Hulk Hogan © GETTY IMAGES/BELGA IMAGE

Sport: le catch en quête de respectabilité

Ludivine Ponciau
Ludivine Ponciau Journaliste au Vif

Pratique mêlant lutte et divertissement, le catch reste un ovni dans le milieu du sport. La discipline a pourtant traversé les décennies sans se faire envoyer dans les cordes et compte encore aujourd’hui des millions d’adeptes.

Ils se font appeler Triple H, The Undertaker, The Ultimate Warrior ou CM Punk et leurs prestations sont suivies chaque semaine par plusieurs millions de téléspectateurs à travers le monde. Musique d’enfer, costumes saillants aux motifs guerriers, grimages et provocations en coulisses, chaque montée sur le ring répond à un cérémonial millimétré pour chauffer la salle à blanc et apporter au public ce qu’il réclame: un combat de lutte élevé au rang de divertissement, panem et circenses. Des gladiateurs des temps modernes enchaînant des prises aux noms improbables (dont le spectaculaire « coup de la corde à linge »), qui tantôt suscitent curiosité et admiration, tantôt railleries et mépris. Le catch est pourtant bien plus qu’une pratique loufoque et caricaturale. Ses origines et la manière dont il a évolué au cours du dernier siècle nous en apprennent beaucoup sur nos sociétés et nos représentations.

Triple H
Triple H© GETTY IMAGES/BELGA IMAGE

Du sport au burlesque

Pour comprendre la genèse du catch, il faut remonter aux origines de ce sport mêlant performances physiques et théâtrales, issu de la lutte professionnelle. C’est dans les foires itinérantes du XIXe siècle que sont organisés les premiers combats publics sur des planches de bois posées sur des tréteaux, puis les premiers tournois entre lutteurs plus aguerris. Ces simulacres d’affrontements, pimentés par la transgression et la tricherie, enflamment une classe ouvrière qui commence à se lasser des combats de boxe réglementés. La discipline quitte ensuite la sphère des foires et du cirque pour s’installer dans les cabarets fréquentés par un public plus mondain désireux de venir s’encanailler.

CM Punk
CM Punk© GETTY IMAGES/BELGA IMAGE

Les années 1960 amorcent l’essor du catch en tant que sport-spectacle. Les masques et les costumes de scène font leur apparition. C’est aussi à cette époque qu’évoluent en France les premières icônes, les premiers dieux du ring: Francisco Pino Farina, « L’Ange blanc », héros descendu du ciel, André René Roussimoff, « André The Giant », au physique hors norme, ou encore Jacques Ducrez, le sanguinaire « Bourreau de Béthune » tout de rouge vêtu.

Avec l’avènement de ces gimmicks, le catch prend une tout autre dimension, comme le décrit Christophe Lamoureux, maître de conférences à l’université de Nantes, membre du Centre nantais de la sociologie (Cens) affilié au FNRS et auteur de La Grande Parade du catch (Presses universitaires du Mirail, 1993). « Cette dimension manichéenne est beaucoup plus subtile qu’on ne le pense. Dans le catch, tout est affaire de croyance. On sait que c’est faux, mais on se laisse emporter par la fiction qu’on nous propose et par les effets spéciaux. A la différence du spectacle bourgeois où il y a une part de distanciation, le catch fait participer le public, comme c’était le cas avec le théâtre populaire du XIXe siècle où les spectateurs interpellaient les acteurs. La césure entre ceux qui pratiquent et ceux qui regardent est extrêmement mince. »

The Ultimate Warrior
The Ultimate Warrior© GETTY IMAGES/BELGA IMAGE

Hogan, symbole de domination américaine

De l’autre côté de l’ Atlantique, l’entrepreneur Vince McMahon – à travers son entreprise, la World Wrestling Entertainment (WWE) aujourd’hui cotée en Bourse – propulse le catch au sommet des programmes de divertissement en proposant des combats entre athlètes bodybuildés endossant le costume de personnages caricaturaux. Les simulacres de combats du bien contre le mal, à l’image des Marvel Comics, servent autant à amuser la galerie qu’à exacerber le sentiment nationaliste de l’Amérique profonde et à servir les intérêts politiques des puissants amis républicains de McMahon.

Proche de Donald Trump, qui fera d’ailleurs quelques apparitions lors de shows en prime time, Vince McMahon créa de toutes pièces, en pleine période de tensions diplomatiques entre les Etats-Unis et l’Iran, les personnages mythiques d’Hulk Hogan, le colosse blond made in America, et de The Iron Sheik, incarné par le catcheur iranien Hossein Khosrow Ali Vaziri. On vous laisse deviner qui jouait le bon et qui le méchant… S’étant sans doute un peu trop pris au jeu, Hulk Hogan, Terry Bollea de son vrai nom, sera finalement banni de la WWE après qu’une sextape dans laquelle il proférait des insultes racistes à l’encontre de son gendre a été dévoilée.

André René Roussimoff
André René Roussimoff© GETTY IMAGES/BELGA IMAGE

Loin d’être à l’abri des tempêtes qui ébranlent actuellement le milieu du sport comme le racisme et le sexisme, le catch est appelé à se débarrasser de ses traditions archaïques sans renoncer à cette dimension de légèreté et d’autodérision qui l’a rendu si populaire. Aujourd’hui, certains catcheurs comme Jordan Myles, l’une des superstars de la WWE, n’hésitent plus à dénoncer publiquement ces discriminations . L’Afro-Américain s’est ainsi insurgé contre la commercialisation d’un tee-shirt à son effigie dont le design pouvait s’apparenter à un blackface. Après la mort de George Floyd, tué par un policier blanc à Minneapolis le 25 mai 2020, et la vague d’indignation qui s’en est suivie aux Etats-Unis, plusieurs grands noms du ring ont aussi exprimé leur soutien à la communauté afro-américaine et au mouvement #BlackLivesMatter.

Sport: le catch en quête de respectabilité
© Zuffa LLC via Getty Images

Dans une analyse publiée dans la revue Vacarme en 2008, « Le corps-à-corps du catch », Barnabé Mons, artiste et auteur passionné de catch, estime pourtant que le catch, de par sa théâtralisation et son côté caricatural, n’est pas discriminant mais qu’au contraire, il tourne les stéréotypes en dérision: « Les costumes traditionnels (kilt, turban, coiffes à plumes), les sobriquets nationalistes ou régionalistes (le Boucher de Budapest, Kamikaze le lutteur suicide Japonais, Big Baby John la Montagne du Montana…) ou les accessoires (boa vivant pour l’africain M’Boa, hache géante pour Der Henker le bourreau allemand, cornemuse pour l’écossais Scott Rider…) apportent un ridicule supplément de lisibilité aux figures qui s’ opposent sur le ring. Les nationalismes et racismes latents du sport s’expriment ici sur le mode de la caricature et de la secondarité. »

Les catcheuses de #GiveDivasAChance revendiquent de pouvoir pratiquer un catch athlétique plutôt que pornographique.
Les catcheuses de #GiveDivasAChance revendiquent de pouvoir pratiquer un catch athlétique plutôt que pornographique.© GETTY IMAGES

Christophe Lamoureux estime, lui aussi, qu’il faut voir dans les stéréotypes véhiculés par le catch une parodie, une représentation cynique de nos rapports sociaux. Pour cet incollable passionné, la discipline se rapproche d’ailleurs du programme de variétés à l’image des jeux d’Intervilles. « Il y a une telle effronterie culturelle qui peut être apprivoisée par les mondains, les classes supérieures mais il y a aussi un tel excès, avec ce côté trop trangressiste, trop sexiste, trop violent… que le public prend ça avec beaucoup plus de distance qu’on ne le pense. »

La revanche des divas

Longtemps assignées au rôle de potiches ou cantonnées aux arrière-salles de bars, les catcheuses ont fini, au début du XXe siècle, par intéresser les promoteurs de troupes itinérantes en participant à des combats intergenre au cours desquels elles affrontaient des adversaires masculins. L’histoire retient le nom de Mildred Burke, qui monta sur le ring en 1934 pour devenir quelques années plus tard triple championne du monde féminine. Alors qu’elles semblaient avoir trouvé leur place en tant que performeuses, les femmes sont peu à peu redevenues de simples objets de désir, soumises à des critères physiques (tout en muscles et arborant une poitrine voluptueuse) et contraintes de pratiquer un catch érotisé ou de parader en tenue légère. Face à un public d’hommes pour qui le catch est une affaire de mecs bodybuildés, il n’est pas rare que ces sportives se fassent insulter ou soient victimes de propos sexistes et dégradants.

Entre le catch féminin de Mildred Burke (à droite) dans les années 1930 et celui de Nia Jax (à gauche) aujourd'hui, la pratique a bien changé.
Entre le catch féminin de Mildred Burke (à droite) dans les années 1930 et celui de Nia Jax (à gauche) aujourd’hui, la pratique a bien changé.© GETTY IMAGES

La tempête #MeToo et #GiveDivasAChance, porté par les adeptes de la discipline, n’a pas arrêté le sexisme, ni dans le monde du sport, ni dans celui du spectacle, mais comme toutes les fédérations sportives, la WWE a été contrainte de mettre fin à certaines situations qui, jusque-là, étaient parfaitement tolérées. Aujourd’hui, ces femmes devenues, elles aussi, superstars du ring revendiquent le droit de pratiquer un catch athlétique, limite old school, où les prises et les gestes sont davantage mis en avant que les bikinis et les microshorts, comme le décrit Christophe Lamoureux. « Même les féministes américaines apprécient ces matchs de divas qui ne sont plus de l’ordre du catch pornographique. C’est une manière pour ces femmes de se réapproprier une pratique exclusivement masculine et d’en faire autre chose qui puisse séduire le public. Mais aujourd’hui, présenter une catcheuse dans une position humiliante ou avilissante, ça passe vraiment mal… »

En 2019, Jessika Carr fut la première femme arbitre de catch engagée par la WWE.
En 2019, Jessika Carr fut la première femme arbitre de catch engagée par la WWE.© WIKIPEDIA

Fin 2019, Jessika Carr est engagée en tant que première femme arbitre par la fédération professionnelle américaine. En février 2020, elle est rejointe par Aja Perera, qui devient la première arbitre afro-américaine à obtenir ce titre. Une avancée symbolique qui prouve que le catch, sport de mecs blancs, peut s’affranchir de ses codes sans perdre de son charme, ni faire plonger l’audimat. The show must go on!

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