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Toulouse: le récit d’un raté du Raid

L’État français voulait traduire Mohamed Merah en justice. Après 32 heures de négociations, le Raid n’a pas réussi à capturer vivant l’auteur présumé des tueries de Toulouse et Montauban. Récit.

C’est mardi vers 3h15 que tout commence. Les policiers du Raid se positionnent rue du Sergent-Vigné, autour d’un immeuble du quartier de la Côte-Pavée à Toulouse, où a été localisé, grâce à une adresse IP et au traqueur de son scooter T-Max, le suspect numéro un de la tuerie de Toulouse et des meurtres de militaires dans la région. Il s’appelle Mohamed Merah, il a 24 ans, et aurait participé au djihad à la frontière pakistano-afghane. Il se revendique d’Al-Qaïda. Ses motivations? Venger les enfants palestiniens, s’en prendre à l’armée française, pour sa présence en Afghanistan et protester contre l’interdiction du voile intégral. Merah, qui a tenté de s’engager dans l’armée, est déjà connu des services de police, pour différentes infractions commises sur le territoire national et est fiché à la DCRI.

Depuis l’Elysée, Nicolas Sarkozy suit les opérations minute par minute, en lien avec son ministre de l’Intérieur, Claude Guéant. Le Raid prévoit d’abord une intervention éclair. Mais c’est un échec. Des coups de feu sont échangés avant que le jour ne se lève. Trois agents du Raid sont blessés: l’un au genou, l’autre à l’épaule alors que le dernier est choqué par l’impact d’une balle dans son gilet pare-balles.

« J’entends les coups de feu. J’ai très très peur »

Très tôt, les services de police emmènent sa mère sur les lieux de l’intervention pour tenter de la raisonner. Mais celle-ci refuse de s’adresser directement à son fils, assurant qu’elle n’a aucune emprise sur lui. Elle quitte les lieux peu avant huit heures, est placée en garde-à-vue avec son fils Abdelkader et sa belle-fille. Les autres habitants de l’immeuble sont préoccupés. « Cela faisait deux jours que l’on s’inquiétait, l’école Ozar-Hatorah est dans notre quartier, à quelques centaines de mètres de la maison. Quand on a entendu les premiers coups de feu en pleine nuit, on a clairement paniqué », raconte une voisine à L’Express. Et d’ajouter: « On ne voit pas comment il pourrait s’en sortir ». Une déclaration prémonitoire, même si toute la classe politique est restée unanime jusqu’au bout: il fallait le prendre vivant pour qu’il soit jugé et interrogé.
Le dialogue se poursuit entre l’homme qui a revendiqué la tuerie de Toulouse et le Raid. Il échange une de ses armes, un colt 45, de calibre 11,43 mm – du même type que celle utilisée lors des trois fusillades – contre « un moyen de communication ». Mohamed Merah indique qu’il se rendra « dans l’après-midi », mais peu avant 11h, Claude Guéant indique que les pourparlers ont cessé avec le suspect cerné. C’est pour cette raison que le Raid prend la décision d’évacuer les habitants de l’immeuble par le toit grâce à une nacelle de pompiers. Ils sont ensuite évacués vers une caserne située à proximité.

Changement de stratégie

Il est midi. Le Raid se retrouve seul, en face-à-face avec Merah. Les policiers décident de faire sauter sa voiture, une Renault Mégane garée à proximité qui contient des armes et des explosifs, comme le tueur présumé l’a lui-même indiqué avant de se murer dans le silence. Des explosifs, « poudre noire » ou « lignite », sont également retrouvés dans la voiture de son frère, Abdelkader, lui aussi salafiste. Ce n’est que vers 13h10 que les discussions reprennent. Un peu après 14h, Nicolas Sarkozy arrive sur les lieux. A 14h18 exactement, BFM TV annonce l’arrestation de Mohammed Merah mais, quelques minutes plus tard, cette information est démentie par l’Elysée et par Claude Guéant.

Les négociations, « longues et difficiles » selon une source proche de l’enquête, se poursuivent. L’homme est très bavard et dévoile l’aspect violent de sa personnalité. Il affirme, selon François Molins, procureur de Paris, qu’il est fier « d’avoir mis la France à genoux » et qu’il n’a qu’un seul regret: « ne pas avoir fait plus de victimes ». Mais le principal suspect interrompt souvent les communications. La situation semble figée. Il ne cesse de repousser l’échéance de sa sortie, jusqu’à annoncer dans la soirée aux policiers qu’il ne se rendrait pas. Selon Claude Guéant, il menace même les forces de l’ordre de tuer ceux qui tenteraient de l’interpeller.

L’assaut éclair a échoué. Place désormais à la guerre des nerfs. L’objectif: créer un climat de tension pour le forcer à se rendre. Pour faire monter la pression, le Raid a tout d’abord coupé, vers 22 heures, l’électricité dans le quartier. Mohamed Merah a donc passé la nuit dans le noir le plus total. Une nuit d’autant plus pesante que le Raid n’a cessé de faire détoner de puissantes charges devant ses fenêtres pour l’empêcher de dormir et ébranler sa résilience. Vers 23h30, deux fenêtres de son appartement ont été brisées. L’objectif: lui faire peur évidemment, mais également laisser le vent s’engouffrer dans l’appartement pour que l’homme ait froid. D’autant que l’électricité, le gaz et l’eau ont été coupés. Il n’y a donc aucun moyen de se réchauffer. Mais l’homme résiste.

Assaut mortel

La matinée du mercredi se passe plutôt calmement. Les rumeurs sur la mort de Merah enflent: il n’aurait, en effet, plus donné de nouvelles depuis mardi vers 22 heures et aucun mouvement n’est perceptible dans l’appartement. Vers 10h30, une grenade est envoyée dans le logement par la police: aucune réaction.
Vers 11h30, le Raid prend alors la décision d’entrer par la porte et par les fenêtres. A ce moment-là, Mohamed Merah qui s’était retranché dans la salle de bains tire sur le Raid avec une extrême violence. « Je n’ai jamais vu un assaut d’une telle violence », aurait confié un homme du Raid à Claude Guéant. Le chiffre de 300 balles tirées est d’ores et déjà évoqué. La police réplique. Selon le ministre de l’Intérieur, le tueur présumé saute par la fenêtre – il habite au premier étage – tout en continuant à tirer. Il a probablement été abattu quelques secondes plus tard par le Raid, même si le ministre reste vague: « Il a été retrouvé mort au sol », déclare-t-il. Deux agents du Raid ont été légèrement blessés: l’un au pied et l’autre serait « choqué ».

LeVif.be avec Caroline Politi et Thomas Bronnec

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