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Syrie: Des frappes « symboliques », menées en violation du droit international

Les frappes menées samedi par les Etats-Unis, le Royaume-Uni et la France en Syrie sont « totalement contraires au droit international », analyse Olivier Corten, professeur de droit international à l’Université libre de Bruxelles (ULB). « Aucune justification juridique n’est possible, la seule justification est plutôt politique lorsque (les trois pays, ndlr) invoquent une dissuasion (du régime syrien) d’utiliser des armes chimiques. »

Les États-Unis, la France et le Royaume-Uni ont lancé samedi une série de frappes aériennes coordonnées contre des installations militaires du régime syrien. Ces interventions constituent des représailles à l’usage d’armes chimiques supposé par le régime syrien la semaine dernière à Douma. Une action dénoncée par la Syrie, la Russie ou encore l’Iran, qu’ils qualifient de violation de droit international.

« Ils ont tout à fait raison », explique Olivier Corten. Pour les Etats-Unis, le Royaume-Uni et la France, leurs frappes permettraient de dissuader le régime d’utiliser de telles armes à l’avenir. « Cela sonne un peu 19e siècle. On n’essaie même pas d’argumenter en droit. Les seules justifications possibles – une autorisation du Conseil de sécurité de l’Onu ou une légitime défense – ne collent pas donc on n’essaie même pas de les invoquer », poursuit-il.

Le même procédé avait été observé voici un an lorsque les Etats-Unis, seuls cette fois, avaient mené des frappes en Syrie en réaction à une autre attaque chimique supposée. A long terme, cette façon d’opérer pourrait avoir de sérieuses conséquences. « Le risque, en intervenant sans se justifier juridiquement, c’est que les autres agissent de la même manière », prévient M. Corten.

Il cite notamment l’intervention des Russes en Crimée ou en Géorgie, qui ont été dénoncées par les Occidentaux comme des violations aux normes internationales. « La différence ici est que ce sont des frappes assez limitées. Cela reste symbolique, c’est une démonstration de force » de la part des Occidentaux, souligne Olivier Corten. « Cela peut expliquer qu’on estime qu’il n’est pas utile de se justifier. »

Des conséquences

Néanmoins, « même si on peut être d’accord avec les motifs invoqués (l’utilisation d’armes chimiques, ndlr) sur le moment même, les relations internationales fonctionnent différemment. Si l’on commence à agir de cette façon, c’est la porte ouverte à l’instabilité », souligne le professeur de l’ULB. « On joue avec le feu. »

L’ambassadeur de Russie à Washington a notamment prévenu que de « telles actions appelleraient des conséquences » et l’Iran a mis en garde contre des conséquences régionales. Autre motif de mécontentement invoqué par la Syrie et ses alliés: les frappes occidentales interviennent quelques heures à peine avant le début d’une enquête de l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC) sur cette fameuse attaque perpétrée la semaine dernière. Un timing considéré comme interpellant, la Russie et la Syrie mettant en doute que cette attaque ait réellement eut lieu.

« Après la crise de 2013, lorsque des menaces de frappes avaient été émises à nouveau en raison d’une suspicion d’attaque chimique, la diplomatie russe avait oeuvré pour instaurer un mécanisme d’inspection de l’OIAC du démantèlement des armes chimiques auquel s’était engagé le régime syrien », explique M. Corten. « Ce démantèlement se poursuit selon les rapports de l’OIAC mais cinq ans après », il n’est toujours pas terminé. « On ne peut que constater un échec », déplore le professeur en droit international. « Que les Etats-Unis, le Royaume-Uni et la France court-circuitent ainsi des mécanismes qui visent justement à éviter l’utilisation de la force laisse plutôt rêveur », conclut-il.

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