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Un pont pour relier l’Arabie Saoudite et l’Égypte

Le Vif

L’Égypte et l’Arabie saoudite se sont mises d’accord pour construire un pont sur la mer Rouge reliant les deux pays. Un projet extravagant qui vient une nouvelle fois illustrer le soutien apporté par Riyad au régime du président égyptien Abdel Fattah al-Sissi.

Le projet a été dévoilé par le roi Salmane d’Arabie saoudite, au deuxième jour de sa visite au Caire, peu avant la signature de plusieurs accords et mémorandums d’accord pour une valeur totale de plusieurs centaines de millions de dollars.

Riyad compte parmi les principaux soutiens du président Sissi et, depuis que l’ex-chef de l’armée a destitué en 2013 son prédécesseur islamiste Mohamed Morsi, l’Arabie saoudite a injecté des milliards de dollars en aide dans une économie égyptienne en lambeaux.

« Je me suis mis d’accord avec mon frère, son excellence le président (Sissi) pour la construction d’un pont entre nos deux pays », a indiqué le roi d’Arabie lors d’une conférence de presse. Sa visite au Caire était la première depuis son intronisation début 2015.

« Cette décision historique, qui va relier les continents africain et asiatique, est un saut qualitatif qui va augmenter les échanges commerciaux entre les deux continents à des niveaux sans précédent », a souligné le monarque.

M. Sissi, tout sourire aux côtés du souverain, a ensuite proposé que le pont porte le nom du roi Salmane ben Abdel Aziz. Peu auparavant, il avait remis au monarque la plus haute décoration conférée par l’État égyptien, l’ordre du Nil.

Aucun détail n’a cependant été donné sur l’emplacement exact du pont ni la date à laquelle devrait débuter sa construction. Un tel projet avait déjà été évoqué par le passé, notamment sous l’ex-président Hosni Moubarak, renversé en 2011.

Des milliers de touristes saoudiens se rendent chaque année en Égypte, tandis que des milliers d’Égyptiens effectuent chaque année le pèlerinage à La Mecque. Le riche royaume pétrolier accueille par ailleurs des centaines de milliers de travailleurs égyptiens.

‘Fraternité et solidarité’

Les deux chefs d’État ont ensuite assisté à la signature de 17 accords et mémorandums d’accord.

Parmi les projets annoncés, figurent la construction d’une centrale électrique à l’ouest du Caire d’une valeur de 100 millions de dollars (87,6 millions d’euros), ainsi que la construction de « neuf complexes résidentiels » dans la péninsule du Sinaï pour un coût total de 120 M USD (105 M EUR), selon un communiqué gouvernemental.

Les deux parties ont également signé un accord de 250 M USD (219 M EUR) pour la création d’une « université Salmane Ben Abdel Aziz », dans la ville d’Al-Tur, dans le sud du Sinaï.

L’ambassadeur saoudien au Caire Ahmed Qattan a indiqué pour sa part sur Twitter que des accords d’investissements, « d’un montant surprenant », seraient également signés samedi.

Mercredi, un responsable du gouvernement égyptien avait indiqué que les deux pays signeraient au cours de cette visite des accords d’une valeur totale de 1,7 milliard de dollars (1,4 milliard d’euros).

Dans la soirée, le monarque a rencontré le cheikh Ahmed Al-Tayeb, grand imam d’Al-Azhar, prestigieuse institution de l’islam sunnite. Ils ont discuté « des moyens de renforcer la coopération et la coordination pour propager un (islam) modéré et la lutte contre l’extrémisme et le terrorisme », selon un communiqué de l’institution.

Pour l’Arabie saoudite sunnite, l’Égypte reste un allié stratégique, au moment où Riyad connaît de graves tensions avec l’Iran chiite, en rapport notamment avec les conflits en Syrie et au Yémen.

L’Égypte avait annoncé en mars 2015 que son aviation et sa marine participaient à la coalition arabe menée par les Saoudiens contre les rebelles chiites au Yémen, et s’était engagée à mettre des troupes à disposition pour une intervention au sol si nécessaire.

La presse égyptienne a cependant évoqué ces derniers mois des tensions avec Riyad, notamment en raison de la réticence égyptienne à s’engager activement dans la coalition.

« La nature privilégiée des relations Égypto-Saoudienne (…) nous permettra de faire face ensemble aux défis communs et de lutter contre quiconque essaie de porter atteinte à la sécurité arabe », a tenu à souligner M. Sissi vendredi, soulignant les liens « de fraternité et de solidarité » entre les deux pays.

La rétrocession de deux îles à l’Arabie saoudite fait des vagues en Égypte

La décision de l’Égypte de rétrocéder à l’Arabie saoudite deux petites îles au large de la péninsule du Sinaï provoque des remous sur les réseaux sociaux et dans les médias.

Des internautes accusent le gouvernement de troquer ces deux îles de la mer Rouge à l’entrée du golfe d’Aqaba contre le soutien sonnant et trébuchant de Riyad.

Dans la rue en revanche, aucun mouvement d’humeur ne transparaissait chez les Égyptiens, dans un pays en grandes difficultés économiques et devant faire face au renchérissement quasi quotidien des produits de première nécessité.

« Notre problème n’est pas avec celui qui achète, il sait où est son intérêt, notre problème est avec celui qui vend », a lancé sur Twitter le célèbre humoriste Bassem Youssef, qui ironise: « approche, approche mon pacha, l’île est à un milliard, les pyramides à deux, avec en cadeau deux statues ».

En réaction aux critiques, le gouvernement affirmait samedi dans un communiqué que l’Arabie saoudite « avait demandé en 1950 à l’Égypte d’assurer la protection des deux îles » qui lui appartenaient. Des experts assurent également qu’elles étaient alors bel et bien situées dans les eaux territoriales saoudiennes.

Importance symbolique

« On a le droit de refuser le manque de transparence du gouvernement égyptien » a tempéré dimanche sur Twitter le politologue Amr Hamzawy, d’ordinaire critique du pouvoir. « Mais l’accuser de céder un territoire sans prendre en considération l’histoire et la position des deux îles, c’est faire preuve d’un manque d’objectivité », a-t-il ajouté.

Pour certains Égyptiens, les deux îles ont une importance symbolique, liée aux quatre guerres ayant opposé leur pays à Israël. Situées stratégiquement à l’entrée du golfe d’Aqaba, elles permettent de contrôler l’accès au port israélien d’Eilat grâce au détroit de Tiran.

C’est la fermeture de ce détroit par le héraut du panarabisme Gamal Abdel Nasser qui avait précipité la guerre israélo-arabe de 1967, permettant à Israël d’occuper la péninsule du Sinaï, ainsi que les deux îles stratégiques. L’accord de paix de Camp David signé en 1979 par les deux belligérants autorisa l’Égypte à récupérer ses territoires, mais lui interdit d’y installer des troupes.

L’Arabie saoudite s’est engagée à respecter « tous les accords » concernant les deux îles, mais le Parlement égyptien doit encore approuver le transfert des deux territoires, prévu dans un accord de démarcation des frontières maritimes signé lors de la visite du roi Salmane.

Le texte s’appuie sur un décret présidentiel de l’ancien président Hosni Moubarak, renversé en 2011 par une révolte populaire, et qui avait déjà validé en 1990 le transfert des deux îles en en informant d’ailleurs les Nations unies, a insisté le gouvernement.

‘Aspirations du pouvoir saoudien’

« L’erreur du gouvernement, c’est qu’il n’a pas informé le peuple que des discussions étaient en cours avec l’Arabie saoudite pour démarquer les frontières », estime Mustapha Kamel al-Sayyid, professeur de sciences politiques à l’Université américaine du Caire. « Ni sous Moubarak, ni sous Sissi », souligne-t-il.

Selon lui, « cet accord répond aux aspirations du pouvoir saoudien, qui veut présenter le royaume comme la première puissance du Moyen-Orient ».

L’Arabie saoudite sunnite est en effet engagée dans un bras de fer sans précédent avec un autre poids lourd de la région, l’Iran chiite, pour conserver son influence au Moyen-Orient, les deux puissances s’affrontant dans des guerres par procuration au Yémen et en Syrie.

L’importance des deux îles, qui ne sont pas habitables, « est plus historique qu’autre chose » tempère aussi le journaliste et analyste saoudien Jamal Khashoggi. « Maintenant nous avons les îles » et la démarcation « permettra d’éviter des disputes dans le futur », dit-il, avant de lancer: « peut-être allons-nous découvrir demain un champ pétrolifère ou gazier ».

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