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Syrie: 7 choses à savoir sur la menace des armes chimiques

Muriel Lefevre

Alors que le régime syrien ne parvient pas à reprendre le dessus sur le plan militaire, les pays occidentaux multiplient, depuis lundi, les avertissements à Damas contre l’utilisation d’armes chimiques. Que signifie cette accélération?

Les craintes liées aux armes chimiques ont brusquement refait surface ces derniers jours en Syrie, alors que les forces rebelles mettent en difficulté l’armée officielle, notamment autour de l’aéroport de Damas.

De quoi s’agit-il?

Un responsable américain a affirmé, lundi, que Damas était en train de mélanger les composants nécessaires à la militarisation du gaz sarin, un puissant neurotoxique qui provoque une paralysie complète puis la mort. Ces composants sont en général conservés séparément, par précaution. Les mélanger serait un signe de possible utilisation prochaine. Les Etats-Unis, mais aussi l’Otan et la France ont aussitôt averti avec force la Syrie contre le recours à des armes chimiques, qui serait « inacceptable » et entraînerait « une réaction internationale immédiate ».

Que sait-on des capacités militaires syriennes en armes chimiques?

L’arsenal chimique syrien est considéré comme l’un des plus importants au Moyen-Orient, mais les données non-classifiées sont rares. Les données publiques sont quasi-inexistantes car la Syrie est l’un des rares pays à ne pas avoir signé la Convention sur l’interdiction des armes chimiques et n’est donc pas membre de l’Organisation chargée de contrôler son application, l’OIAC.
Les stocks syriens sont de l’ordre de « centaines de tonnes » d’agents chimiques divers, selon Leonard Spector, expert au centre d’études sur la non-prolifération à l’Institut Monterey (Etats-Unis). « A ce jour deux ou trois usines de productions d’armes chimiques ont été identifiées en Syrie », assurait Jean Pascal Zanders, ancien chef du programme désarmement NRBC du SIPRI (Institut international de recherche pour la paix de Stockholm) interrogé par RFI en juillet dernier.

Pour Olivier Lepick, spécialiste français de l’armement chimique à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS), les Syriens « ont réussi à maîtriser la synthèse des organophosphorés: c’est la dernière génération la plus efficace et la plus toxique des armements chimiques. Dans cette famille, on trouve le Sarin et le VX », ainsi que du gaz moutarde », avait-il expliqué à l’AFP en juillet. Mais on ignore si les armes syriennes « sont toujours opérationnelles », expliquait Jean-Pascal Zanders, « la conservation des produits dépend de la pureté de l’agent chimique utilisé à l’origine, de la température des silos de stockage qui doit être relativement basse, et de la capacité et de la méthode de production ». Ils peuvent être lancés par le biais d’une bombe, d’un obus ou d’un missile.

Y a -t-il des raisons de se méfier de ces accusations américaines?

Difficile d’oublier la campagne de désinformation sur les armes de destruction massive menées quelques mois avant l’intervention militaire en Irak (voir notre dossier sur les mensonges de la guerre d’Irak); La presse américaine elle-même avait du faire son mea culpa. « Plusieurs couvertures n’ont pas été aussi rigoureuses qu’elles auraient dû l’être », avait reconnu le New York Times. Mais « si l’existence d’armes de destruction massives n’était qu’une supposition en Irak, en Syrie, il n’y a pas de doutes sur leur possession » admet Denis Bauchard, ancien diplomate et conseiller à l’Institut français des relations internationales (Ifri).

Ce n’est pas la première fois que l’on évoque les armes chimiques en Syrie

En juillet dernier, Naouaf Fares, ancien ambassadeur syrien en Irak ayant fait défection, avait mis en garde la communauté internationale: Bachar el-Assad pourrait utiliser des armes chimiques contre sa population. Quelques jours plus tard, le porte-parole des Affaires étrangères syriennes, Jihad Makdessi, avait reconnu que la Syrie possédait ce type d’armes non conventionnelles « stockées et sécurisées sous la supervision des forces armées « .

Que répond Damas à ces accusations?

Jihad Makdessi avait expliqué en juillet que ces armes ne seraient « jamais, jamais, utilisées contre nos citoyens, quelle que soit l’évolution de la crise », tout en ajoutant une menace à cette promesse: elles « ne seront utilisées qu’en cas d’agression étrangère » (A noter que le même Jihad Makdessi a quitté la Syrie a-t-on appris lundi, sans que l’on sache s’il est tombé en disgrâce ou s’il a fait défection). En septembre, l’ancien chef de l’arsenal chimique du pays, le général Adnan Sello, qui a également fait défection, avait expliqué au Times, avoir participé à des entretiens à un haut niveau sur l’utilisation d’armes chimiques contre les rebelles et la population: « Nous avions des discussions sérieuses sur l’usage d’armes chimiques, y compris sur la manière de les utiliser et dans quelles zones ». « Nous avons discuté de cela comment étant un dernier recours, tel que la perte par le régime du contrôle d’une zone importante, comme Alep », ajoutait l’ancien général. » Lundi, le Ministère des Affaires étrangères a réitéré que Damas n’utiliserait « jamais d’arme chimique contre son peuple ».

Un recours aux armes chimiques est-il de l’ordre du possible?

ce régime pilonne sans état d’âme les quartiers des villes et les villages dont il a perdu le contrôle, qui a déjà utilisé des bombes à sous-munitions, et aurait même largué des barils de TNT sur des zones civiles depuis des hélicoptères, comme semble l’attester une série de vidéos. Mais le fait que les Occidentaux aient averti à plusieurs reprises que l’usage des armes chimiques serait une « ligne rouge », ne plaide pas en faveur de son usage. « Pour garder le pouvoir », le régime est capable d’une certaine rationalité », estime Denis Bauchard. Il ne prendrait pas donc pas le risque de provoquer une réaction de la communauté internationale qui serait immédiate. D’autant que cette utilisation mettrait la Russie, « soutien indéfectible du clan Assad » dans une position intenable, explique le politologue Bertrand Badie, qui ajoute que Moscou pourrait être « la principale victime politique » d’une utilisation des armes chimiques.

Qu’en dit l’Armée syrienne libre?

Au cours de ces dernières semaines, les combats se sont intensifiés dans la région de Damas et les rebelles de l’ASL se sont emparés de plusieurs sites militaires saisissant d’importantes quantités d’armes, explique Fahd al Masri, porte-parole de l’ASL. Ils ont notamment pris la base militaire de Marj el-Soultane et se sont approchés à 4 ou 5 km de l’aéroport qui est situé à 25 km de la capitale. Désormais, le régime ne contrôle quasiment plus la banlieue est de Damas. « Le régime, qui veut à tout prix garder le contrôle de la capitale, pourrait, selon Fahd al Masri, bombarder cette zone avec des armes chimiques afin de punir les habitants; y compris les minorités druzes et chrétiennes qui y résident, comme à Jaramana, coupables d’avoir pris leurs distances avec le régime.

Par Catherine Gouëset

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