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Sarkozy, ce sont ses meilleurs amis qui en parlent le mieux

Ils connaissent l’homme depuis des décennies. Ces cinq dernières années, ils ont tenté de ne pas se laisser voler le président. Les copains racontent bons moments et vraies frustrations.

Dimanche 15 avril, place de la Concorde, à Paris, la loge de Nicolas Sarkozy accueille la foule des grands jours. Carla discute avec le sénateur Pierre Charon, qui fut son conseiller à l’Elysée, avant d’en être écarté. Le député maire de Levallois (Hauts-de-Seine), Patrick Balkany, et sa femme Isabelle, évoquent leur nuit sur place, logés au Crillon, tandis que Christian Estrosi, député maire de Nice, revit les 42,195 kilomètres de son marathon de Paris, couru le matin même du meeting présidentiel.

Même le copain de lycée du président, l’avocat Jean-Marie Chaussonnière, passe une tête avant de s’éclipser dans la cohue. En ces temps de sondages moroses, pas un proche ne manque à l’appel pour ce rendez-vous crucial de la campagne. « On n’est pas des anciens combattants, plutôt des combatifs. Ses amis sont sa vitamine C », glisse Jean-Marie Chaussonnière, qui a déjà assisté cette année à près d’une dizaine de meetings.

Pour les sarkozystes du premier cercle, le quinquennat qui s’achève laisse parfois un goût douceâtre. A la joie de son élection à la tête de l’Etat a succédé le regret de ne plus le voir aussi souvent qu’avant. La faute à « un emploi du temps de fêlé », selon l’expression des Balkany, qui avouent dîner « de temps à autre, le week-end », avec les Sarkozy. Tous louent toutefois sa disponibilité en cas de coup dur, voire sa sollicitude, glisse un proche, « pour les gens qui connaissent les mêmes difficultés conjugales que lui ».
« Je garde le souvenir de la porte d’entrée, pas de la sortie »

Les plus politiques de ses amis, ceux qui pensaient que l’arrivée du chef de la bande à l’Elysée s’accompagnerait d’une promotion personnelle à la hauteur de leur fidélité, ont vite déchanté. « Patrick Devedjian ou Christian Estrosi pensaient qu’ils allaient être « servis » », grince un familier du président. Privé du ministère de la Justice au profit de Rachida Dati, le premier affiche immédiatement son aigreur en réclamant publiquement que « l’ouverture aille très loin… jusqu’aux sarkozystes ».

Le second rumine encore d’avoir dû laisser, en 2007, la présidence du groupe UMP à l’Assemblée nationale à Jean-François Copé. « J’ai dit à Nicolas qu’il faisait une erreur et les cinq ans qui ont suivi m’ont donné raison », soupire le maire de Nice. « On pense souvent qu’un ami vous appartient, mais un président de la République n’est la propriété de personne », tranche le plus fidèle d’entre tous, Brice Hortefeux.

L’ami intime parle en connaissance de cause. Après l’Immigration (Cécilia Sarkozy s’opposait à sa nomination à un poste majeur) et le Travail, il décroche enfin, en juin 2009, le ministère de l’Intérieur, mais doit endurer les remontrances répétées d’un Sarkozy persuadé d' »avoir tué le job pour dix ans ». En février 2011, il est exfiltré sans gloire du gouvernement Fillon, tout en conservant intacte son amitié pour Nicolas Sarkozy : « Je garde le souvenir de la porte d’entrée, pas de la sortie. »

A l’en croire, sa relation privilégiée avec le chef de l’Etat ne lui a valu aucune indulgence. « Nos liens se traduisaient par une exigence supplémentaire plutôt que par une facilité », estime l’eurodéputé. Un constat partagé par Roger Karoutchi, autre copain de trente ans. « De 2007 à 2009, j’étais davantage le ministre du président que l’ami du président. J’étais même moins ménagé que d’autres », se rappelle l’ancien secrétaire d’Etat aux Relations avec le Parlement. Avoir fréquenté les anniversaires de la famille Sarkozy à Neuilly ne le protège pas d’homériques colères présidentielles, comme après le rejet par les députés de la première loi Hadopi, en avril 2009. Ami ou pas, impossible de lui répondre dans ces moments-là…

« La prime ne doit pas revenir aux casse-pieds »

Dans les bourrasques, « Brice » et « Roger », bons petits soldats, s’accrochent à la « règle Hortefeux » : un ami n’apporte pas de problèmes au président, il fournit des solutions, c’est à cela qu’on le reconnaît. Averti de son éviction du gouvernement par François Fillon, Karoutchi reçoit un appel présidentiel trois jours plus tard, sans un mot sur le sujet.

« Parfois brutal, jamais méchant », selon un proche, Nicolas Sarkozy n’hésite pas, lui, à exiger des sacrifices au nom de l’amitié. « S’il ne le formule pas en ces termes, nous, nous le comprenons ainsi », nuance le sénateur des Hauts-de-Seine. Sèchement battu en 2009 par Valérie Pécresse lors de la primaire UMP pour les régionales en Ile-de-France, Roger Karoutchi se voit intimer l’ordre de ne pas contester les résultats. « Tout autre que moi aurait porté la chose devant les tribunaux, il le sait. J’en ai conçu un peu d’amertume, car la prime ne doit pas revenir aux casse-pieds. »

D’autres ont choisi l’affrontement. Convoqué à l’Elysée à l’automne 2010, alors que l’UMP des Hauts-de-Seine se déchire, Patrick Devedjian, patron en disgrâce du département, ne donne alors pas cher de sa peau. Au chef de l’Etat il lance : « Contre le président, je n’ai aucune chance. Mais mon histoire m’a appris à tenir debout. Je vais mourir, mais debout… » Il sauvera miraculeusement sa tête en mars 2011, lors de cantonales calamiteuses pour le parti présidentiel.

L’année dernière, c’est au tour de Pierre Charon de braver les consignes élyséennes pour les sénatoriales à Paris. Evincé au printemps de l’Elysée, victime de sa haine de Rachida Dati, cet ancien de la « Firme » – ces conseillers que détestait Cécilia – défie la liste officielle adoubée par le chef de l’Etat. Et remporte son siège haut la main. « Nicolas Sarkozy n’est pas le meilleur DRH de ses amis, il a du mal à accepter qu’ils grandissent. Finalement, j’ai fait ce qu’il a toujours fait: me servir moi-même », raconte l’élu parisien.

L’Elysée, une « prison dorée » pour Sarkozy?

Le trublion a été vite pardonné. L’heure est grave et le camp sarkozyste a besoin de bras. « Dans les périodes de combat, les détails ne comptent plus, on va à l’essentiel, on s’entoure de gens que l’on comprend sans avoir à leur parler », explique Roger Karoutchi, chargé de la mobilisation militante dans l’équipe du candidat.

Nicolas Sarkozy peut aussi compter sur le regard extérieur du couple Balkany. En cinq ans, Isabelle n’a jamais cessé de lui adresser des SMS pour juger une prestation télévisée. « Il me rappelle dans les cinq minutes », s’enorgueillit-elle. Ces temps-ci, ils se parlent de la campagne, en toute franchise. « Quand j’ai quelque chose à lui dire, je mets rarement les formes », jure l’ancienne vice-présidente du conseil général des Hauts-de-Seine, qui revendique haut et fort sa « proximité avec l’homme qui est devenu président de la République ».

D’autres amitiés ont souffert des aléas de la politique. « Loyal, mais libre » depuis qu’il a conquis Nice, Christian Estrosi charge volontiers l’entourage du président. « Tant que Claude Guéant était secrétaire général et Raymond Soubie conseiller social, j’avais des liens directs ou indirects assez étroits avec Nicolas Sarkozy. Les nouveaux arrivants ont cherché à créer des barrières, ils ont isolé le président, qui a perdu de sa lucidité », expliquait l’ancien ministre de l’Industrie en février dernier.

Dès son élection, Nicolas Sarkozy avait pourtant été mis en garde par son vieil ami Jean-Marie Chaussonnière. « Le pouvoir isole », lui avait écrit l’avocat dans une petite note manuscrite. « Même matériellement, l’Elysée est une prison dorée, observe l’avocat, invité une ou deux fois par an, le samedi, à goûter. En 2007, je lui ai donné rendez-vous en 2017. Pour retourner ensemble au restaurant, sans le service de déminage… »

Par Thierry Dupont , L’Express

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