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Syrie: comment Assad résiste-t-il encore?

Le pouvoir du régime syrien est contesté depuis plus de quatre mois. Mais sur place, les communautés et les clans traditionellement ralliés au pouvoir soutiennent encore le régime.

Interdit par le régime, les journalistes occidentaux suivent depuis la mi-mars les événements qui se déroulent en Syrie via des Observatoires des droits de l’homme basés à Londres, des blogs et des pages Facebook, mais disposent de peu d’éléments locaux. Une chercheuse à l’Institut français de géopolitique de l’Université Paris VIII, liée à la Syrie par sa recherche, nous confie des clés pour comprendre ce qui se passe en Syrie, depuis la mi-mars. Et notamment pourquoi une partie du pays continue de soutenir le régime.

Réfléchir « local »

Damas, la forteresse du régime. Les combats de rues et la répression n’ont pas épargné la capitale syrienne, mais la ville ne semble pas sombrer dans le chaos, les magasins lèvent à nouveau leurs rideaux, les Damascènes consomment, se promènent et continuent à vivre. « Certains Syriens commencent même à sortir de Damas, malgré les informations avérées ou non de violences sur les routes et dans certains quartiers », ajoute la chercheuse, qui effectue de nombreux aller-retour entre Damas et Paris.

Damas demeure un enchevêtrement de quartiers fidèles au régime; des quartiers sunnites, ceux des minoritaires arméniens, chrétiens, druzes et alaouites, et d’autres quartiers qui lui sont aujourd’hui hostiles. Parce que la communauté, le clan et la famille ont toujours été les verrous du régime, la citadelle tient encore grâce à des liens tissés depuis 1970 et constamment réactualisés par le régime alaouite.

A l’inverse Deraa a été la première ville à défier le régime. Pourquoi cette mobilisation? Deraa, à l’instar de nombreuses autres villes provinciales, n’a pas profité de l’ouverture économique en Syrie (lire l’encadré) et s’est trouvée marginalisée par rapport aux villes comme Damas ou Alep. Le malaise social et économique existe dans cette localité, face à un pouvoir politique incapable de réguler les dures conséquences de la loi du marché.

Mais Deraa est aussi un des bastions historiques du parti Baas, dont le vice-président syrien est originaire. Dès les premiers jours de la contestation, les manifestants protestaient contre un système politique corrompu et sécuritaire, mais les demandes de justices sociales figuraient également au premier rang des revendications.

La peur du chaos

Comment expliquer le soutien, passif ou actif, du régime par une partie de la population? Car ce soutien existe, malgré sa faible médiatisation dans les médias occidentaux. Un esprit de corps entoure le régime. Donner une voix à cette partie de la Syrie, permet de rendre compte des jeux de pouvoirs sur place.

Premier en lice, les privilégiés du régime, des élites d’Etat à la bourgeoisie dorée. Les minorités sont connues pour être des fervents alliés du régime alaouite, convaincues que celui-ci est le dernier rempart contre l’islamisation du pays et la guerre civile. Les privilèges ne sont pas la seule raison de leur soutien au régime selon Thomas Pierret, chercheur en sciences politique au Zentrum Moderner Orient (Berlin). Beaucoup d’autres alaouites et sunnites qui soutiennent le régime sont pauvres. « Ils pensent que l’alternative ne pourrait être que pire pour leur communauté. »

La peur du chaos, une donnée maintes fois mise en avant par la chercheuse que nous avons rencontrée. Les images du chaos irakien marquent les esprits de Syriens, amenés à côtoyer de nombreux Irakiens qui ont trouvé refuge en Syrie après le début de la guerre en Irak le 20 mars 2003. L’arrivée d’Hafez al-Assad, père du président actuel, avait mis fin à une valse de coups d’état dans le pays. Le régime actuel est donc perçu comme stable.

Plutôt qu’une révolution, certains espèrent des réformes de l’intérieur, promue par des acteurs syriens attachés à la souveraineté du pays et hostiles à toute ingérence étrangère, qu’elles viennent des opposants syriens de l’extérieur ou des pays occidentaux. La chercheuse ajoute que « le discours à l’extérieur n’a que très peu d’impact à l’intérieur du pays. C’est le rapport de force entre les communautés qui prévaut sur place ».

La stratégie du régime

Cogner pour dissuader les Syriens de descendre dans la rue. Dès la mi-mars les services de renseignement du régime (les Mukhabarat) sévissent contre les manifestants. La torture devient l’un des outils de dissuasion, mais également le signe probant d’une escalade de violence qui ne s’arrête plus. L’interdiction des médias occidentaux, vise à contenir le souffle de révolte, de l’étouffer. Mais de leur côté, les manifestants alimentent quotidiennement Youtube et les groupes Facebook, dont les médias tirent des éléments pour couvrir les manifestations.

Diviser pour mieux régner. Dès le début, le régime joue la carte confessionnelle, alaouites contre une partie des sunnites qui n’a pas rallié le pouvoir. « Les minorités confessionnelles ont donc réaffirmé leur appui au régime car les représentations de menaces sont là, avant même que Bachar al-Assad ne les réactive pour contrer les manifestations », affirme la chercheuse. Aujourd’hui, la spirale confessionnelle frappe par sa violence, fomentée par le régime lui-même, une terreur sans nom. A quand la prise de la Citadelle?

Nadéra Bouazza

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