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Ségolène Royal, l’emmerdeuse

Le Vif

Ségolène Royal n’a de règles que celles qu’elle se fixe, de comptes à rendre à personne, sauf… au président français. Elle n’a pas changé, toujours aussi intraitable et cassante, toujours aussi courageuse et obstinée pour défendre ce en quoi elle croit.

Elle est partie sans attendre la fin. Mercredi 18 juin, Conseil des ministres, en France. Ségolène Royal termine la présentation de son projet de loi « Pour un nouveau modèle énergétique français », puis elle ramasse tranquillement ses dossiers. Et, sous les yeux de ses collègues un peu stupéfaits, alors que l’un d’eux parle encore, elle quitte la pièce pour aller préparer sa conférence de presse. Ce n’est pas l’usage ? D’ordinaire, personne ne se lève avant que le président français donne le signal du départ ? Aucune importance : Ségolène Royal n’a de règles que celles qu’elle se fixe. Ce jour-là, la présentation aux médias de son texte passe avant le bla-bla gouvernemental. La voilà donc dehors, tandis que François Hollande, impassible, semble à peine l’avoir vue sortir. « Ni lui ni elle ne jouent de leur relation privée, constate un ministre. Ils n’en ont pas besoin : la complicité, la connivence sont évidentes. Une manière de s’écouter, un regard, un sourire, parfois même une petite moquerie de la part de Hollande. Les autres doivent faire avec. »

Les autres font avec. Ce n’est pas que la ministre française de l’Ecologie soit mauvaise camarade, non – la camaraderie n’est juste pas son problème, même si elle embrasse désormais ses homologues féminines, quand elle leur serrait la main il y a encore quelques semaines. De manière générale, le reste du gouvernement lui importe peu ; Ségolène Royal joue sa partition, avec une loyauté qu’elle estime devoir au chef de l’Etat et à lui seul.

« Royal n’est pas « perso », précise un ministre qui la connaît bien ; elle vit à part, dans son monde, comme Laurent Fabius et, dans une moindre mesure, Arnaud Montebourg. Pour la comprendre, il suffit de s’adresser à quelqu’un qui en détient les clés. » A Jean-Pierre Jouyet, par exemple, vieux camarade de l’ENA (Ecole nationale d’administration). Le secrétaire général de l’Elysée fait souvent le lien entre le cabinet de la ministre de l’Ecologie et ceux des autres membres du gouvernement pour déverrouiller des situations sources potentielles de conflits, comme avant la réunion d’arbitrage sur la loi de transition énergétique organisée autour de Véronique Bédague-Hamilius, directrice du cabinet de Manuel Valls, et à laquelle la ministre assiste elle-même…

Elle refuserait d’ouvrir les portes elle-même

Ségolène Royal n’a pas changé. Malgré l’aridité du désert qu’elle a traversé depuis sa débâcle à la primaire socialiste, malgré l’enfer qu’elle a vécu et dont elle a cru, un moment, ne pas réussir à sortir, elle reste une « belle emmerdeuse », résume un membre du gouvernement dans un sourire. Pour le meilleur : capable de remuer ciel et terre lorsqu’il s’agit d’obtenir ce à quoi elle tient ; une femme courageuse et obstinée. Pour le pire : toujours aussi intraitable, toujours aussi cassante lorsqu’elle est mécontente, toujours aussi raide sur les principes. En trois mois, elle a changé plusieurs fois de collaborateurs dont son assistant parlementaire, et exige l’application stricte du règlement intérieur au sein son ministère. La ministre a un sens aigu de la hiérarchie – des employés rapportent qu’elle refuserait d’ouvrir les portes elle-même, ou de s’encombrer de ses documents et autres effets personnels. Comme ce soir du printemps 2000 où, ministre déléguée à la Famille du gouvernement de Lionel Jospin, en panne d’essuie-glaces sur l’autoroute, elle exige qu’une personnalité officielle de la préfecture de Poitou-Charentes vienne la chercher. Au moment d’entrer dans la voiture de secours, d’un geste, elle tend à la sous-préfète, qui a fait le déplacement… son sac à main.

Presque quinze ans plus tard, sans doute Ségolène Royal en fait-elle toujours trop. Mais elle a le mérite d’avoir réussi ce pour quoi elle est entrée au gouvernement : redonner une dimension politique à un ministère qui, jusque-là, avait souffert d’un gros décalage entre l’importance des sujets traités et la surface personnelle de ses occupants. En mars 2014, alors que le chef de l’Etat français réfléchit à un nouveau gouvernement, la présidente de Poitou-Charentes n’a pas besoin, comme d’autres, de faire des pieds et des mains pour entrer dans l’équipe : aussi clairement qu’elle n’en était pas en 2012, il est évident qu’elle en est en 2014. A la veille du second tour des municipales, pour la première fois depuis l’élection de François Hollande, Ségolène Royal est invitée à l’Elysée pour déjeuner, avec leur fille Flora. « Il était tout content que son ex-compagne soit là, raconte un proche. Comme un gosse qui montre enfin sa chambre et ses jouets à un copain. » La défection de Cécile Duflot pousse Royal vers l’écologie, alors que Hollande a fait de la transition énergétique l’une des grandes promesses de sa campagne présidentielle. « Elle fait le job, souligne un conseiller élyséen : elle s’est investie ; elle demeure l’une des personnalités fortes et positives de ce gouvernement. »

Ségolène Royal peut en outre compter sur le soutien enthousiaste du sénateur écologiste Jean-Vincent Placé, qui ne fait pas mystère de son envie de devenir ministre. Le 23 juin, ils dînent ensemble avec le président du Sénat français, Jean-Pierre Bel, et la présidente du Sénat chilien, Isabel Allende. Quelques jours plus tôt, apprenant que Royal vient de perdre son frère, Placé lui envoie un SMS pour lui proposer d’annuler le repas auquel elle a convié le soir même des sénateurs écologistes. Elle décline la proposition, la soirée de travail a lieu comme convenu. Le sénateur Vert apprécie la détermination, le franc-parler et la ligne politique à laquelle se tient son interlocutrice : « Ma position, c’est celle-là. Si ça te pose un problème, vois avec François », dit-elle souvent. « Je considère qu’on a obtenu dans la loi les quatre points fondamentaux pour nous », énumère Placé : la part du nucléaire dans l’électricité, qui passe de 75 % à 50 % à l’horizon 2025 ; la division par deux de la part de l’électricité d’ici à 2050 dans la consommation énergétique française, ainsi que la réduction de 40 % des énergies fossiles et l’objectif de 32 % d’énergies renouvelables d’ici à 2030.

La presse a beaucoup changé depuis la dernière expérience ministérielle de Royal, au début des années 2000 – il lui a fallu quelques jours pour s’en rendre compte. Les critiques qui pleuvent après un article de Paris Match, le 15 mai, où elle a des mots durs pour certains autres ministres, la déstabilisent un peu. Ni le Premier ministre ni le président n’ont réellement besoin de lui rappeler les règles – elle comprend elle-même qu’elle est la première à pâtir de ses déclarations. « Les Français aiment Ségolène en créatrice d’harmonie », constate un collaborateur. Le jour où sort l’article, après le Conseil des ministres, elle participe à une réunion restreinte à l’Elysée, avec ceux qu’elle a critiqués : « Ségolène, pas toi, pas nous, pas ça », ironise Michel Sapin. « Elle n’a pas dit grand-chose, raconte l’un des participants. Il était clair pour tout le monde, elle y compris, qu’elle avait fait une connerie. » Depuis, la ministre fait plus attention. Elle évite aussi soigneusement les sujets qui peuvent la mettre en difficulté.

Quelques jours après l’annonce du nouveau gouvernement, en mars, Laurent Fabius prend un air entendu pour constater, devant quelques membres de son cabinet : « Vous verrez : Ségolène, ça va très bien marcher, et puis… ça va s’arrêter d’un coup. » D’un coup ? En 2015 peut-être, lorsque le ministre français des Affaires étrangères accueillera à Paris la 21e conférence mondiale sur le climat, dont il doit assurer la présidence… En attendant, Royal poursuit son bonhomme de chemin. « D’abord, prendre les positions ; ensuite, les tenir », telle est la devise de cette fille de colonel. A la fin du dîner qu’elle offre aux autres femmes ministres, le 28 mai, elle donne à chacune une petite sculpture d’oiseau, trouvée au Muséum d’histoire naturelle. « Fais comme l’oiseau… / Car jamais rien ne l’empêche, l’oiseau / D’aller plus haut. » Royal connaît la chanson.

Par Elise Karlin, avec le service France de L’Express

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