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Skier par 35 °C en plein mois de juillet ? C’est désormais possible

Le Vif

Des mini-usines à neige installées dans des conteneurs ringardisent les bons vieux canons à neige.

Alors que le soleil pose ses premiers rayons sur les cimes enneigées du massif des Brévières, Tignes s’éveille, enveloppée d’un épais manteau blanc. Echarpes bien ajustées, bonnets vissés sur la tête, les skieurs se pressent vers le  » Creux « ,  » Henri « , ou  » Double M « , les pistes les plus fréquentées du domaine. Pour ces vacanciers venus chercher un bol d’air frais dans un paysage de carte postale, cela ne fait aucun doute : la poudreuse sur laquelle ils glissent est l’oeuvre de Dame Nature. Ce n’est pourtant pas tout à fait vrai. Sous le manteau blanc fraîchement tombé, une épaisse couche de neige artificielle renforce, en toute discrétion, leur terrain de jeu.

 » Les stations ne peuvent plus se passer de la neige de culture « , constate Samuel Morin, responsable du Centre d’études de la neige, une entité qui dépend du CNRS. Sans elle, il serait impossible de garantir l’ouverture des pistes en début et en fin de saison, compte tenu des aléas météo et du réchauffement climatique. Or, la venue des skieurs est une question de survie pour les stations : un euro de forfait engendre à lui seul sept euros de chiffre d’affaires.

Energivore

 » A Tignes, qui compte environ 360 enneigeurs, la production de neige de culture démarre bien souvent dès le 15 octobre « , reconnaît Renaud Benoît, le directeur d’exploitation des remontées mécaniques locales. Bien sûr, les écolos n’apprécient guère ce déploiement de technologie très gourmande en eau et en électricité. Seront-ils plus cléments avec la nouvelle génération de matériel ? Pas sûr. Car, après les canons à neige, voici les conteneurs à neige, des usines en modèles réduits qui permettent de recouvrir les pistes d’un précieux manteau blanc… en toute saison !

 » Nous sommes en train de nous affranchir de la contrainte des températures « , confirme Max Rougeaux, directeur marketing chez TechnoAlpin, une société italienne spécialisée dans la production de neige de culture. Pour créer de la neige artificielle, les canons projettent de l’air comprimé et de l’eau pressurisée dans l’atmosphère à l’aide de deux tuyaux rapprochés équipés de filtres.

Le défi des stations ? Concilier impératifs écologiques et économiques

Ce système crée instantanément des petites gouttes très froides. Mais, pour que celles-ci gèlent complètement avant de retomber sur le sol, quelques dizaines de mètres plus loin, il faut une température légèrement négative et, dans l’idéal, un taux d’humidité de l’air proche de 30 %. En utilisant les enneigeurs traditionnels, les exploitants de remontées mécaniques dépendent donc entièrement de la météo. Avec la Snowfactory, sorte d’usine à neige commercialisée par TechnoAlpin, ce n’est plus le cas. Tout se passe à l’intérieur d’un conteneur raccordé à l’eau et à l’électricité et dans lequel la température est maîtrisée. L’eau y est d’abord refroidie avant d’être envoyée dans un générateur de glace, une sorte de gros cylindre qui transforme le liquide en fine pellicule solide. Récupérée à l’aide d’un racloir, celle-ci est ensuite expulsée à l’extérieur du conteneur.

Cette neige de culture est bien plus compacte que les cristaux de neige tombés du ciel. Mais elle se révèle très utile.  » Un peu partout en Europe, des stations de ski s’en servent pour aménager des pistes. Certains de nos clients utilisent aussi nos conteneurs pour animer des événements « , précise Max Rougeaux. Le système commercialisé par Techno- Alpin peut produire de la neige même lorsque la température extérieure atteint 35 degrés. Skier en pleine canicule n’a pas forcément de sens d’un point de vue économique ou environnemental.  » Un conteneur coûte 400 000 euros pièce et est très gourmand en énergie « , rappelle un exploitant de remontées mécaniques encore peu convaincu.

Ingénieux - La Snowfactory produit de la neige en s'affranchissant de la contrainte des températures.
Ingénieux – La Snowfactory produit de la neige en s’affranchissant de la contrainte des températures.© J. FREDHEIM/SDP

Sans parler des besoins en eau.  » Il n’existe pas encore de solution pour réduire le stress hydrique « , ajoute un spécialiste du secteur. Trop souvent, les retenues collinaires, ces bassins situés en altitude, sont mises à mal. Il y a deux ans, une grande station des Alpes a même vidé entièrement sa réserve en deux jours dès le début de saison. Pour éviter de se retrouver à sec, presque tous les exploitants de remontées mécaniques passent des contrats additionnels auprès des barrages situés en aval afin de s’approvisionner, ce qui donne lieu à des coûts supplémentaires et à des allers-retours en camions qui acheminent le précieux liquide dans les stations.

Une situation ubuesque. D’autant que les canons à neige sont eux aussi responsables de gaspillages.  » Les dernières études démontrent que de 30 à 50 % de l’eau utilisée ne se retrouvent pas sur la piste « , confirme Samuel Morin. Impératifs économiques et écologiques seraient-ils impossibles à concilier ? Pas sûr. La start-up française Alpinov X sera peut-être la première à relever ce défi. Installée dans la banlieue de Grenoble, elle travaille sur un système capable de produire de la neige même lorsque le thermomètre affiche 46 degrés. Là encore, tout le nécessaire tient dans un conteneur. Mais le fonctionnement de cette mini-usine à neige se révèle particulièrement ingénieux.  » Nous utilisons l’évaporation forcée. C’est comme si vous ouvriez une bouteille d’eau dans l’espace. L’absence de pression va créer un refroidissement accéléré « , résume Thomas Vinard, l’un des cofondateurs de la société. Cette technique a d’abord été mise sur le marché par IDE, une société israélienne. Cependant, les Français ont amélioré le processus. Et, pour convaincre leurs clients, ils ont mis au point un démonstrateur d’une efficacité redoutable. Celui-ci ressemble à un distributeur de boissons : derrière une épaisse vitre, un grand verre d’eau dans lequel tourne en permanence un agitateur semble attendre qu’on le saisisse. Mais l’installation n’a rien de ludique : une fois que le vide est créé à l’intérieur, les dieux de la physique opèrent. Comme par magie, l’agitateur se fige et le contenu du verre se transforme instantanément en glace. La scène rappelle, toutes proportions gardées, la congélation éclair des gratte-ciel new-yorkais dans le film catastrophe Le Jour d’après.  » Nous sommes les seuls dans le monde à pouvoir refroidir l’eau aussi vite. Notre coefficient d’efficacité frigorifique est quatre fois plus élevé que celui des équipements concurrents, à consommation équivalente « , assure Thomas Vinard.

On n’est pas là pour tracer des pistes dans le Sahara occidental

Mieux, avec ses conteneurs capables de fonctionner par tous les temps, Alpinov X permettra aux stations d’étaler leurs besoins en eau.  » Les sollicitations au quotidien seront beaucoup moins fortes : de l’ordre de quelques canons à neige au lieu de plusieurs centaines « , résume Thomas Vinard. Cela permettra aux retenues collinaires de se recharger. La consommation électrique se fera, elle aussi, a minima.  » Un conteneur consomme environ autant qu’un canon à neige, assure Thomas Vinard, qui ajoute : notre système est mobile, il peut se brancher sur le réseau de distribution d’eau déjà existant. Il suffit d’une dameuse pour tirer le dispositif là où il est le plus utile.  » Plusieurs stations sont déjà volontaires pour tester ce procédé.  » On n’est pas là pour tracer des pistes dans le Sahara occidental. Mais simplement pour consolider les économies locales « , assure le chercheur. Sa start-up ne manque pas d’ambition pour autant. Elle envisage déjà d’appliquer sa solution au juteux marché de la climatisation.  » Dans ce secteur, nous sommes aussi compétitifs que sur la neige « , affirme Thomas Vinard. La différence ? La taille du marché n’est pas la même : si celui des enneigeurs pèse 400 millions d’euros, celui de la clim, porté notamment par l’envolée des data centers, représente plusieurs milliards. Pas de quoi faire peur à Alpinov X. Ses fondateurs, après tout, savent garder la tête froide.

Florissant - Les activités indoor sont très prisées. Ici, le projet qui pourrait voir le jour à Tignes.
Florissant – Les activités indoor sont très prisées. Ici, le projet qui pourrait voir le jour à Tignes.© SG ARCHITECTES/SDP

Des millions de skieurs sous cloche

Voilà déjà près d’un siècle que les grands domaines skiables n’ont plus le monopole de la neige. La première station  » en salle  » date de 1927. Construite à Vienne dans une ancienne gare par un ex-champion norvégien associé à un chercheur britannique, elle proposait déjà une piste de ski, un toboggan et un tremplin ! Nonante ans plus tard, les activités indoor alimentées par des canons à neige ou de la poudreuse naturelle connaissent un essor spectaculaire. Une soixantaine de stations dans le monde en proposent. Avec ses remontées mécaniques, ses pistes de ski, de surf, de bobsleigh et sa colonie de vrais pingouins, la bulle de Dubaï reste la plus connue. Mais la France n’est pas en reste. Après le site d’Amnéville ouvert en 2006, sur lequel un record de vitesse a déjà été battu, un nouvel ensemble de verre et de métal, enneigé de manière artificielle pendant la période estivale, pourrait voir le jour à Tignes. Le marché semble porteur : dix millions de personnes auraient déjà appris à skier sous un dôme, selon les calculs du site Internet spécialisé Snow365.com.

Par Sébastien Julian.

En chiffres

16 000

Le nombre de canons à neige en France.

50 millions

Le nombre de mètres cubes de neige artificielle produits chaque année dans les stations françaises.

25 millions

La consommation d’eau annuelle en mètres cubes des canons à neige.

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