Yohachi Nakajima montre ses parents adoptifs chinois © AFP

Seconde guerre mondiale: le drame des bébés japonais abandonnés en Chine

Le Vif

Des décennies ont passé, mais Yohachi Nakajima, 73 ans, a toujours les larmes aux yeux lorsqu’il pense à sa mère adoptive et au village chinois qu’il considérait comme le sien, lui, petit garçon japonais perdu dans l’empire du Japon en déroute.

Il n’avait que trois ans lorsque Tokyo a capitulé le 15 août 1945, laissant environ un million et demi de Japonais bloqués dans le Manchukuo, Etat fantoche mis en place par le Japon dans le nord-est de la Chine. Agriculteurs, ouvriers et jeunes réservistes avaient émigré dans la région dès le début des années 30 tandis que l’armée japonaise menait à travers l’Asie une brutale campagne de colonisation.

Le père de M. Nakajima, Hiroshi, était parmi ces hommes, mais il fut enrôlé dans l’armée trois semaines avant la reddition de son pays. Son sort reste inconnu. Malade et pauvre, la mère du petit Yohachi chercha une famille pour s’occuper de lui. L’enfant, le ventre gonflé par la famine, fut conduit sur la place centrale du village, sous le regard curieux des habitants. Une dame, Sun Zhenqin, se porta volontaire pour recueillir le garçonnet et lui donna immédiatement un nouveau nom: « Lai Fu » (La chance qui arrive). « Elle me donnait la becquée et me massait doucement le ventre », se souvient M. Nakajima. « C’était une sage-femme et sa décision a dû être impulsive », dit-il à l’AFP. « Ce n’est sans doute que par pure humanité qu’ils ont décidé de m’adopter et de m’élever, moi, un enfant de l’agresseur ».

‘Une perle au creux de la main’

Après l’annonce de la capitulation par l’empereur Hirohito, la situation des émigrés japonais en Chine s’est brusquement détériorée et des dizaines de milliers d’entre eux sont morts de faim et de maladie alors que l’hiver rigoureux s’installait dans la région. Certains ont eu recours au suicide collectif, se rassemblant dans des maisons qu’ils faisaient exploser. Des groupes de migrants japonais armés de sabres tuaient femmes et enfants pour abréger leurs souffrances. La mère de Sun Shouxun, 58 ans, un Chinois vivant actuellement dans la ville de Changchun (nord-est de la Chine), a recueilli une enfant japonaise. Les parents de cet homme exprimaient leur profonde affection pour sa soeur adoptive en disant qu’elle était « une perle au creux de la main ». « L’opinion publique était à l’époque très opposée à l’adoption d’enfants japonais et c’était le cas de nos proches », a-t-il raconté à l’AFP. Le nombre d’enfants japonais devenus orphelins en Chine n’est pas précisément connu, mais Tokyo donne le chiffre de 2.800.

M. Nakajima est revenu au Japon à l’âge de 16 ans et n’a plus tard parlé qu’une fois à sa mère adoptive, en 1966, à l’occasion d’un voyage en Chine où il servait d’interprète pour un échange culturel. Mais le pays à l’époque en pleine Révolution culturelle, était en grande partie fermé aux étrangers et M. Nakajima n’a pu que lui téléphoner et l’entendre crier « Lai Fu! Lai Fu! » avant que la communication ne soit coupée. Ils ne se sont plus jamais parlé et Mme Sun est morte en 1975.

Un tombeau vide au Japon

Il y avait aussi de jeunes femmes envoyées pour épouser des migrants japonais. Fumiko Nishino, 88 ans, est l’une d’elles. Elle devait officiellement travailler comme opératrice téléphonique avec ses deux soeurs. Les trois soeurs ont eu plusieurs années après leur arrivée la possibilité de monter à bord d’un navire pour retourner dans l’archipel, mais Mme Nishino, qui avait eu d’un soldat chinois des jumelles, refusa de partir. « J’ai perdu contact pendant des années et des années avec ma famille japonaise, pas un appel, pas une lettre », dit-elle. « Lorsque j’ai fini par rentrer (au milieu des années 70) il y avait une tombe disant que j’étais morte à 19 ans. J’ai fait basculer la stèle et l’ai brisée en pleurant et riant à la fois avec ma famille », se souvient-elle. D’autres aussi ont trouvé une sépulture à leur nom. En 1959, le Japon avait en effet déclaré que près de 20.000 Japonais restés à l’étranger, essentiellement en Chine, étaient morts ou ne voulaient pas rentrer, les abandonnant une seconde fois. M. Nakajima fait partie des chanceux. Il a retrouvé sa mère biologique et est resté très proche d’elle jusqu’à sa mort à 98 ans. Mais la gentillesse de Mme Sun et des villageois, les travaux des champs récompensés le soir par une assiette fumante de pommes de terre restent dans son coeur. « Et si les choses avaient été inversées ? Je me demande si les Japonais auraient agi de la même manière », dit-il.

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