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Sur le chemin de l’indépendance, la fatigue de nombreux Catalans

Le Vif

Les drapeaux indépendantistes qui flottent aux balcons de Barcelone résistent au temps qui passe, parfois déteints et déchirés. Mais les habitants, séparatistes ou non, se lassent de l’éternelle promesse de sécession sans cesse repoussée et des querelles de leurs dirigeants.

« Le temps paraît long et on avance peu« , témoigne Josep Cuspinera, qui vit dans le quartier le plus indépendantiste de la ville, Gracia.

Plus au nord, dans une rue moins marquée politiquement, Rosa Martinez, avoue son « ras-le-bol » au lendemain de la rupture de l’alliance sécessionniste censée préparer l’indépendance pour 2017, provoquée par un parti de gauche radicale. Cette formation, la CUP (Candidature d’unité populaire) comptant dix députés au parlement régional, a annoncé cette semaine qu’elle ne voterait pas le budget proposé par le gouvernement indépendantiste, bloquant de facto ses plans.

Sans budget, le président catalan Carlos Puigdemont (centre) ne peut pas lancer la mise en place d’institutions indispensables à la sécession, notamment un trésor public indépendant. Il a donc annoncé qu’il se soumettrait à une motion de confiance parlementaire en septembre, en prenant le risque de nouvelles élections. Si un nouveau scrutin devait être organisé, il s’agirait des quatrièmes législatives en six ans dans cette région en proie à une poussée de fièvre indépendantiste depuis 2010. Cette année-là, beaucoup avaient mal vécu l’annulation par le Tribunal constitutionnel d’un statut particulier conféré en 2006 à leur région.

L’amertume a grandi ensuite, alimentée par la crise et l’austérité, sur fond de vieux conflit entre Barcelone et Madrid au sujet de la répartition des deniers fiscaux. Ainsi, le 9 novembre 2014, 1,8 million de Catalans ont voté la sécession lors d’un référendum sans valeur légale. Et en septembre 2015, une coalition indépendantiste a obtenu, pour la première fois, une majorité au parlement régional, avec une feuille de route qui devait mener la riche région aux portes de l’indépendance en 2017.

« Rien ne bouge »

« L’indépendance moi je la vois très loin, je dirais même que je la distingue à peine« , ironise pourtant Josep Cuspinera. A 70 ans, il dirige un petit commerce de casseroles dans le quartier de Gracia, où 60% des électeurs ont voté pour les indépendantistes. « Ici beaucoup de gens veulent l’indépendance, mais toutes ces querelles entre politiques les fatiguent et les démotivent« , dit-il encore.

La région dirigée entre fin 2010 et 2015 par Artur Mas a vécu le déchirement puis l’éclatement de son parti nationaliste historique gangrené par la corruption… et les débats entre gauche et droite indépendantistes. Fin 2015, ces différends s’étaient apaisés, au nom de l’objectif supérieur de sécession. Mais ils se sont ravivés autour de la politique budgétaire. « Nous avons manifesté cinquante fois et nous votons tous les deux ans mais rien ne change« , déplore Gemma Boix, employée administrative de 39 ans.

Sans le soutien de la CUP « on ne peut pas continuer« , avait expliqué mercredi Carles Puigdemont.

« Ils l’ont bien cherché« , réagit Rosa Martínez, 54 ans, du quartier de Nou Barris, le plus pauvre et le moins indépendantiste de Barcelone. « Ici nous avons d’autres problèmes plus sérieux. Moi je fais des ménages toute la journée et mon mari travaille mille heures mais on boucle à peine les fins de mois. » « Et eux ne parlent que de l’indépendance!« , lance-t-elle en reprenant les arguments des opposants à Artur Mas, qui l’accusaient d’alimenter l’élan sécessionniste pour mieux cacher sa mauvaise gestion et la corruption de son parti.

« Beaucoup de temps et d’argent perdus pour une chose que beaucoup n’ont pas voulue« , estime Santiago Lapa, agent d’assurances de 44 ans, en évoquant les 52% d’électeurs qui n’ont pas choisi l’option indépendantiste lors des dernières élections. « Et dans cinq ans rien n’aura bougé: on paiera les impôts à Madrid et le Barça jouera dans la liga« .

Carles Puigdemont lui, ne bouge pas non plus, promettant encore, malgré sa dernière déconvenue, de mener la Catalogne « aux portes de l’indépendance« .

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