Un émissaire de David vient chercher la jeune Jébuséenne, que le roi-messie a aperçue nue sur sa terrasse. David paiera cher cet aveuglement (peinture de Jan Metsys, 1562). © belgaimage

Sexe dans la bible : Jessé et Nazbeth, un adultère en trompe-l’oeil

Barbara Witkowska Journaliste

Jessé, le père du futur roi-messie David, aura été le premier harceleur sexuel à tomber dans son propre piège.

Tel est pris qui croyait prendre. Rarement cité, ce récit, qui, à première vue, pourrait être considéré blasphématoire, est un midrash attesté par de nombreux commentaires des Psaumes, figurant dans plusieurs anthologies. Jessé, en hébreu Ishaï, père du futur roi-messie David, n’est pas montré sous son meilleur jour. Notable de la ville de Bethléem en Judée, peut-être président de son tribunal, riche propriétaire de troupeaux, Jessé aura été le premier harceleur sexuel à tomber dans son propre piège.

Cela fait trois ans que Jessé néglige sa femme Nazbeth. Il ne s’approche plus d’elle, alors que les relations sexuelles sont un droit de l’épouse et une obligation du mari. Certes le couple a déjà engendré sept fils, mais le but de la sexualité ne se limite pas à la procréation et agit aussi sur l’isolement de l’autre […]. Après trois ans d’abstinence et sans doute aiguillonné par sa crise de la quarantaine, Jessé est pris d’un désir irrésistible pour la plus belle servante de sa maisonnée. Il ne se trouve pas dans la situation d’Abraham, qui recourut à sa servante Agar pour compenser la stérilité dont était frappée sa femme Sarah, mais envisage une relation isolée. Il n’est pas question de désir amoureux, mais de pulsion. Jessé ne cherche qu’une aventure sans lendemain.

Substitution

Insistant, il propose un marché à sa servante : « Cette nuit, prépare-toi à t’offrir à moi, ensuite je te rendrai ta liberté. » Effrayée de déplaire à son maître et inquiète de s’attirer les foudres de sa maîtresse, la jeune servante met Nazbeth au courant de la promesse de Jessé, espérant qu’elle trouvera le moyen de la sauver des bras de son mari. Car une telle aventure condamnerait à vie la servante au statut de prostituée sans possibilité d’un mariage honorable. « Apprête-toi, et présente-toi à lui, suggère Nazbeth. Je ferai de même de mon côté », ajoute-t-elle.

La nuit venue, la servante, plus séduisante que jamais, accueille Jessé dans sa chambre. Puis, ainsi que Nazbeth le lui a conseillé, elle souffle la seule bougie de la pièce et profite de la pénombre pour sortir à l’insu de son maître. Nazbeth, vêtue et parfumée à l’image de sa servante, se faufile par la porte entrouverte et se glisse dans la couche. Plus vraiment elle-même et pas tout à fait une autre, Nazbeth s’offre à son mari. Jessé ne découvre pas la substitution. Croyant qu’il s’agit de sa servante, il caresse, baise et fouille le corps de sa propre femme avec ardeur, comme si c’était la première fois […].

Châtiment

Certes, l’acte lui-même n’est pas condamnable, mais son intention si. Jessé, croyant faire l’amour à une autre femme que sa femme, commet un adultère. Nazbeth, de son côté, s’unit bien à son mari, mais, en se faisant passer pour une autre, se rend complice d’un adultère. Le châtiment ne se fait pas attendre. Au petit matin, Nazbeth est enceinte. Neuf mois plus tard, quand elle accouche de David, Jessé et ses sept autres fils croient que le nouveau-né est le fruit d’une infidélité de Nazbeth avec un étranger. Trahi par lui-même, Jessé n’imagine pas être l’amant de sa propre femme. Cet enfant doit disparaître. C’est le seul moyen à ses yeux d’éviter un scandale qui déshonorerait son clan. Alors, David est exilé dans les montagnes, abandonné à la cruauté des bêtes sauvages. Mais rien n’y fera. Le secret de la naissance de David sera maintenu pendant vingt-huit ans, jusqu’à ce que le prophète Samuel se rende à Bethléem accomplir sur David l’onction sacrée qui fera de lui le roi-messie du peuple d’Israël.

David fut donc un enfant non désiré. Pire encore, le futur roi-messie subit, selon ce récit, les souffrances d’un enfant adultérin, puisqu’il ne fut pas reconnu par son véritable père. Rejeté, banni, abandonné, David se forgea un destin, mais demeura inconsolable. Convaincu de n’être que le jouet de forces qui le dépassent, inquiet de n’être après tout qu’un usurpateur de sa propre vie, David est la victime d’une tragédie.

Bethsabée et David, une passion coupable ?

Bethsabée verse sur sa longue chevelure noire l’eau vive puisée à la source du Gihôn. Nue sur la terrasse de la maison d’Urie qui fait face au palais royal, la jeune Jébuséenne incline la jarre d’argile et fait couler l’eau le long de son corps, se lavant avec insolence de ses jours de stérilité. Sa peau pâle dévoilée à la curiosité des étoiles, Bethsabée sent un regard brûlant se poser sur sa peau […]. Il n’y a plus d’hommes à Jérusalem. Ils sont tous allés mener la guerre contre le roi d’Ammon, ne laissant derrière eux que les femmes, les enfants. Seul le roi David y est resté […].

L’appel de la chair

« Qui est cette femme ? » se demande-t-il. Mais il se ment. Il sait déjà que cette jeune femme est Bethsabée, la fille d’Eliam, un des trente preux qui forment sa garde rapprochée, la petite-fille de son proche conseiller Ahitophel et l’épouse d’Urie le Hittite, un officier en campagne devant Rabba. Comment pourrait-il l’ignorer ? Le désir rend aveugle. L’appel de la chair rend amnésique. La beauté de Bethsabée le rend aussi faible que Samson tondu par Dalila.

David ne peut attendre plus longtemps. Il envoie un émissaire chercher Bethsabée. Parfois, c’est bon d’être le roi ! David a choisi d’abuser de son pouvoir. Il est prêt à voler l’épouse d’un de ses officiers les plus glorieux avec l’impudence d’un voleur de brebis. Pourtant, l’adultère est pire qu’un interdit, c’est un tabou. Le châtiment est la peine de mort pour l’homme comme pour la femme. Transgresser le septième commandement, c’est trahir Yahvé. Arrive alors ce qui devait arriver. Bethsabée est enceinte de David […]. Impossible de faire passer l’enfant de Bethsabée pour celui de son mari Urie. Celui-ci, en effet, respecte l’obligation de pureté rituelle des guerriers en s’interdisant toute relation sexuelle tant qu’il est sur le champ de bataille. Malgré l’insistance de David, Urie refuse de partager la couche de sa femme. Une seule solution reste à l’amant, faire disparaître le mari. David ordonne à son général Joab de placer Urie au plus fort de la bataille devant Rabba, où il trouvera une mort inévitable.

Trois commandements divins trahis

Lorsqu’elle apprend la mort d’Urie, Bethsabée pleure le temps traditionnel de deuil, mais pas plus, puis, sans plus attendre, épouse David […]. Il paiera cher cet aveuglement. Lui que Yahvé a sauvé de la colère de son propre père Jessé, du terrible Philistin Goliath et de la fureur du roi Saül, lui à qui Yahvé a confié la couronne d’Israël, n’a pas hésité à trahir les commandements divins ! Le dixième en séduisant la femme d’un autre, le septième en se rendant coupable d’adultère (c’est-à-dire pour un homme d’infidélité envers Dieu), et le sixième en faisant tuer un innocent […]. Le premier châtiment apparaît comme une contradiction puisque, pour que David ne meure pas pour ses fautes, c’est son premier-né, issu de sa relation avec Bethsabée, qui mourra à sa place. Un rite qui, depuis le sacrifice inachevé d’Isaac par Abraham, est contraire à la pensée biblique. David est désormais déchu du droit de bâtir à Jérusalem un temple dédié à Yahvé. Ce privilège reviendra à Salomon, fils pourtant du couple adultère, et « aimé de Yahvé ». Mais le châtiment de David ne s’arrête pas là. Sa fille Tamar sera violée par un de ses fils qui sera exécuté par son frère Absalom. Celui-là même qui fomentera un coup d’Etat contre David, au cours duquel il perdra la vie. Ainsi que l’a annoncé le prophète Natân, en raison de ses fautes, l’épée ne quittera plus la maison de David. Pire encore, à l’issue du règne de Salomon, le royaume de David se scindera en deux, l’Israël du Nord et le royaume de Juda. Une fois encore, le désir sexuel sans intention de procréation est supposé provoquer les pires effets sur les protagonistes comme sur le reste du monde. La nudité volée de Bethsabée prenant son bain rituel paraît comme un viol au même titre que Cham voyant la nudité de son père Noé. La transgression commise par Bethsabée et par David résonne comme un écho à la faute originelle commise par Eve et Adam […].

Tamar et Onân, qui se sème au vent récolte la tempête

Onân ne se douta pas un instant que son nom traverserait les siècles pour désigner une pratique sexuelle solitaire, qui ne le rendit ni sourd ni aveugle, mais lui coûta la vie. En guise d’épitaphe, le terme « onanisme » est devenu synonyme de masturbation. Pourtant, l’histoire d’Onân décrit plus qu’un « adultère de la main ». Le fils du patriarche Juda sema sans doute les premières graines de la révolution sexuelle du XXe siècle.

Er, fils aîné de Juda et de la Cananéenne Choua, déplut à Yahvé et perdit la vie. Le récit n’en dit pas plus sur les circonstances de sa mort, mais davantage sur le sort de son frère Onân et de sa veuve Tamar. « Va vers Tamar, la femme de ton frère Er, et suscite-lui une descendance », intime Juda à Onân (Genèse 38, 8). La loi du lévirat, répandue à travers les peuples de la région, est précise et sans appel : le frère d’un défunt sans enfant doit épouser sa veuve. Le premier-né qu’elle enfantera est destiné à perpétuer son nom afin qu’Er ne soit pas effacé de l’histoire d’Israël […].

Coït interrompu

Onân ne refuse pas le mariage, mais n’accepte pas l’idée de perdre la paternité de sa descendance. Néanmoins, il éprouve du désir pour Tamar et consomme son mariage […]. Onân s’unit à Tamar de nombreuses fois. Mais, chaque fois qu’il est près de la féconder, il retire son pénis de son enclos et répand sa semence sur la terre. Le coït interrompu est inventé. Un moyen de contraception que n’accepte pas la loi divine. « Ce qu’il faisait déplut à Yahvé qui le fit mourir » (Genèse 38, 10). […].

Gâcher la semence masculine vitale pour la perpétuité du peuple est une désobéissance aux commandements divins : « Soyez féconds et multipliez » (Genèse 1, 28). Certains décèlent dans cette pratique sexuelle une complicité avec le diable. Onân aurait été le jouet de Lilith – selon la tradition biblique, la semence répandue à terre, c’est-à-dire hors de son réceptacle naturel, féconde la terrible Lilith et lui permet d’engendrer des démons terrestres ou des anges maléfiques.

Un sexe d’appoint

Le péché d’Onân ne se réduit donc pas à un péché de chair solitaire. Sa faute n’est pas celle d’un onanisme conjugal, mais avant tout celle d’un non-respect du lévirat. Un terme issu du latin levir, traduit de l’hébreu yabam, « beau-frère », qui désigne une coutume partagée par l’ensemble des peuples de la région. À l’instar de la Genèse et du Deutéronome, les lois assyriennes, hittites, hurrites ou élamites veulent assurer la perpétuation d’un défunt à travers une descendance masculine issue du ventre de sa veuve […].

En matière de masturbation, la chair n’est donc pas la préoccupation première, mais bien l’absence d’un « autre », la non-reconnaissance d’un autre en tant qu’un autre soi-même. En refusant de féconder Tamar, Onân réduit la femme à un sexe d’appoint, un objet de plaisir, sans lui reconnaître la réciprocité essentielle à la relation sexuelle d’un couple légitime.

Salomé et Hérode Antipas, à en perdre la tête

Ce récit évangélique est sans doute inspiré du récit biblique qui met en scène la belle et séduisante reine Esther. La reine obtint de son époux, le roi perse Ashuérus, la même promesse faite à Salomé par Hérode Antipas et répétée par l’Evangile de Marc (6, 23) : « Tout ce que tu me demanderas, je te le donnerai, jusqu’à la moitié de mon royaume. » Une faiblesse amoureuse pour ce roi qui « aima Esther plus que toutes les autres femmes » (Esther 2, 17). Une faiblesse coupable pour Hérode Antipas enivré par la fille de sa femme. Esther obtint la pendaison du grand vizir Aman. Salomé, elle, obtiendra la tête de Jean le Baptiste sur un plateau […].

Femme fatale idéale

Salomé représente la femme fatale idéale. Epouvantable amante, sa danse désorganisée ensorcelle ses victimes attablées pour le banquet royal […]. Le tétrarque Hérode Antipas, médusé, contemple sa belle-fille exhibant son corps à peine pubère. Elle danse, insensible au désir qu’elle suscite […]. Sa mère Hérodiade a lâché sa fille dans la salle du banquet comme une louve dans une bergerie. Ce qu’elle veut, c’est se venger de cet homme (Jean le Baptiste) qui condamne son mariage avec Hérode Antipas. Certes, Antipas est à la fois son époux, son oncle et le frère de son précédent mari. Mais peu importe ! Il lui fallait répudier Hérode Philippe qu’elle jugeait trop timoré et manquant d’ambition, lui préférant son propre frère qu’elle croit promis à un destin royal. Jean le Baptiste crie à l’inceste et à l’adultère […]. Ce mariage contre nature doit être annulé !

Hérode Antipas a fait enfermer Jean le Baptiste dans un cachot de sa forteresse de Machéronte, sur la rive orientale de la mer Morte. Le tétrarque n’ose pas le faire exécuter […]. Ce n’est pas Hérodiade, mais sa fille Salomé qui va obtenir la tête de Jean le Baptiste. Lolita biblique, Salomé séduit son beau-père sur ordre de sa mère […]. En offrant la tête de Jean le Baptiste en échange de l’hymen de sa belle-fille, Antipas succombe à la femme fatale la plus épouvantable depuis Lilith.

Entre légende et fantasme

Salomé est un personnage mythique écrit à l’encre des fantasmes masculins. Ni l’Evangile de Marc (6, 17-29) ni celui de Matthieu (14, 3-12) ne la mentionnent, présentée sobrement comme « fille d’Hérodiade ». C’est l’historien juif du Ier siècle Flavius Josèphe qui livre le nom de la femme fatale promise à la couronne d’Arménie. Si Ernest Renan voyait dans l’exécution de Jean le Baptiste « le seul épisode absolument historique de l’oeuvre évangélique, tous Evangiles confondus », c’est encore Flavius Josèphe qui rapporte que Jean le Baptiste fut mis à mort sur l’ordre d’Hérode Antipas, mais il ne dit rien sur sa décapitation et rien sur le rôle qu’aurait joué une jeune fille de sang royal en dansant devant les convives de son banquet d’anniversaire.

Extrait de Et Dieu créa le sexe. La sexualité, l’amour et la Bible, par Patrick Banon, Presses de la renaissance, 285 p. 2015.

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