Antonio Muñoz Molina © Wikimedia

Situation en Catalogne : « La comparaison avec le régime de Franco est sinistre »

Le Vif

Antonio Muñoz Molina, l’un des plus célèbres écrivains espagnols contemporains, s’exprime sur la crise en Catalogne dans les pages de l’hebdomadaire allemand Der Spiegel.

L’auteur se dit énervé par « les balivernes » sur l’identité qui agitent son pays. « Je suis andalou, j’ai un accent andalou, et j’ai été élevé dans la culture du sud de l’Espagne. Cette identité intuitive et très personnelle se conjugue parfaitement avec le lien que j’ai avec l’Espagne. Quand votre langue et votre culture sont opprimées, je comprends qu’on s’identifie avec elles. Mais quels problèmes ont les Catalans au sein du système espagnol ? Ils disposent de toute la compétence sur l’enseignement et ils possèdent leurs propres forces de l’ordre », déclare-t-il à Der Spiegel.

Pour comprendre le manque de sentiment d’unité nationale en Espagne, il faut selon lui, revenir quarante ans en arrière. « Les Catalans et les Basques considèrent leur identité comme un système qui leur a été artificiellement imposé. Les séparatistes affirment que la constitution de 1978 (qui a fixé le passage à la démocratie, NLDR) n’a fait que perpétuer le régime dictatorial de Francisco Franco. Le gouvernement actuel à Madrid, rouspètent-ils, est le « régime de 1978 ».

Endoctrinement

Pour Muñoz, les responsables des régions autonomes ont échoué à « proposer une nouvelle identité collective qui aurait pu permettre le vivre ensemble après la mort de Franco en 1975. « Au Pays basque et en Catalogne, les écoles et les médias de l’État subissaient un endoctrinement romantico-nationaliste. Le gouvernement espagnol était un pouvoir d’oppression contre lequel le peuple devait s’opposer. Pourtant, Madrid n’a jamais fait de propagande pour l’une ou l’autre forme de patriotisme espagnol. C’était difficile aussi, car pendant presque quarante ans, le régime de Franco avait attisé un nationalisme espagnol virulent. »

L’écrivain estime qu’il aurait fallu remplacer l’identité agressive et militariste nationale par une idée progressive et positive de l’Espagne. Pour lui, la gauche ne s’est jamais identifiée à l’Espagne et ceux qui défendaient un état unitaire étaient considérés comme réactionnaires. Et l’enseignement ne parlait jamais de droits civiques et démocratiques, mais chaque région défendait sa propre interprétation de l’histoire.

Réinterprétation de l’histoire

« Les nationalistes catalans ne présentent pas la Guerre d’Espagne (1936-1939) comme un coup d’État d’un groupe de militaires soutenus par Hitler et Mussolini destiné à renverser le système démocratique de la République espagnole. Non pour eux, l’État espagnol a attaqué et puis occupé la Catalogne. Dans les écoles, la Guerre de Succession d’Espagne, qui a pris fin en 1714 par la défaite des Habsbourg soutenus par les Catalans contre les Bourbons, est présentée comme une lutte des Catalans pour la libération nationale. Toute l’histoire est réduite à un enchaînement de sacrifices catalans.

Interrogé sur les séparatistes qui comparent les mesures coercitives du gouvernement espagnol à la répression menée par le régime de Franco, Muñoz rétablit la vérité. « On a probablement trop peu expliqué aux générations actuelles comment c’était de vivre sous une dictature. Sous le régime Franco, j’ai vécu ce que c’était que d’être tabassé et jeté dans une cellule de prison, sans droit à une défense. La comparaison avec le régime de Franco est tout simplement sinistre », estime-t-il.

L’écrivain ne perd pas l’espoir pour autant. « Les gens raisonnables des deux côtés doivent empêcher l’irrémédiable. Il n’y a vraiment aucune raison de faire sauter tout ce que nous avons construit ces quarante dernières années. Si la France et l’Allemagne ont réussi à retravailler ensemble après la Seconde Guerre mondiale, pourquoi les Espagnols et les Catalans ne pourraient-ils pas se parler ?

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