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Six députés clés de la nouvelle Assemblée française

Le Vif

Dans quelle mesure le Parlement sera-t-il un lieu de pouvoir face à Emmanuel Macron ? Six députés détiennent une partie de la réponse.

Les majorités les plus amples ne sont pas les plus disciplinées. Les députés les plus anciens non plus. Et les élus les plus neufs pas davantage… Un jour prochain, le pouvoir, en France, se rééquilibrera entre le chef de l’Etat et l’Assemblée nationale, parce que le premier aura perdu de sa fraîcheur, parce que la seconde aura gagné en maturité. Voici six personnages en quête de hauteur.

Christophe Castaner – Une double casquette en guise de couronnement

Christophe Castaner, secrétaire d'Etat chargé des Relations avec le Parlement et porte-parole du gouvernement Philippe.
Christophe Castaner, secrétaire d’Etat chargé des Relations avec le Parlement et porte-parole du gouvernement Philippe.© AFP

Un porte-parole qui n’arrive pas à parler, c’est embêtant. Mais ce jour-là était tellement particulier : le 14 mai, au terme de la cérémonie d’investiture à l’Elysée, Christophe Castaner voit Emmanuel Macron s’approcher pour le saluer. Impossible de bafouiller le moindre mot. Constatant son émotion, le président continue de lui parler, pour éviter le blanc.

Un mois a passé, et Christophe Castaner a retrouvé le sens de la formule. Le départ du gouvernement de François Bayrou, le président du MoDem ?  » Il n’a pas été contraint, il a fini par y être obligé.  » Bien sûr, il a parfois recours à la langue de bois, comme ses prédécesseurs. Il a échangé à ce sujet avec Jean-François Copé ( » Le porte-parolat, il faut en sortir vite ! « ) ou Stéphane Le Foll. Il a même poussé le zèle jusqu’à regarder des vidéos de Najat Vallaud-Belkacem.

Porte-parole du gouvernement et,  » en même temps « , secrétaire d’Etat chargé des Relations avec le Parlement : qui dit double casquette dit double cabinet – ce qui, par les temps qui courent, permet d’avoir dix collaborateurs au lieu de cinq. Son rôle d’interface entre le gouvernement et la majorité sera crucial. Même lui ne sait pas mettre un visage sur tous les députés de la République en marche : il en connaît bien un cinquième, pas du tout un autre cinquième, ce qui rend plus complexe, il le concède, d' » identifier les pépites « . L’autre difficulté vient de la spécificité de ce groupe surgi de nulle part en un rien de temps :  » Nous n’avons pas d’histoire commune. C’est une particularité qui peut être une faiblesse. L’aventure est liée à un homme qui n’est plus parmi nous.  »

Il y en a un autre qu’il a appris à connaître : Edouard Philippe.  » On n’est pas loin du coup de foudre !  » sourit un proche du chef du gouvernement. Castaner l’accompagne dans sa voiture au soir du second tour des législatives, de Matignon à l’Elysée, et encore trois jours plus tard quand le Premier ministre est l’invité du 20 Heures de TF1. Il est désormais au coeur du pouvoir. e. M.

Porte-parole du gouvernement, le député Christophe Castaner a un rôle d'interface entre le gouvernement et la majorité.
Porte-parole du gouvernement, le député Christophe Castaner a un rôle d’interface entre le gouvernement et la majorité.© E.Camoin/Photopqr/La Provence/Maxppp

Jacques Maire – L’enthousiasme des débuts

Il semble encore un peu étonné d’être là.  » On m’a dit que ma circonscription était ingagnable « , avoue d’emblée Jacques Maire, tombeur du juppéiste Gilles Boyer dans les Hauts-de-Seine (à l’ouest de Paris). Voilà donc les bourgeoises de Meudon et de Marnes-la-Coquette représentées pour cinq ans par le fils de l’ancien patron du syndicat CFDT, Edmond Maire. Débit mitraillette et allure pressée, le nouveau député égraine son CV long comme le bras et ses projets à l’Assemblée. Enarque, passé par des cabinets ministériels de gauche, diplomate spécialisé en développement économique, il a aussi connu une expérience de cadre dirigeant chez Axa.

En bon apôtre du macronisme, Jacques Maire mêle ses cultures du privé et du public en politique : il a géré son équipe de campagne  » comme un DRH « , voit en la République en marche  » une start-up « , promet d’être  » à haute contribution  » dans la prochaine Assemblée.

L’enthousiasme des débuts durera- t-il ? S’il semble conscient que son profil et son réseau le rendent apte à exercer de hautes fonctions dans la nouvelle Assemblée, Jacques Maire n’est, à 55 ans, qu’un député parmi les 308 élus de la République en marche. Les places seront chères, et les frustrations nombreuses.  » Je veux être là où j’aurai le plus d’impact, là où je suis différenciant par rapport au reste du groupe « , souhaite le député des Hauts-de-Seine.

L’homme semble avoir du mal à tenir en place. Comme nombre de députés franciliens, il risque pourtant de devoir apprendre à siéger de longs moments en silence, pour assurer au groupe LREM la majorité à toute heure du jour et de la nuit .  » Le plus dur, c’est d’apprendre à dormir les yeux ouverts, anticipe-t-il. C’est ce que l’on m’a dit quand je suis entré au Conseil d’Etat, où j’ai passé deux ans.  » La maxime vaut aussi pour l’Assemblée nationale. J.-B. D.

Jacques Maire, nouveau député La République en marche, fils de l'ancien patron du syndicat CFDT Edmond Maire.
Jacques Maire, nouveau député La République en marche, fils de l’ancien patron du syndicat CFDT Edmond Maire.© J. Bernatas/Photopqr/Le Parisien/Maxppp

Manuel Valls – La dure vie d’ex

On peut entamer une traversée du désert sans revoir ses ambitions à la baisse. A un ami qui s’inquiétait, la semaine dernière, de le voir siéger seul à l’Assemblée nationale pendant cinq ans, Manuel Valls a répliqué par une pirouette :  » Mitterrand a bien été non-inscrit.  » Si l’ancien président fut donné pour mort après les calamiteuses législatives de 1968, pourquoi lui aussi ne renaîtrait-il pas de ses cendres ? L’ancien Premier ministre faisait mine de ne pas craindre la solitude dans un hémicycle où les non-inscrits ont les plus grandes difficultés du monde à obtenir visibilité et temps de parole. Alors, comme le Parti socialiste avait décidé de ne pas voter la confiance au gouvernement, il a étudié la possibilité de rejoindre un groupe de  » centre-gauche constructif  » sur le modèle d’une partie des Républicains. Les députés du Parti radical de gauche et étiquetés divers gauche devaient rassembler 15 membres pour pouvoir former un groupe. Mais Manuel Valls a finalement choisi de siéger au sein du groupe La République en marche, qui l’a accepté comme député apparenté. L’annonçant sur RTL, l’ancien Premier ministre a précisé :  » Une partie de ma vie politique s’achève. Je quitte le Parti socialiste, ou le Parti socialiste me quitte.  »

Pour Manuel Valls, voici donc venu le temps d’apprendre les vertus de la patience. Tous les espoirs restent permis : treize ans après avoir connu l’humiliation des pestiférés de l’Assemblée nationale, Mitterrand entrait triomphalement à l’Elysée. J.-B. D.

Manuel Valls, l'ancien Premier ministre socialiste.
Manuel Valls, l’ancien Premier ministre socialiste. © AFP

Jean-Louis Bourlanges – Libre penseur

Il coche à peu près toutes les cases… pour ne pas être dans cette nouvelle Assemblée.  » J’ai 46 ans… en moyenne « , dit drôlement Jean-Louis Bourlanges, qui va fêter en juillet ses 71 ans. Il se souvient d’une publicité pour une prestigieuse marque de champagne :  » Une fois au moins dans votre vie ! « . Le voilà donc député, lui qui a déjà été parlementaire pendant près de vingt ans, mais à Strasbourg et à Bruxelles. L’Europe est évidemment le point majeur qui l’a incité, très tôt, bien avant François Bayrou, à soutenir Emmanuel Macron.

Pour sa victoire dans les Hauts-de-Seine, dans une circonscription où, que l’on se rassure, il n’avait jamais mis les pieds, Bourlanges a pleinement profité de la dynamique présidentielle. Pendant la campagne législative, aux électeurs qui lui demandent s’il a vu Macron, il répond :  » Non, pas depuis qu’il est à l’Elysée.  » Il ajoute, avec cet humour qu’il n’abandonne jamais :  » Je n’étais pas obligé de leur dire que je ne l’avais pas vu avant non plus !  »

Jean-Louis Bourlanges, député MoDem et ancien eurodéputé.
Jean-Louis Bourlanges, député MoDem et ancien eurodéputé.© Ibo/SIPA

Dans le groupe du MoDem, il sera un esprit libre. Longtemps fâché avec François Bayrou, il s’était réconcilié avec lui, ce qui ne l’a pas empêché de regarder avec circonspection certains aspects du projet de loi sur la moralisation de la vie publique « . Le changement de titulaire au ministère de la Justice lui permettra d’être encore plus critique. Se souvenant de ses échanges homériques avec le constitutionnaliste Guy Carcassonne au sein du comité Balladur sur les institutions, créé par Nicolas Sarkozy en 2007, il contestera la limitation du nombre de mandats dans le temps en citant Clemenceau ou Churchill. Député peut-être, godillot jamais, ce n’est vraiment pas son genre.

Mais le macronisme le rend heureux, avec ces deux piliers :  » La recomposition du paysage politique, que j’apprécie beaucoup ; la volonté de faire table rase du passé, que j’observe comme un lapin qui regarde les phares d’une voiture en attendant qu’elle l’écrase.  » e. M.

L'ancien Premier ministre Manuel Valls devra trouver sa place dans une Assemblée très renouvelée.
L’ancien Premier ministre Manuel Valls devra trouver sa place dans une Assemblée très renouvelée.© A. Journois/Photopqr/Le Parisien/Maxppp

Robin Reda – Sang neuf à droite

Adolescent, Robin Reda voulait devenir animateur radio.  » Pour interagir avec les gens « , dit-il. Dix ans plus tard, il préfère le micro des orateurs politiques et le frisson de la tribune. En 2014, l’étudiant de Sciences Po était devenu, à 22 ans, le plus jeune maire de France en enlevant Juvisy-sur-Orge (au sud-est de Paris). Le 18 juin, en pleine déroute de la droite, le Républicain a conquis un siège de député de l’Essonne.

Robin Reda, nouveau député Les Républicains.
Robin Reda, nouveau député Les Républicains.© G. Le Goff – Panoramic

Dès son arrivée à l’Assemblée, ce soutien du ministre de l’Economie Bruno Le Maire a été dragué par quelques amis  » constructifs  » et convié à des réunions préparatoires pilotées par le Premier ministre Edouard Philippe et les ministres de droite Gérald Darmanin et Sébastien Lecornu. Dans ces discussions de conjurés, l’ombre de l’Elysée était trop présente. Lui doit la clarté à ses électeurs.  » Je suis un type de droite « , dit-?il, pointant ses divergences avec le gouvernement sur la fiscalité ou la protection des Français. L’élu sait de quoi il parle : en janvier, une expédition punitive à Juvisy a fait la Une des journaux.

Aux législatives, le gamin au look de premier de la classe a vu toute une génération de quadras aller au tapis.  » Il faut mettre fin à cette symbolique surannée qui s’exprime par sa position dans l’hémicycle ou la taille du bureau, juge-t-il. On est là en mission, pas pour accomplir un cursus honorum au Parlement.  » Il entend défendre la voix des élus locaux. Et préparer la suite. L’affranchi ne se reconnaît plus de mentor, mais soutiendra – le cas échéant – Valérie Pécresse, sa chef de file en Ile-de-France, pour la présidence des Républicains. Il espère encore un débat d’idées et pas seulement  » un affichage d’ego « . Mais le duel face à Laurent Wauquiez sera rude.  » Quand on a vécu la guerre Fillon-Copé, on n’a peur de rien « , dit-il. Le calme des vieilles troupes.

Clémentine Autain – Insoumise

Elle est la seule députée du groupe – avec le réalisateur François Ruffin – à ne pas avoir signé la charte de la France insoumise. Question de principe. Se ranger derrière une seule tête, ça va pour une campagne présidentielle. Le reste du temps, Clémentine Autain place le pluralisme des idées avant tout. Laisser chacun être ce qu’il est. La journaliste n’a pas le style tonitruant de Jean-Luc Mélenchon. Ce n’est pas sa vision du dialogue.  » Il a obtenu 19,5 % à la présidentielle, je ne me sens pas en position de lui faire la leçon « , note l’élue de Seine-Saint-Denis (au nord-est de Paris). Elle sait pourtant tenir tête à  » Jean-Luc « . L’ancienne conseillère PCF de Paris lui reconnaît son opposition constante au quinquennat Hollande et la volonté de porter une offre politique nouvelle.

Clémentine Autain, députée insoumise y compris à la France insoumise.
Clémentine Autain, députée insoumise y compris à la France insoumise. © Maxppp

Cette cohérence a manqué à ses amis communistes. Elle regrette que ces derniers aient formé leur propre groupe à l’Assemblée nationale. Trop de  » lésions humaines et politiques  » accumulées depuis des mois…  » Leur choix nous affaiblit, mais peu de nos votes seront différents. Nous combattrons ensemble la loi Travail ou celle sur l’état d’urgence « , avance- t-elle. De l’Assemblée, elle veut appuyer les mobilisations de  » cette majorité de Français opposée à la soupe libérale du gouvernement Macron « . Elle en est sûre, la gauche peut se rassembler autour de propositions.  » Jean-Luc Mélenchon connaît sa responsabilité : il faut que ça marche « , dit-elle. A charge pour la France insoumise, en position de force, de s’ouvrir sur l’extérieur. Clémentine Autain y veillera. T. D.

Par Jean-Baptiste Daoulas, Thierry Dupont et Eric Mandonnet.

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