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Sarkozy revient !

Le Vif

Jusqu’à présent, l’ancien président français se contentait de maintenir le contact avec son camp. Le voici désormais qui accélère et s’active à rendre incontournable sa candidature à l’élection présidentielle de 2017. En misant sur le chaos de la droite.

François Hollande est sur le chemin de l’Elysée, les caméras le suivent en direct. Ce 15 mai 2012, Nicolas Sarkozy attend, dans son bureau au premier étage du palais, l’arrivée de son successeur. A ses côtés, son épouse, ainsi que deux de ses collaborateurs. Comme tout le monde, le président partant regarde la télévision… mais c’est une chaîne sportive que lui a choisie ! La politique est une compétition : on joue, on gagne, on perd. On ne s’avoue jamais vaincu. Et quand la défaite arrive, on songe immédiatement à la revanche.

En le voyant, le 3 juin, sortir d’une voiture aux allures officielles, devant le 10 Downing Street, pour un rendez-vous avec le Premier ministre britannique, David Cameron, l’un de ses plus proches conseillers n’a pu retenir ce cri du coeur : « Ça y est, il est candidat. » Happé par le haut, toujours parmi les grands du monde, tiré par le bas, avec cette mâle volonté d’envoyer une carte postale à François Fillon – Regarde ma prise de guerre, François Baroin est avec moi, tu le croyais avec toi ! Sauf que l’ex-ministre de l’Economie n’est pas, confie-t-il en plaisantant, « un enfant de divorcés » : deux jours plus tard, il s’affichera avec François Fillon sur France 2. Le message de Londres se voulait plus large : Nicolas Sarkozy n’est prisonnier de personne. « Ces derniers temps, trop de gens ont voulu s’emparer de lui », pointe un fidèle de la première heure.

Qui conseille quoi, qui soutient qui ? Ce n’est pas grave de se perdre. Car Sarkozy le revenant a opté pour la stratégie du chaos. Chaos économique et sociétal, d’abord. Convaincu que François Hollande est un président mou, il en déduit que les tensions dans le pays vont s’exacerber, voire dégénérer. Il y a quelques jours, son ancien conseiller Franck Louvrier, désormais à la tête de Publicis Events, lui a remis une étude de son groupe intitulée « Europe 2013, un continent à la dérive ». Des Français plus pessimistes que les autres peuples, prêts à des efforts tant ils sont persuadés que l’heure est grave, et qui, à l’image de leurs voisins du Vieux Continent, doutent terriblement des institutions, qu’elles soient européennes ou nationales, et des partis. Noir, c’est noir.

Un cas n’est pas simple à régler : celui de Juppé

« Puisqu’il ne peut pas susciter une crise financière, il mise aussi sur une crise politique » : au terme d’un tête-à-tête, un ancien ministre est arrivé à la conclusion que, pour lui, le salut se trouve également dans un chaos de la droite. S’il ne veut pas laisser Fillon progresser sur le chemin de 2017, l’homme de l’ordre a donc besoin d’un maximum de désordre. De ce point de vue, l’UMP est à la hauteur de ses espérances. Désordre des hommes. L’ex-Premier ministre n’admettait pas que Nicolas Sarkozy le considérât autant coupable que Jean-François Copé pendant la crise de l’UMP ; aujourd’hui, c’est Copé qui trouve injuste que l’ancien chef de l’Etat le critique autant que François Fillon, alors que lui, à la tête du parti, a fait acte d’allégeance.

Pendant que Copé se crispe, Fillon se libère. « C’est marrant, il dit beaucoup de choses à la télé, mais c’est plus dur de me le dire en face ! » a lâché Nicolas Sarkozy devant un visiteur. Il n’a pas digéré la petite phrase, dans un documentaire de Franz-Olivier Giesbert diffusé par France 3, sur la « différence d’approche irréconciliable » entre les deux hommes sur le FN. François Baroin a transmis le message à François Fillon, lui rappelant l’attitude sans ambiguïté de Nicolas Sarkozy, alors secrétaire général du RPR, aux régionales de 1998 ; du coup, le député de Paris a profité de son passage dans Des paroles et des actes, le 6 juin, pour « préciser un peu son propos ».

Lors de sa précédente traversée du désert, entre son humiliante défaite aux européennes de 1999 et la présidentielle de 2002, Nicolas Sarkozy accueillait des visiteurs toutes les demi-heures, histoire de s’alimenter et de construire des rapports de force. Voilà qu’il recommence. Les bureaux de la rue de Miromesnil ne désemplissent pas. Il somme chaque filloniste de choisir son camp. Il tente aussi de débrancher les concurrents.

Un cas n’est pas simple à traiter, celui d’Alain Juppé. « Nicolas Sarkozy est actuellement la seule alternative crédible ; dans deux ou trois ans, qui sait ? Il faut se méfier des sondages », prévient le maire de Bordeaux. C’est à Matignon que Nicolas Sarkozy ne voudrait surtout pas voir Juppé rugir, en cas de dissolution et de victoire de la droite. Il offrirait alors à François Hollande l’espoir de se refaire une santé avant 2017, grâce à une cohabitation. « François Fillon refuserait d’être nommé, Nicolas dissuaderait Copé d’accepter. Il faut bloquer Juppé, pour pousser Hollande dans une impasse », dévoile un fidèle.

S’assurer du contrôle des députés UMP constitue donc un enjeu décisif. C’est pourquoi tous les jeunes ont droit à un numéro de charme. Gérald Darmanin, benjamin de l’Assemblée, a été élu à 29 ans. A chaque rencontre (deux en un an), Sarkozy joue l’admiration : « 29 ans ! Un an de moins que moi quand j’ai été élu. Et dans le Nord en plus… » D’autres entendent un petit numéro de comique : « Depuis que j’ai quitté l’Elysée, j’ai changé d’équipe, j’ai le meilleur communicant de la place de Paris et il ne me coûte rien ! » ironise alors l’ex, pour pointer la faiblesse de Hollande.

Au désordre des hommes s’ajoute celui des idées. La Manif pour tous a montré l’étendue des divergences au sein de la droite républicaine. Entre les lignes qui s’affrontent, Sarkozy se garde de trancher. Trois jours après avoir emmené François Baroin à Londres, il reçoit Patrick Buisson, son ancien conseiller, très à droite, de l’Elysée. Pour ce dernier, le combat reste à mener sur le terrain des valeurs, puisque l’économie ne mobilise plus. Les hausses de la fiscalité, qui naguère entraînaient les gens dans la rue, les laissent dorénavant de mauvaise humeur – pas plus. Dans la foulée, le politologue explique au Monde que le mouvement contre le mariage homo a fait émerger un « populisme chrétien »… et que le perdant de 2012 « s’imposera comme l’unique recours » en 2017.

« Tu as gagné sept points depuis ta mise en examen ! »

Il ne manquerait plus que le chaos électoral. Tandis que Sarkozy n’est pas loin de parier que le FN devancera l’UMP aux européennes, certains proches pronostiquent une multiplication d’accords locaux sauvages avec l’extrême droite aux municipales. Mon pays est enfoncé, ma droite cède, tout va bien, je vais pouvoir attaquer. A moins que… Au royaume des mauvaises nouvelles, certaines le sont vraiment. Si on veut être sûr d’énerver Nicolas Sarkozy, il suffit de le comparer à Silvio Berlusconi version 2001 – celui qui réussit à redevenir, six ans après son premier mandat, président du Conseil italien alors même qu’il est (déjà) cerné par les juges. « Bravo, tu as pris sept points dans un sondage depuis que tu es mis en examen ! » le nargue un visiteur en avril quand, selon la première enquête réalisée après sa mise en examen, l’ancien président demeure plus que jamais le candidat préféré des sympathisants UMP. Un proche en rigole : « Son meilleur comité de soutien pour 2017, c’est François Fillon et le juge bordelais Gentil. » Comme si, de l’arbitrage Tapie à Bettencourt, les affaires n’étaient déjà pas assez nombreuses, c’est maintenant le cas de Claude Guéant qui inquiète. « Comment un homme aussi autoritaire que Nicolas Sarkozy convaincra-t-il qu’il pouvait ne pas savoir que son bras droit faisait de telles conneries ? » s’inquiète un ami. Le chaos pour la terre entière, oui, mais pas jusque dans son entourage.

Par Eric Mandonnet et Benjamin Sportouch

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