse les capacités normales d’un chef de gouvernment en exercice. Affronter l’opinion, faire baisser les salaires des fonctionnaires, avoir pour seul discours et pour seule perspective la nécessité de se serrer la ceinture est invivable pour un peuple comme pour ses responsables politiques. Aucune majorité n’y résisterait.

Sept gouvernements européens sont déjà tombés en raison de la crise des finances publiques qui ravage le continent. Le fait que le chef du gouvernement cherche un nouveau souffle démocratique en convoquant le peuple à un référendum n’est pas critiquable sur le plan démocratique : il cherche à se relégitimer devant le peuple (puisque plusieurs députés le lâchent) et à obtenir un signe de l’opinion. A défaut, il verrait de toute façon sa majorité s’effriter de jour en jour et, au fil des restrictions, le gouvernement finirait par tomber. Il n’est même pas sûr qu’il ne tombe pas dès cette fin de semaine…

3. Ce que vit la Grèce est prototypique de ce qui menace d’autres Etats, seules sa petite taille et une longue tradition de « combines » expliquent pourquoi c’est plus dramatique qu’ailleurs. La crise grecque révèle les insuffisances endémiques de l’Europe, ses défauts et ses faiblesses systémiques. Lancer le haro sur la Grèce est un moyen hypocrite de désigner un bouc-émissaire pour ses propres maux. Fondre sur Papandreou aujourd’hui n’expliquera pas pourquoi on a tant tardé à réagir depuis début de cette tourmente, en février 2010, ni pourquoi il n’y a plus d’affectio societatis européen.

4. Le sentiment d’un destin commun, d’un contrat de progrès, d’une communauté d’avenir s’est volatilisé. Au fur et à mesure que les niveaux de vie européens baissent, que les populations démunies souffrent, que les laissés pour compte voient leurs rangs augmenter, la sensation – naguère si rassurante – d’une prospérité générale, susceptible de compenser les déboires individuels, disparaît. L’Europe des valeurs sociales fout le camp, l’Europe politique lui emboîte le pas. En écho, les populismes ne cessent de monter, lesquels se fondent précisément sur le sentiment anti-européen. Cercle vicieux infernal dont il ressort un risque réelle de « renationalisation ». Donc, insulter Papandreou, attaquer les pays du « Club Med », est en soi une destruction de l’esprit européen.

5. La manoeuvre politique de Papandreou est cousue de fils blancs, mais elle n’est en rien différente du raisonnement politicien qui anime tous les dirigeants de l’Union. Le Premier ministre grec, hors d’haleine, cherche à se maintenir par une double tactique. D’une part, il contourne et ligote les lobbies anti-réformes (des jeunes gauchistes libertaires à l’Eglise orthodoxe en passant par les armateurs) et les politicards de tous bords qui veulent sauver leurs privilèges fiscaux ou leur siège en focalisant toute la colère populaire sur Papandreou. D’autre part, il prend le peuple en otage en le forçant à approuver le plan de sauvetage européen et à valider l’extrême rigueur qu’il induit. Si jamais les Grecs votaient « non », cela entraînerait la sortie de la Grèce de la zone euro, or le peuple grec est extrêmement attaché à l’euro. En résumé, ou bien vous soutenez le plan et vous reconduisez Papandreou, ou bien vous serez privé d’euro!

Il n’est pas complètement honnête de s’en prendre violemment au premier ministre grec, disais-je donc… Mais, il n’est en rien honnête de prendre ses partenaires par surprise, comme l’a fait Papandreou.

Le chef du gouvernement grec a fait preuve d’une grande et authentique fourberie en ne prévenant personne de son initiative de référendum, d’autant plus que ce dernier ne devrait avoir lieu qu’au début de l’année 2012, ce qui suppose encore des mois d’agitation et d »incertitide. Un excellent connaisseur de l’Europe, Jean-Dominique Giuliani, rappelle que la manière dont il a procédé est contraire, non seulement à l’esprit européen, mais aussi au principe de coopération loyale rappelé à l’article 4 du Traité sur l’Union européenne: « Les Etats membres facilitent l’accomplissement par l’Union de sa mission et s’abstiennent de toute mesure susceptible de mettre en péril la réalisation des objectifs de l’Union ». Il n’était pas nécessaire de rajouter une couche d’irresponsabilité au désordre actuel.

Papandreou portera la marque de celui qui a brisé la solidarité européenne alors que celle-ci venait juste de s’exprimer, oh combien douloureusement, au bénéfice de son pays. Ce n’est pas là l’attitude d’un grand homme d’Etat. Heureusement qu’il n’y a qu’un seul Papandreou en Europe. Mais est-ce si sûr?…

Lexpress.fr



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