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Rohingyas: les militaires birmans un jour jugés ?

Le Vif

Les enquêteurs de l’ONU ont demandé lundi que le chef de l’armée birmane soit traduit devant la justice internationale pour le « génocide » des musulmans rohingyas. Concrètement, comment cela peut-il se faire ?

A ce jour, le rapport des experts de l’ONU est celui qui rapproche le plus les responsables birmans de comptes à rendre pour les accusations de viols, meurtres de masse et incendies de villages ayant conduit plus de 700.000 Rohingyas à fuir au Bangladesh voisin depuis août 2017.

L’option A est donc la Cour pénale internationale (CPI) de la Haye. Mais pour qu’elle soit chargée de l’affaire, cela suppose que le Conseil de sécurité de l’ONU le demande, via une résolution. Et c’est là qu’apparaît le premier obstacle : la Chine, qui qualifie la crise rohingya d’affaire intérieure de la Birmanie, mettra son veto selon toute probabilité. La Russie, où le chef de l’armée birmane, le général Min Aung Hlaing, était en visite la semaine dernière, risque de faire de même.

« Comment résoudre ce problème ? Par la négociation et le dialogue », a insisté mardi la porte-parole de la diplomatie chinoise, Hua Chunying, interrogée sur le rapport des experts de l’ONU rendu public la veille. Le Conseil de Sécurité doit justement se pencher sur la situation en Birmanie mardi soir à New York.

Quelles autres options ?

Option B : en cas d’échec des tentatives de faire parvenir le dossier à la CPI à cause d’un blocage au Conseil de sécurité, un tribunal international ad hoc pourrait être créé, comme pour le Rwanda et l’ex-Yougoslavie.

Option C : en avril, la procureure générale de la CPI Fatou Bensouda a, de façon tout à fait inédite, demandé aux juges s’ils accepteraient d’étendre leur juridiction à la Birmanie, même si ce pays n’est pas membre de la Cour pénale internationale. Le mécanisme serait rendu possible par le fait que le Bangladesh (qui subit aussi cette crise, bien malgré lui, ayant été submergé par l’afflux de réfugiés) est membre de la Cour pénale internationale.

Si les juges de la Cour donnent leur feu vert à cette idée, la procureure pourrait alors ouvrir une enquête préliminaire, du fait que le Bangladesh est membre de la CPI. Cela pourrait conduire à des mandats d’arrêt contre des responsables birmans. Ce serait entrer en « territoire inconnu », analyse Kingsley Abbott, un représentant, basé à Bangkok, de la Commission internationale des juristes (CIJ).

Qui pourrait être poursuivi ?

La CPI poursuit des individus, pas des pays. Le rapport de l’ONU diffusé lundi mentionne nommément six hauts responsables de l’armée birmane, dont son chef, le général Min Aung Hlaing.

Les enquêteurs de l’ONU invoquent leur responsabilité en raison du commandement direct qu’ils exercent sur les troupes ayant réalisé les opérations de « nettoyage ethnique » en Etat Rakhine, une région du nord-ouest de la Birmanie où vivaient jusqu’alors la majorité des Rohingyas. Mais la CPI est limitée par le fait qu’elle ne peut forcer ni la Birmanie ni aucun autre pays où se rendraient ces responsables à les expulser.

Quid d’Aung San Suu Kyi ?

Il est fort peu probable que la lauréate du Prix Nobel de la Paix, qui dirige de facto le gouvernement birman, soit poursuivie, malgré les critiques internationales dont elle fait l’objet en raison de son silence sur le drame. A la tête du gouvernement civil birman, elle n’a aucun contrôle sur les ministères clefs de la Défense et de l’Intérieur, qui restent sous la houlette directe de la hiérarchie militaire.

Malgré l’autodissolution officielle en 2011 de la junte militaire au pouvoir pendant des décennies en Birmanie, l’armée reste un acteur politique de premier plan, menant la danse notamment en Etat Rakhine, théâtre du drame rohingya, et dans les autres régions secouées par des guérillas ethniques. Mais les enquêteurs de l’ONU ont mis en exergue le fait qu’elle n’a pas utilisé son aura d' »autorité morale » dans son pays. Son gouvernement est aussi accusé d’avoir nié tout problème, d’avoir empêché l’enquête de l’ONU et d’avoir propagé des mensonges. « A travers leurs actes et omissions, les autorités civiles ont contribué aux atrocités », dit le rapport de l’ONU.

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