© iStock

Une ancienne cadre chez Google et Apple: « La Silicon Valley pirate nos cerveaux »

Le Vif

Nous sommes de plus en plus nombreux à nous inquiéter de notre dépendance au smartphone. « Cela n’a rien de surprenant » nous dit cette ancienne cadre de chez Google et Apple. « La technologie nous programme à être dépendant et malheureux. »

Ellen Petry Leanse était la patronne du Global Marketing Communications chez Google. Elle a également aidé à mettre sur pied les premières communautés en ligne chez Appleoù elle a travaillé au côté de Steve Jobs. Elle travaille actuellement pour la Stanford University et a été classée, en 2012, parmi les femmes les plus influentes de la Silicon Valley.

Dans son livre qui vient de paraitre, ‘The Happiness Hack’, elle revient de façon critique sur Facebook, Google, Twitter et autre. Elle nous montre aussi comment on peut rependre sa vie en main. Nous sommes en effet de plus en plus à vouloir réduire notre usage du smartphone. Ce qui est une bonne nouvelle, selon Ellen Petry Leanse. « Les smartphones et les médias sociaux nous causent plus de stress que nécessaire »

Comment est-ce possible ?

La technologie attire continuellement notre attention et nous rend très malheureux. Les ingénieurs de ces géants de la technologie savent très bien comment nous garder dans leurs filets. Ils jouent sur des mécanismes profondément enfouis en nous. Les concepteurs de produits numériques exploitent des cycles chimiques dans notre cerveau. C’est de cette façon qu’ils nous rendent accros. La Silicon Valley nous pirate le cerveau. Une de ces entreprises a comme slogan « Nous modelons les esprits ». Horrible, n’est-ce pas?

Comment a-t-on pu en arriver là ?

Au début, tout semblait fantastique. C’était novateur et nous étions tous extrêmement enthousiastes. La première fois que vous avez eu un smartphone entre vos mains, un tout nouveau monde s’est ouvert à vous. Ce n’est qu’ensuite que les aspects moins agréables sont apparus. Aujourd’hui, on perçoit les côtés néfastes. La technologie fait que nous sommes, en moyenne distrait de nos tâches, toutes les 11minutes. Il y a cinq ou six ans, ce n’était que toutes les dix-huit minutes, voire moins. Avec pour résultat que les États-Unis n’ont jamais eu des jeunes aussi malheureux qu’aujourd’hui. Cela m’a fait réfléchir. Est-ce le futur que nous voulons? Je ne pense pas.

Vous n’êtes pas la seule à vous faire du souci à la Silicon Valley.

Non. Il y a de plus en plus de critiques en interne. C’est une bonne chose. Il y a, entre autres, James Williams, un ingénieur de Google qui a quitté l’entreprise et qui dit maintenant exactement la même chose que moi. Sean Parker, l’un des fondateurs de Facebook, a également critiqué l’impact sur le cerveau des jeunes et des enfants. Avec tous un même message : nous devons reprendre le contrôle.

Facebook, Google et les autres peuvent-ils entendre les critiques ?

Oui. Le New York Times a publié un article qui demande à Apple de créer des dispositifs moins addictifs. Cela illustre le climat dans lequel nous sommes en ce moment. Nous nous trouvons à un tournant. Les grandes entreprises technologiques savent qu’elles ne peuvent pas continuer ainsi sur le long terme. On ne peut permettre à la technologie d’impacter autant nos vies.

Que pensez-vous de la déclaration de Mark Zuckerberg qui a dit qu’il préférait que les gens passent moins de temps sur Facebook mais plus qualitatif ?

La question est de savoir ce que cela représente dans les faits. Un critique a même comparé cela avec un réarrangement des sièges sur le Titanic. Je pense néanmoins que c’est un pas dans la bonne direction. Cela démontre bien que Facebook se rend compte qu’il doit changer. On ne peut cependant pas s’attendre des changements rapides. Cela se fera étape par étape.

Le professeur belge Lieven De Marez (UGent/Imec) propose d’interdire les smartphones à l’école.

Interdire n’est pas la façon la plus sensée de régler le problème. Je pense qu’il est préférable d’expliquer aux enfants comment fonctionnent les smartphones et de quelle façon ils nous affectent. Nous devons leur montrer ce qu’ils ratent lorsqu’ils passent trop de temps sur leurs appareils. De cette façon, vous leur inculquez également qu’ils doivent réfléchir sur leur propre comportement.

Nous serions six sur dix à nous imposer des règles en ce qui concerne notre usage du smartphone.

C’est comme ça que ça devrait être. Je me suis aussi imposé des règles claires. Dans le passé, j’avais l’habitude d’aller sur mon téléphone portable le matin pour consulter mes emails et les réseaux sociaux. C’est une routine à laquelle j’ai délibérément renoncé. Il ne faut pas sous-estimer l’effort que cela demande, car nous sommes véritablement accros. Maintenant, je m’oblige à ne pas regarder mon smartphone pendant les trente premières minutes de la journée. Je n’utilise plus non plus mon smartphone ou ne regarde plus les médias sociaux en fin de journée. Une fois par semaine – et plus récemment plusieurs fois par semaine – je me ferme à la technologie pendant trois heures. De cette façon, je peux mieux me concentrer sur mon travail. Les week-ends je délaisse aussi mon smartphone. C’est extrêmement libérateur. Il m’arrive d’être tenté, mais alors je me dis: « Je suis piraté par la technologie ». De quoi me donner la force de résister. Cela semble un peu fou, mais ça marche (rires).

Vous avez travaillé avec Steve Jobs. C’était comment ?

Steve était un homme formidable. Et pas un jour ne passe sans que je ne pense à lui. C’est triste que tellement de gens pensent que c’était un salaud et que beaucoup estiment que c’est ce qu’il faut pour être le meilleur. Ce n’est pas vrai. Steve pensait que les gens s’imposaient trop de restrictions. Il arrivait qu’il attire leur attention sur ce point. Parfois de manière aimable et parfois de façon un peu plus abrupte.

Ironiquement, il avait lui-même perçu l’influence négative de la technologie et gardé ses propres enfants loin des appareils qu’il a créés.

Il voulait surtout empêcher la technologie de prendre le contrôle de leurs vies. Je pense qu’il a eu le bon réflexe. C’est à nous de prendre nos distances, de redéfinir notre attitude face à la technologie et d’expliquer à nos enfants pourquoi ils devraient parfois mettre leur smartphone de côté.

Dominique Soenens

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire