Vladimir Poutine © AFP/Getty Images

Un dimanche soir avec Vladimir Poutine: l’émission télévisée qui doit lui rendre sa popularité

La télévision publique russe lance une émission qui suit Vladimir Poutine de près. C’est là une énième tentative maladroite d’accroître la popularité déclinante du président.

Le dimanche soir représente un défi pour tous les patrons de télévision. Vaut-il mieux focaliser sur la valeur ajoutée ou le divertissement léger? En Russie, cette discussion semble réglée depuis dimanche dernier. La chaîne de télévision publique Pervyj Kanal a lancé une toute nouvelle émission baptisée « Moscou. Kremlin. Poutine » visant à informer le téléspectateur du bien-être du président russe. Une équipe de tournage suit le président russe dans ses pérégrinations à travers l’immense Russie. Dans l’intervalle, le présentateur Vladimir Solovyov parle à l’entourage présidentiel depuis un immense studio de télévision désert.

Inlassablement, le président visite des travaux d’infrastructure, instruit les gouverneurs locaux sur les lois de la bonne gouvernance et discute avec l’homme de la rue. Le comble du premier épisode est sans aucun doute le reportage du voyage de camping annuel de Poutine dans la République de Touva, où, en compagnie du ministre de la Défense Sergueï Choïgou et du directeur du FSB Alexandre Bortnikov, il profite de la nature. Pour les passionnés du genre, cette excursion fournit chaque année des images qui oscillent entre machisme pathétique et maladresse extrême. Poutine marchant sur une colline au milieu d’un paysage accidenté. Poutine faisant du thé avec de la bruyère locale. Poutine cueillant des champignons. Poutine observant une chèvre de montagne avec des jumelles.

Le timing de la nouvelle émission ne doit rien au hasard. Le 14 juin, au tout début de la Coupe du monde, le gouvernement russe a annoncé une réforme à grande échelle des retraites, qui relève sensiblement l’âge de la retraite. Pour les hommes, l’âge de la retraite passe de 60 à 65 ans, pour les femmes initialement de 55 à 63 ans, bien que Poutine ait indiqué la semaine dernière que les femmes ne devraient travailler que jusqu’à leur soixantième anniversaire.

Il ne faut pas s’étonner que la décision ait été particulièrement impopulaire auprès de la population russe. C’est pourquoi la réforme a été initialement présentée comme un travail du gouvernement dirigé par le président Dmitri Medvedev. La popularité de Medvedev et du gouvernement – qui, contrairement à Poutine, a été faible pendant de nombreuses années – a chuté. Mais la popularité de Poutine – qui jusqu’à la semaine dernière se tenait loin du dossier sensible – a également chuté. Là où la cote de popularité de Poutine oscille généralement autour de 80%, elle est tombée à 67% en un mois. Le lancement du programme est donc considéré comme une réponse à ces chiffres en baisse.

Un homme bon qui sait tout faire

Il va sans dire que la nouvelle série télévisée ne donne aucun aperçu de la vie réelle de l’homme le plus puissant de Russie. Poutine est peut-être l’homme le plus médiatisé du pays, mais on ne sait presque rien de sa vie en dehors de ses interventions officielles. Fondamentalement, « Moscou. Kremlin. Poutine » ne parle pas de qui est Poutine, mais de qui Poutine souhaite être.

Car contrairement à ce que les Occidentaux pensent parfois, Poutine n’est pas le pire. C’est ainsi que nous apprenons que le président aime énormément les enfants. Les louanges les plus embarrassantes proviennent de Dmitri Peskov, secrétaire de presse présidentiel depuis des années. « Le président n’aime pas seulement les enfants, mais les gens en général », déclare Peskov. « C’est une personne très humaine. »

Plus frappant et pathétique encore que les louanges omniprésentes de l’humanité de Poutine est l’insistance sur la condition physique bestiale de l’homme. Ainsi, Peskov révèle que le président nage au moins un kilomètre par jour. Impressionnés, des journalistes parlent du programme de travail meurtrier de Poutine: « Je ne comprends même pas comment il tient le coup ». Cholban Kara-ool, le gouverneur de la région où Poutine effectue son voyage de camping annuel, se plaint que deux jours après ses efforts frénétiques pour suivre le président, il avait toujours mal aux pieds.

Depuis des années, la rumeur enfle sur la condition physique déclinante du président. Aux occasions officielles, le président donne parfois l’impression d’avoir du mal à se déplacer. Lors de son État de la nation annuel début mars, il souffrait d’une infection pulmonaire. Pour un homme de son âge – Poutine fête son 66e anniversaire en un mois – ce n’est pas illogique, mais pour le régime, c’est un désastre. Dans le système de pouvoir actuel, Poutine est irremplaçable jusqu’à nouvel ordre. Il est le seul membre du gouvernement russe à jouir d’une légitimité auprès d’une large couche de la population. Il est, pour utiliser le vieux proverbe, le bon tsar qui sonne les cloches aux mauvais boyards.

C’est pourquoi le choix de soutenir la popularité de Poutine par le biais d’un docu-soap flatteur est remarquable. Officiellement, depuis sa réélection en mars, Poutine exerce son dernier mandat de président. Jusqu’à présent, il n’a indiqué en aucune manière qu’il avait l’intention de se succéder à lui-même. Après, il n’y a rien de plus facile pour Poutine que de contourner la constitution et de prendre un mandat en plus. Cependant, le problème demeure qu’un jour Poutine ne sera plus là, ne serait-ce que parce que, jusqu’à nouvel ordre, il est un être humain, donc mortel.

Si le régime veut survivre après Poutine, il devra donc trouver une nouvelle base de légitimité. Poutine est la seule entité au sein du système politique à trouver un soutien au sein d’une large partie de la population. Des institutions telles que la Douma, les services de sécurité ou le pouvoir judiciaire n’ont pas cette légitimité. La réputation du parti Russie unie de Poutine est si mauvaise que Poutine a participé en tant que candidat indépendant aux élections, par crainte que cette fâcheuse réputation ne contamine sa candidature.

Dans ce contexte, « Moscou. Kremlin. Poutine » est un signe de faiblesse énorme. C’est un signal que le régime, malgré tous les contrôles des médias et les instruments autoritaires, n’a pas de réponse réelle à la question de ce qui se passera après la disparition de Poutine. Là où le système, dans ses tentatives de survie, devrait se déconnecter de l’attention étouffante sur la vie et l’oeuvre d’un président infatigable, il se rapproche justement du bon tsar. Comment continuer après Poutine? Tant qu’il n’y aura pas de clarté sur cette question fondamentale, les Russes entendront le dimanche soir que leur chef est « une personne humaine » qui aime les gens. On a hâte d’être à la semaine prochaine.

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