Shah Marai en 2012. © AFP

Shah Marai, pilier de l’AFP à Kaboul et témoin d’une époque turbulente

Le Vif

Shah Marai disait avoir vu tant de cadavres depuis qu’il travaillait pour l’AFP qu’il n’en dormait plus la nuit. Le chef photographe de l’agence en Afghanistan a été tué lundi dans un double attentat suicide à Kaboul.

Sa vie et son épilogue illustrent tristement les tourments de son pays. Agé de 48 ans, Shah Marai avait démarré sa carrière à l’agence en 1996 en tant que chauffeur. Et c’est parce qu’il écoutait de la musique au volant que les talibans, alors au pouvoir et qui le permettaient pas, l’avaient roué de coup. Dix ans plus tard, il en avait encore des séquelles, avant d’être opéré à l’étranger en 2012.

Shah Marai a obtenu sa revanche sur les « étudiants en religion » en annonçant le 7 octobre 2001 pour l’AFP les premiers bombardements américains sur l’Afghanistan, quelques semaines après les attentats du 11 septembre. Le correspondant texte de l’AFP avait alors été arrêté par les talibans. Juché sur un vélo, l’appareil masqué dans un châle, il raconte dans un blog de l’AFP avoir pris « six photos ce jour-là, pas une de plus », dans un Kaboul devenu « ville déserte ». Avec la fin du joug taliban, « tout redevenait possible, même les choses les plus simples, comme d’aller chez le coiffeur se faire raser la barbe », racontait Shah Marai, le visage toujours glabre, qui après avoir commencé à prendre quelques clichés pour l’agence en 1998, est devenu photographe à plein temps en 2002.

C’est alors l’âge d’or de l’Afghanistan, pays aujourd’hui en guerre depuis près de quatre décennies. La sécurité est assurée partout dans le pays. L’espoir renaît. Mais les talibans, défaits sans combattre, reprennent leurs assauts en 2004. Les militaires étrangers constituent d’abord les cibles principales. Puis à leur départ en 2014, c’est le tour des forces de sécurité afghanes. Et enfin des civils. En mars 2014, le journaliste Sardar Ahmad, autre pilier du bureau de l’AFP et l’un des meilleurs amis de Shah Marai, est tué avec sa femme et deux de leurs trois enfants dans un hôtel pourtant très sécurisé de Kaboul. Les talibans revendiquent l’attaque.

Shah Marai accuse fortement le coup mais poursuit son travail. « J’ai appris tout seul la photographie, donc je cherche toujours à m’améliorer. Et maintenant mes photos sont publiées dans le monde entier », soulignait-il. « Mes meilleurs souvenirs sont lorsque je bats la concurrence en ayant la meilleure photo du président ou de quelqu’un d’autre, ou du site d’un attentat à la bombe. J’aime être le premier », disait-il de son métier.

Nuits sans sommeil

En 2015, le groupe Etat islamique s’installe en Afghanistan, où il multiplie les attentats. Le climat de peur est latent. L’air devient irrespirable. Les photos puissantes de Marai racontent la guerre, l’effroi, le sang. Mi-2016, en séjour à Paris, il décrit « ses nuits sans sommeil », passées à fumer. Sa panique et ses doutes après avoir été témoin de « tant d’attentats, tant de victimes ». Son désir de quitter son pays aussi, comme des dizaines de milliers d’autres Afghans avant lui, tant l’avenir lui semble bouché.

Sa terreur surtout de mettre en danger sa famille. Shah Marai laisse derrière lui six enfants. Sa petite dernière est née il y a quinze jours. Le bureau de l’AFP avait célébré l’évènement il y a à peine quelques jours, défiant le climat de tension à Kaboul où un autre attentat avait fait une soixantaine de morts le matin même. Shah Marai, ses grands yeux bleus très clairs, la blague toujours prête à fuser, et son titre autoproclamé de « champion du bureau de Kaboul » de ping-pong, ont été tués lundi lors d’un double attentat suicide dans la capitale.

Après qu’un premier kamikaze à moto s’est fait exploser devant le siège du NDS – les services de renseignement afghan -, un second kamikaze, « muni d’une caméra », a actionné sa charge parmi les reporters, selon une source sécuritaire. L’attentat, qui a fait au moins 25 morts et 49 blessés, a été revendiqué par l’EI, qui a fustigé les « apostats des forces de sécurité et des médias ».

« Il est mort en faisant son travail, comme il le faisait depuis deux décennies », lui a rendu hommage le correspondant du New York Times à Kaboul, Mujib Mashal. « Nous sommes dévastés par la mort de notre photographe Shah Marai qui témoignait depuis plus de quinze ans de la tragédie qui frappe son pays », a déclaré Michèle Léridon, directrice de l’Information de l’AFP. « La direction de l’AFP salue le courage, le professionnalisme et la générosité de ce journaliste qui avait couvert des dizaines d’attentats avant d’être lui-même victime de la barbarie. »

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