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Retrait du traité de désarmement nucléaire: doit-on craindre une deuxième guerre froide ?

Muriel Lefevre

Les Etats-Unis ont annoncé ce vendredi leur prochain retrait d’un traité crucial sur les armes nucléaires de portée intermédiaire (INF) avec la Russie. De quoi relancer la course aux armements nucléaires ou même une deuxième guerre froide ?

« Demain les Etats-Unis vont suspendre leurs obligations dans le cadre du traité INF et lancer le processus de retrait », qui « sera achevé dans six mois à moins que la Russie respecte ses obligations en détruisant tous ses missiles, lanceurs et équipements qui violent le texte », a déclaré le président Donald Trump dans un communiqué. Le chef de la diplomatie américaine Mike Pompeo a assuré que Washington était néanmoins « prêt » à continuer de discuter avec la Russie « au sujet du désarmement ».

Avant même la décision du gouvernement Trump, qui était attendue, la Russie a mis en garde les Etats-Unis contre un retrait « extrêmement irresponsable », jugeant le traité « nécessaire » notamment à « la sécurité européenne ». En octobre, Donald Trump avait une première fois indiqué son intention de se retirer du traité INF, qui pour rappel a été signé entre l’URSS et Washington en 1987 et qui abolit l’usage des missiles terrestres d’une portée de 500 à 5.500 km, au motif que Moscou ne le respectait pas.

Début décembre, depuis Bruxelles et avec le soutien de l’Otan, Mike Pompeo avait donné à la Russie 60 jours, jusqu’au 2 février, pour démanteler ses nouveaux missiles de longue portée violant le traité aux yeux des Américains et de le l’Alliance atlantique. Faute de quoi, il avait menacé de lancer la procédure de retrait, qui s’étend sur six mois. Malgré de nombreuses discussions entre les deux puissances adversaires ces deux derniers mois, tous les acteurs s’accordaient encore cette semaine à dire qu’aucun « progrès » n’avait été possible.

Mike Pompeo et Donald Trump.
Mike Pompeo et Donald Trump.© Reuters

L’Otan a apporté son soutien vendredi au retrait américain du traité INF sur les armes nucléaires avec la Russie, appelant Moscou à revenir dans les six mois à « un respect total et vérifiable » de ses obligations en matière de désarmement.

« Les Alliés appuient pleinement cette démarche », a indiqué l’Otan dans un communiqué.

Si elle « n’honore pas les obligations qui sont les siennes au titre du traité INF (…) pour revenir à un respect total et vérifiable avant que le retrait américain prenne effet, dans six mois, la Russie portera l’entière responsabilité de l’extinction du traité », a jugé l’Alliance atlantique. « Nous continuons d’aspirer à une relation constructive avec la Russie, lorsque les actions de cette dernière le permettront », a insisté l’organisation dans son communiqué.

Traité INF: un accord historique

Le traité INF de désarmement nucléaire des missiles de portée intermédiaire, conclu en 1987 entre l’Américain Ronald Reagan et le Soviétique Mikhail Gorbatchev obligeait pour la première fois les deux pays à réduire leurs arsenaux nucléaires. Au moment de la signature à Washington, le traité est salué comme « historique », ouvrant la voie à une nouvelle ère dans les relations entre les blocs est et ouest.

Ronald Reagan et Mikhaïl Gorbatchev
Ronald Reagan et Mikhaïl Gorbatchev© BELGAIMAGE

Des accords avaient déjà été conclus, comme en 1972 (SALT I) et en 1979 (SALT II), pour limiter le nombre de nouveaux lanceurs de missiles balistiques, mais avec le traité INF, les deux puissances s’engagent pour la première fois à détruire une classe entière de missiles nucléaires. Les missiles dont la portée se situait entre 500 et 5.500 km devaient ainsi être détruits dans les trois ans suivant l’entrée en vigueur du traité.

En tout, ce sont 2.692 missiles qui seront détruits avant 1991, soit la quasi-totalité des missiles nucléaires de portée intermédiaire, et un peu plus de 4% de l’arsenal nucléaire total des deux pays en 1987.

L’une des innovations du traité INF constituait en la mise en place de procédures de vérification des destructions par des inspecteurs de l’autre pays concerné. Parmi les missiles américains destinés à la destruction par le traité, figuraient les célèbres Pershing IA et Pershing II, au coeur de la crise des euromissiles pendant la décennie 1980.

Cette crise, consécutive au déploiement par l’Union soviétique de missiles nucléaires SS-20 tournés vers les capitales européennes, avait vu l’Otan répliquer par le déploiement des missiles Pershing en Europe, tournés vers l’URSS.

En 1983, un an après son entrée en fonction, le président Reagan désignait l’Union soviétique par les termes incendiaires « d’empire du mal ». Après une décennie 1970 plutôt tournée vers la détente entre les deux blocs, la Guerre froide atteignait ainsi un nouveau point d’orgue.

Mais l’arrivée au pouvoir en URSS de Mikhail Gorbatchev en 1985 a vu s’ouvrir une nouvelle ère, marquée par la mise en place des politiques de « Perestroïka », ou « restructuration », qui ont signalé l’ouverture du bloc soviétique à la discussion avec les Etats-Unis. Trois sommets entre Mikhail Gorbatchev et Ronald Reagan entre 1985 et 1987 sont nécessaires pour aboutir à la signature du traité INF (« Intermediate Nuclear Forces », ou « Forces nucléaires intermédiaires »).

L’Europe appréhende le retrait américain du traité INF

L’Union européenne se préparait vendredi à entrer dans une période d’incertitude pour sa sécurité avec la décision des Etats-Unis. La grande crainte est que l’histoire se répète. Il existe en effet de nombreuses similitudes avec la précédente crise européenne des missiles. Par exemple la prise de conscience de la menace que représente le SS-20 d’aujourd’hui : le 9M729, aussi appelé SSC-8. « Ces fusées sont difficiles à détecter et mobiles. Ils peuvent être équipés d’une ogive. Ils peuvent atteindre les villes européennes et disposer d’un court délai d’avertissement », dit De Morgen. Certains voudraient, avec le même réflexe qu’en 1979, leur opposer les nouveaux missiles de croisière terrestres. D’autres sont cependant plus prudent.

« Le traité INF a été violé par la Russie et les appels lancés ces 60 derniers jours pour plus de transparence et plus d’informations n’ont abouti à rien », a déploré vendredi le chef de la diplomatie allemande Heiko Maas depuis Bucarest où il participe depuis jeudi à une réunion informelle avec ses homologues de l’UE.

Heiko Maas
Heiko Maas© Reuters

Heiko Maas a fait la navette entre Moscou et Washington ces dernières semaines pour tenter de sauver le traité sur les armes nucléaires de portée intermédiaire, qui interdit les missiles d’une portée comprise entre 500 et 5.500 km.

Le sujet s’est imposé à Bucarest, car le délai imposé à la Russie par les alliés pour renoncer à son nouveau système de missiles développé selon les Occidentaux en violation du traité expire samedi. Mais le secrétaire d’État Mike Pompeo doit annoncer le retrait de Washington dès vendredi, selon les indications obtenues par les ministres européens.

Le secrétaire général de l’Otan Jens Stoltenberg, venu jeudi à Bucarest, a rappelé que la décision américaine marque le début d’un processus. « A partir du 2 février, les Américains vont lancer la procédure de retrait et cela va prendre 6 mois, ce qui donne encore une opportunité à la Russie de se conformer à ses obligations », explique-t-il.

– Dissonances –

« La Russie a encore le temps de se conformer aux obligations du traité », assure Jens Stoltenberg. Les Américains reprochent à la Russie d’avoir mis au point un système de missiles 9M729 contrevenant au traité. Moscou, qui argue que ce dernier a une portée maximale de « 480 km » et respecte donc l’accord, a une nouvelle fois mis en garde vendredi Washington contre un retrait « extrêmement irresponsable » du traité et les conséquences sur d’autres accords stratégiques.

« Ce qui se passe après est la grande question », a affirmé Sergueï Riabkov, le vice-ministre des Affaires étrangères russe, qui a évoqué le traité START de réduction des armes stratégiques. « Il peut simplement expirer le 5 février 2021 sans être prolongé », a-t-il mis en garde.

Les alliés ne sont pas rassurés pour autant. Les Etats membres de l’Est de l’UE sont très préoccupés par l’attitude de Moscou et par le risque d’une nouvelle course aux armements. « L’histoire a enseigné à mon pays une leçon très claire: chaque fois qu’il y avait un conflit entre l’Est et l’Ouest, nous, Européens centraux, avons toujours perdu », a déclaré le ministre hongrois des Affaires étrangères, Peter Szijjarto.

« En tant que Hongrois, je ne pense pas que nous ayons beaucoup d’influence dans ce dossier. On peut juste croiser les doigts pour une coopération plus pragmatique entre l’Est et l’Ouest », a-t-il ajouté. « Les cinq dernières années n’ont pas été très bonnes pour notre sécurité et je pense que nous devrons trouver des solutions globales, car il y a de plus en plus de pays dans le monde qui développent ce genre de missiles », a pour sa part commenté son homologue letton Edgar Rinkevics.

Des dissonances sont toutefois perceptibles entre les Européens dans l’analyse des responsabilités. La ministre des Affaires étrangères autrichienne Karin Kneissl s’est refusée à blâmer la Russie. « Les faits qui ont conduit à cela sont un peu plus compliqués », a-t-elle soutenu. Mme Kneissl est très proche du président russe Vladimir Poutine, venu en Autriche pour son mariage.

En août dernier, près de Graz, Karin Kneissl, la ministre autrichienne des Affaires étrangères, s'est montrée fière de danser avec le président russe.
En août dernier, près de Graz, Karin Kneissl, la ministre autrichienne des Affaires étrangères, s’est montrée fière de danser avec le président russe.© Druzhinin Alexei/belgaimage

Les Russes font comme toujours

Les Russes semblent eux aussi s’inspirer de l’ancien scénario. Ils nient, font rebondir la balle et menacent. Comme toujours. Les Américains reprochent à la Russie d’avoir mis au point un système de missiles 9M729 contrevenant au traité. Moscou, qui argue que ce dernier a une portée maximale de « 480 km » et respecte donc l’accord, a une nouvelle fois mis en garde vendredi Washington contre un retrait « extrêmement irresponsable » du traité et les conséquences sur d’autres accords stratégiques. Selon eux, les Américains eux-mêmes violent le Traité FNI avec des systèmes de défense antimissile en Roumanie et en Pologne qui, selon Moscou, sont défensifs, mais peuvent aussi être déployés de manière offensive.

« Ce qui se passe après est la grande question », a affirmé Sergueï Riabkov, le vice-ministre des Affaires étrangères russe, qui a évoqué le traité START de réduction des armes stratégiques. « Il peut simplement expirer le 5 février 2021 sans être prolongé », a-t-il mis en garde. Si de nouvelles fusées américaines sont introduites, M. Poutine a toutefois dit qu’il « rétablira l’équilibre ».

Retrait du traité de désarmement nucléaire: doit-on craindre une deuxième guerre froide ?
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Les deux parties en présence semblent donc se ruer en choeur vers une nouvelle course aux armements. La seule chose qui manque jusqu’à présent par rapport au jeu de rôle des années 1980, c’est un public réceptif. L’ambiance n’est plus vraiment à la psychose autour d’une apocalypse nucléaire. Le réchauffement climatique inquiète aujourd’hui davantage.

Cela n’empêche pas que la sortie de ce traité n’est pas forcément de bon augure. Le traité était une sécurité. Et celle-ci saute alors que Trump vocifère qu’il ne permettra :  » jamais à un autre pays d’être une puissance nucléaire plus forte » et que Poutine se vante de ses fabuleux nouveaux missiles nucléaires. De vieux réflexes avec une nouvelle vigueur : une combinaison potentiellement explosive.

« Une nouvelle prolifération nucléaire est notre grand souci », affirme Didier Reynders

Le ministre des Affaires étrangères Didier Reynders a mis en garde contre une nouvelle course à l’armement nucléaire si les Etats-Unis se retirent du traité sur les missiles nucléaires à portée intermédiaire (INF) avec la Russie, comme ils l’ont annoncé. « Naturellement, une nouvelle prolifération nucléaire est notre grand souci », a affirmé Didier Reynders, présent à Bucarest (Roumanie) dans le cadre d’une réunion des ministres des Affaires étrangères de l’Union européenne.

« Une nouvelle prolifération nucléaire constituerait une menace pour toute l’Europe, pas seulement pour l’Union européenne », a déclaré ce vendredi Didier Reynders selon qui, par ailleurs, un cadre multilatéral est nécessaire pour lutter efficacement contre la prolifération nucléaire. L’affaire sera évoquée dans le cadre de l’Otan et lors d’une visite à Washington les 21 et 22 février prochains, a encore promis le ministre des Affaires étrangères. Selon ce dernier, il faut également poursuivre les discussions avec la Russie. « Il est peut-être temps que l’Union européenne joue un rôle de premier plan dans les discussions sur la non-prolifération avec la Russie », a-t-il conclu.

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