© Montage Belga/F.Pétry/Hans Lucas

Un islamologue réagit aux contradictions de Ramadan : « Il a instauré un système maraboutique »

Le Vif

L’islamologue Haoues Seniguer, maître de conférences en sciences politiques de Lyon, décrypte les ambivalences du discours de Tariq Ramadan.

De nombreux observateurs, dont vous-même, décèlent depuis longtemps une ambivalence dans le discours de Tariq Ramadan. A quoi la notez-vous ?

Tariq Ramadan s’adresse aux musulmans de l’Europe de l’Ouest et de l’Amérique du Nord, tout en s’inscrivant dans la ligne des Frères musulmans. Il doit donc s’efforcer d’atténuer la part d’ambivalence inhérente à son approche. Prenez la question du voile. Sa position a toujours été de dire que la femme est libre de le porter ou non, mais qu’il vaut mieux qu’elle le porte pour être pleinement musulmane. Nul ne sait ce qu’il pense, lui, sur le fond, de ce que dit le Coran sur la nécessité pour une femme de se couvrir. Un vrai libéral se prononcerait sur ce point. En outre, son interprétation restrictive du texte coranique entre en écho avec celle des théologiens les plus conservateurs. On voit bien qu’il veut à la fois répondre au public européen, qui s’interroge sur la fonction du foulard, sans heurter le magistère musulman, qui définit le port du foulard comme une obligation.

Il joue sur deux tableaux ?

Oui, mais d’une manière habile. Son discours n’impose rien. En revanche, son interprétation restrictive fait peser un poids moral sur les femmes qui ne portent pas le voile. Cette question, on le sait bien, est délicate : certaines femmes acceptent des compromis en ôtant leur hijab sur leur lieu de travail, d’autres croient qu’elles commettraient quelque chose de grave en agissant ainsi. Sur ce sujet, Ramadan a maintenu les femmes dans une forme de culpabilité.

Sur la sexualité, ses propos sont très rigoristes, la pureté et l’éthique y occupent une place prépondérante…

Oui, il a toujours prôné la non-mixité, considérant qu’une trop grande proximité entre hommes et femmes était néfaste pour l’intégrité des croyants. Ce qui crée pour le moins un contraste avec les témoignages des nombreuses femmes qui disent aujourd’hui avoir été ses maîtresses. Le problème est que Ramadan n’est pas un anonyme : il a un public, des fidèles. Sa parole est contraignante, parce qu’il a une autorité morale.

Comment définiriez-vous sa vision de l’islam ?

C’est un islam identitaire, conservateur et intégraliste. Pour Tariq Ramadan, l’islam est moins une religion ou une spiritualité qu’une identité. Il reproche aux politiciens d’ethniciser les questions sociales, mais il ne fait que cela, en tenant des discours appelant les musulmans à se référer à un islam conservateur globalisant. Il propage l’idée d’une identité musulmane assiégée, tout en laissant entendre que l’islam pourrait être une solution aux problèmes d’un Occident matérialiste en perdition. Les contradictions ne le dérangent pas : comment lui, le prédicateur qui tient un discours tiers-mondiste et anti-impérialiste dans les quartiers, a-t-il pu aller fonder en 2012 le Centre de recherche sur la législation islamique et l’éthique au Qatar, une monarchie ultraconservatrice du point de vue de l’islam, qui est aussi le temple du néolibéralisme ?

Ses partisans n’ont pas vu toutes ces contradictions et ces ambiguïtés ?

Non, car il a instauré un système maraboutique, dans lequel tout ce qu’il dit est reçu comme parole de vérité. Ramadan n’a pas entretenu un public de musulmans critiques, mais des disciples prêts à tout pour le défendre, y compris dans une situation comme celle d’aujourd’hui, qui lui est totalement défavorable du point de vue de la justice.

Personne ne lui a disputé son statut de prédicateur star ?

Rares étaient ceux qui pouvaient tenir un discours articulé sur l’islam dans les années 1990. La concurrence a émergé dans la décennie 2000, mais il avait déjà fidélisé une clientèle. Pour moi, Ramadan est un essayiste et un tribun. Et sur le fond, c’est un sophiste, au sens platonicien du terme : il ne recherche pas la vérité, il joue sur les apparences.

Par Claire Chartier.

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