Gérald Papy

« Trump dénature la vocation originelle des Etats-Unis, par excellence foyer de toutes les immigrations »

Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

En moins de deux semaines, le 45ème Président des États-Unis a pris plusieurs décisions controversées, qui n’ont pas tardé de faire réagir l’opinion, tant nationale qu’internationale. La rupture était attendue. Mais peu imaginaient que le choc serait aussi rude.

En quinze jours, depuis son investiture, Donald Trump a réussi à mobiliser dans les rues des centaines de milliers de femmes et de défenseurs de leur cause. Il a provoqué une crise diplomatique avec le Mexique autour de la construction du mur frontalier et suscité la consternation des protecteurs de l’environnement en raison du feu vert accordé à la construction de deux oléoducs. Il a alarmé les défenseurs de la démocratie en élargissant les pouvoirs de son conseiller d’extrême droite Steve Bannon. Et son décret anti-immigration a suscité l’indignation jusque dans les rangs du Parti républicain.

L’interdiction signifiée aux ressortissants de sept pays musulmans (Irak, Iran, Libye, Somalie, Soudan, Syrie, Yémen) d’entrer aux Etats-Unis est motivée par des raisons de sécurité, pour une période de nonante jours, dans l’attente de contrôles renforcés. Protéger les Américains, vraiment ? L’Arabie saoudite, les Emirats arabes unis, l’Egypte et le Liban, d’où provenaient les terroristes des derniers attentats organisés sur le sol américain depuis l’étranger, le 11 septembre 2001, ne figurent pas sur cette liste. Pas plus, si l’on suit la justification avancée, que les pays d’origine, le Pakistan et l’Afghanistan, des auteurs américains des fusillades à motivation islamiste de San Bernardino et d’Orlando. Du reste, dans l’incertitude des dispositions qui seront prises à l’issue de la période transitoire, le problème réside plus dans le message que renvoie la politique de Donald Trump que dans l’efficacité, très hypothétique et ponctuelle, de cette mesure.

En stigmatisant les musulmans de façon indistincte, le nouveau président américain se prive d’alliés dans la lutte contre le terrorisme islamiste dont les principales victimes sont musulmanes. Il offre sur un plateau d’argent des arguments supplémentaires aux recruteurs de Daech ou du Front al-Nosra pour étoffer leurs rangs. Il accroît donc la menace qui pèsera demain sur les Américains ou leurs intérêts à travers le monde. Surtout, en dérogeant à la tradition d’accueil des Etats-Unis, il dénature la vocation originelle de l’Etat, par excellence foyer de toutes les immigrations et chantre de la liberté religieuse. Et, in fine, en décrédibilisant le modèle civilisationnel américain et en réduisant l’influence de son soft power, il affaiblit le pouvoir de la première puissance mondiale dont il exhortait à restaurer la grandeur de manière quasi messianique.

L’épisode conduit même à se demander si la raison n’a pas déserté la Maison-Blanche quand son porte-parole Sean Spicer, pour justifier la pertinence du décret anti-immigration, invoque l’attaque meurtrière contre des fidèles de la principale mosquée du Québec par un étudiant blanc d’extrême droite. Passés l’incrédulité puis l’effarement, le discours postvérité ou les  » faits alternatifs  » revendiqués par Donald Trump et ses conseillers glacent d’effroi tant on pressent maintenant à quelles dérives il sont susceptibles de mener. S’il a une leçon à tirer de l’expérience canadienne, Donald Trump gagnerait à s’inspirer de son homologue Justin Trudeau. Participation à la coalition internationale contre Daech, générosité réfléchie à l’égard des réfugiés syriens, inclusion de la communauté musulmane et solidarité affichée après l’attentat, modernité démocratique… : pour autant, le Canada n’apparaît pas moins bien protégé que les Etats-Unis face au péril islamiste. Et lui ne brade pas ses valeurs.

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