Février 1994 : au QG du FPR, Wilfried Martens rencontre Paul Kagame. Au centre, Johan Swinnen, l'ambassadeur belge. © DR

Rwanda: depuis Mulindi, Paul Kagame organisait sa rébellion

Pendant deux ans, Paul Kagame, alors chef rebelle, a dirigé depuis son fief de Mulindi la stratégie qui allait mener le FPR au pouvoir. Reportage.

Dans une modeste salle sur les hauteurs de Mulindi, à deux pas de la frontière ougandaise, ils sont une vingtaine en ce dimanche de septembre à regarder du foot à la télé : une rencontre du championnat d’Angleterre. Etrange rappel de l’histoire. Il y a vingt-deux ans, le 6 avril 1994, des spectateurs se trouvaient dans la même salle, également rivés devant un match de foot : Nigeria-Côte d’Ivoire, en Coupe d’Afrique des Nations. Ceux-là avaient l’arme au pied : de 1992 à 1994, Mulindi a été le fief des rebelles tutsi du Front patriotique rwandais (FPR), dirigé par Paul Kagame, le futur président. A la suite d’une offensive, il avait installé son QG sur cette colline surplombant d’immenses champs de thé. En plein match, les soldats apprendront la nouvelle qui allait bouleverser le Rwanda et l’Afrique centrale : l’avion du président Habyarimana venait d’être abattu.

Aujourd’hui, la colline a retrouvé sa torpeur. L’usine à thé, privatisée et gérée par des Indiens, a repris du service. Son actionnaire principal, Félicien Kabuga, accusé de génocide, a fui et n’a jamais été rattrapé. Les bungalows de la société sont restés en l’état. C’est là que logeaient les caciques du FPR. Notre guide Vivaldi montre celui où Kagame recevait ses hôtes, dormait, prenait sa douche, donnait ses instructions à ses troupes parties pour conquérir le pouvoir. Il est censé abriter un  » musée national de la libération « . Mais depuis la première pierre posée en 2012, rien n’a bougé. Seul le bunker où le chef se réfugiait en cas d’alerte a été aménagé : un espace de trois mètres carrés sans intérêt, et qui ne justifie guère le supplément réclamé.

Rencontre tendue avec Kagame

Dans la maison, aucune photo, aucune archive… et aucun visiteur.  » Les Rwandais ne s’intéressent pas aux musées, cela ne fait pas partie de leur culture « , explique Vivaldi, qui annonce toutefois un projet hôtelier. Un livre d’or traîne sur une étagère : on y découvre le mot signé par Kagame en 2012 :  » Sur le chemin de la mémoire, un site pour se souvenir de la lutte pour la libération « . Prudent, Vivaldi demande qu’on ne photographie pas la page… Il nous mène ensuite vers le terrain de foot où est née l’équipe de l’APR (Armée patriotique rwandaise), qui caracole en tête du championnat national. Alors que le soir tombe, des militaires en treillis font le guet dans un sous-bois, comme si la guerre n’avait jamais cessé.

Dans son ouvrage, Johan Swinnen évoque sa visite à Mulindi en compagnie de Wilfried Martens, à l’époque président du Parti populaire européen, et du père Léopold Greindl, qui s’était invité pour l’excursion. C’était deux mois avant le début du génocide.  » J’aurais dû sentir que la présence d’un père blanc n’allait pas entraîner une sympathie spontanée auprès des rebelles tutsi « , reconnaît Johan Swinnen. De fait, l’Eglise avait appuyé la révolution hutu de 1959… La conversation fut difficile et même agressive, rappelle Wilfried Martens dans ses mémoires.

Outre Kagame, Johan Swinnen énumère les autres membres de la délégation du FPR présents à l’entrevue : Denis Polisi, Théogène Rudasingwa, Jacques Bihozagara et Pasteur Bizimungu. Autant de trajectoires fracassées : le premier a été écarté, le deuxième est parti en exil, le troisième vient de mourir dans une geôle burundaise, et le quatrième a fini en prison après avoir été le premier président de l’après-génocide. Seul subsiste Paul Kagame, décidément l’homme fort du Rwanda.

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