© PHILIPPE CORNET

Un Cohen spirituel

Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

Leonard Cohen aimait rire tout autant qu’immerger ses chansons dans le vaste champ de la judaïté. Un livre signé Liel Leibovitz décrypte création et mysticisme.

Allia est cette maison d’édition française qui recueille le meilleur de la prose internationale sur la musique, via des livres – considérés comme bornes fondamentales – signés Nick Tosches, Simon Reynolds ou Jon Savage. L’ouvrage de Liel Leibovitz ne dépareille pas cette réputation éditoriale, retraçant les liens entre vie, croyances et art de Leonard Cohen (1934-2016). Certes pas le premier à traquer la place fondamentale du sacré dans le parcours du crooner canadien, Leibovitz en fait une sorte de mix entre le chemin de Damas et la route pavée d’or. Comme si la judaïté était pour Leonard un obligatoire miroir à double face : puissante pulsion de vie mais aussi manteau d’une mélancolie ontologique.

L’auteur a eu accès aux 140 cartons des archives personnelles du chanteur conservées à l’université de Toronto, y compris une correspondance chargée d’inédits. La moitié de son livre se penche d’ailleurs sur les trente premières années de Cohen, de sa naissance dans une famille aisée et croyante de Montréal à son passage (tardif) à la musique, son premier album sortant alors qu’il a déjà l’âge du Christ sur la croix. On en apprend beaucoup sur l’enfance montréalaise et l’influence majeure de la poésie – via les canadiens Layton et Klein – mais aussi sur les blessures amoureuses de celui qui n’a qu’un choix :  » être artiste ou prophète « . On (re)découvre aussi la fougue romanesque d’un poète rapidement adoubé par exemple pour le récit d’un voyage à Cuba en 1961 où Leonard se retrouve en touriste fouineur du mythe Hemingway, alors que les anticastristes débarquent à la Baie des Cochons. Un Cohen barbu qui passe tout près de l’accusation d’espionnage au profit des Américains, là encore, s’échappant du piège par l’art nourri du dialogue.

Chevauchant un canasson blanc

Si l’écriture dense de Leonard contraste avec son allure de dandy apparent, Leibovitz revient assez justement sur le déclencheur de ses envies de musique : Bob Dylan. Leibovitz raconte cette scène hilarante où, au coeur des années 1960, Leonard fait écouter les albums de l’autre juif errant à ses copains littéraires de Montréal. Une initiative qui se solde par un four total. Défiant les pronostics, Cohen devient donc à son tour le narrateur suprême du questionnement en chansons, historien de ses propres rébus. Quitte à passer par les contradictions qui définissent la star attitude, comme lorsqu’à l’été 1970, il décide de monter sur la scène du festival d’Aix-en-Provence, chevauchant un canasson blanc. Pour le public gauchiste, ce riche Canadien séjournant en Grèce – alors soumise au régime des colonels – n’est qu’un autre bourgeois décadent. Instantané évidemment tronqué puisque Cohen le provocateur sera, dans les années suivantes, Leonard le zen. Même s’il escamote assez vite les vingt dernières années, l’ouvrage rend bien le permanent défi au temps du chanteur, celui-ci mixant de façon étroite et continue le plaisir et la douleur.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire