Rodrigues © AFP

Sait-on enfin qui a tué le militant anti-apartheid Ahmed Timol ?

Le Vif

Quarante-six ans après la mort suspecte du militant anti-apartheid Ahmed Timol au QG de la police à Johannesburg, le dernier policier qui l’aurait vu vivant a maintenu sa version des faits. A la barre, il a pourtant été mis devant ses « incohérences » et accusé mercredi de « meurtre ».

Le 27 octobre 1971, Ahmed Timol a « plongé » du 10e étage du commissariat, a répété inlassablement le sergent Joao Rodrigues devant le tribunal de Pretoria. « J’ai fait de mon mieux, je n’ai pas pu l’atteindre avant qu’il ne passe par la fenêtre » du bureau 1026, a soutenu le septuagénaire, adepte de rugby, de karaté et de lutte au moment du drame.

Une version que se sont attelés à démonter – de lundi à mercredi – le parquet et l’avocat de la famille Timol, qui n’a jamais cru au suicide et obtenu, après une longue bataille, la réouverture de l’enquête cette année. Ne pas avoir réussi à atteindre Ahmed Timol dans ce petit bureau avant qu’il ne saute, « c’est la plus grosse invraisemblance de votre version, un grand gars comme vous, sportif, de près d’1m90 », lâche le représentant du parquet, Torie Pretorius.

Ahmed Timol a été torturé avant sa mort, ont assuré plusieurs experts légistes devant le tribunal la semaine dernière. « Dans cet état, il pouvait à peine marcher et encore moins plonger d’une fenêtre », assure Howard Varney, avocat de la famille Timol. « Je ne suis pas médecin », rétorque le sergent qui maintient ne pas avoir constaté de blessures sur Ahmed Timol.

« Vous devez les avoir vues. Vous réécrivez l’histoire », assène Me Varney.

Pause café

Ce 27 octobre 1971, le sergent Rodrigues, comptable pour la police, se retrouve dans le bureau 1026 pour remettre, selon sa version, leurs salaires aux deux capitaines qui interrogent Ahmed Timol. Dans le couloir, il se voit confier un plateau avec trois tasses de café destinées à Ahmed Timol et ses deux interrogateurs. « Tous les trois ont bu leur café », affirme le sergent. « Vous donnez l’impression que les détenus boivent du café », lance avec ironie Torie Pretorius, déclenchant quelques rires sarcastiques dans la salle du tribunal.

A cause de ses blessures, notamment une mâchoire cassée, il était pourtant « très difficile pour Ahmed Timol, voire impossible de boire », fait remarquer Howard Varney.

La pause café est « simplement une histoire de plus montée de toutes pièces par la police. Et par devoir vous avez joué le jeu de la police. (…). La version du suicide, c’est une invention complète », lance l’avocat. Me Varney est convaincu que le sergent Rodrigues ment encore aujourd’hui lorsqu’il affirme avoir été laissé seul avec le militant communiste.

Comment expliquer que ce comptable ait eu la garde d’Ahmed Timol en l’absence des deux capitaines? « Vous avez collaboré avec la police pour dissimuler plusieurs crimes, la torture d’abord, puis le meurtre » d’Ahmed Timol, conclut Me Varney. Et de recommander que le sergent Rodrigues soit « poursuivi pour parjure, meurtre, complicité après les faits ». Initialement, la famille Timol avait expliqué rechercher la vérité. Pas la vengeance.

Mais « Rodrigues s’en tient à ce qu’il a toujours dit. En ne disant pas la vérité, il ne peut qu’être poursuivi », a déclaré à l’AFP Mohammad Timol, frère cadet du défunt.

Jusqu’à récemment, la famille Timol et le parquet étaient persuadés que le sergent Rodrigues était mort, comme tous les autres protagonistes présents dans le bureau 1026 ce 27 octobre 1971. Mais sa fille a révélé le contraire et permis, in extremis, que l’ancien policier qui se fait désormais appeler Jan et non plus Joao, soit assigné à comparaître.

« Vous n’essayez pas d’échapper à votre passé? », a demandé l’avocat général. « Je ne comprends pas la question », a répondu après un long silence le sergent, vêtu d’un blouson beige sur cravate assortie et chemise blanche.

Lors de son contre-interrogatoire retransmis en direct à la télévision, Me Varney a souligné l’importance historique de l’enquête: elle doit permettre non seulement à la famille Timol mais aussi à un « pays tout entier » encore hanté par les démons de l’apartheid de « tourner la page ».

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