Bertrand Vandeloise

Rencontre avec Razam, jeune réfugiée qui rêve de rentrer en Syrie

Bertrand Vandeloise Photojournaliste

Ces dernières années, à travers mon métier j’ai eu la chance de faire des rencontres bouleversantes. C’est peut-être la raison pour laquelle je suis aussi virulent et révolté face au rejet des migrants dans nos sociétés.

Je vous ai parfois parlé des amis de Calais, des amis de VSP, de Baker le jeune syrien que j’ai rencontré dans le camp de réfugiés de Za’atari. Voici en quelques lignes ma rencontre avec Razam, une jeune fille incroyable que le destin (ou le ciel) a mise sur ma route.

« Aujourd’hui il fait magnifique et Amman est tellement photogénique que je ne résiste pas longtemps à l’envie de m’aventurer, appareil photo au coup, dans ses mille et une ruelles. Pendant quelques heures je marche vers l’inconnu, en suivant la lumière et les senteurs comme j’aime le faire. Puis j’aperçois la citadelle, elle surplombe la ville et est perchée sur l’un des 7 sommets de la capitale jordanienne, j’y vais!

La citadelle Jabal al-Qual’a est magnifique, l’un des sites habités les plus anciens au monde. Je croise quelques Irakiens qui me demandent pour prendre la pause à côté de moi, je suis l’attraction sans le vouloir mais ça me fait rire. Après une heure de balade, j’aperçois une famille, une maman et quatre enfants, ils sont en train d’installer une nappe et s’apprêtent à pique-niquer.

Je m’arrête à quelques mètres et m’assieds sur un banc pour contempler l’horizon, la vue est imprenable sur plusieurs kilomètres.

Tout à coup, une petite voix me fait sursauter, je me retourne, la maman me tend un petit gâteau et sans un mot elle me fait signe de venir les rejoindre. Je suis un peu gêné par sa bonté, surtout que je n’ai rien sur moi pour leur offrir, mais elle insiste et je n’ai pas vraiment le choix.

C’est ici que je rencontre Razam, l’ainée des enfants de la famille, une superbe jeune fille de 16 ans qui parle un peu anglais et porte énormément de gestes attentionnés à ses frères et soeurs. Je sens qu’elle à envie de discuter avec moi, elle me pose plusieurs questions sur l’Europe et traduit les réponses à sa famille.

Sa maman n’arrête pas de m’offrir des sortes de mini pizzas délicieuses, les plus grandes et les plus belles de son plateau sont pour moi. Je les sens dans le besoin et n’ai pas envie de les priver, j’essaye subtilement de lui dire que j’ai déjà mangé et que je préfère qu’elles les gardent pour sa famille, mais elle ne m’écoute pas, prend ma main et la remplit dès qu’elle se vide.

Razam me demande si nous pouvons marcher ensemble, j’accepte évidemment et nous partons nous balader le long de la citadelle. C’est alors que commence une conversation bouleversante, cette jeune fille de 16 ans m’explique sa vie et se lâche comme si j’étais son plus grand confident et comme si elle avait attendu ce moment depuis des mois.

Razam vient de Homs, une ville syrienne assiégée par l’armée de Bachar El Assad et détruite à 90%, elle m’explique qu’il n’y a plus d’écoles, plus d’hôpitaux, plus de maisons, que tout est écroulé.

Avec sa famille ils ont été obligés de fuir pour sauver leur vie et de fil en aiguille sont arrivés à Amman il y a environ un an. Ici, son père et son petit frère travaillent pour des Jordaniens afin de payer le loyer d’un petit deux-pièces dans la banlieue de Amman ou ils vivent à 7.

Depuis 2 mois, elle a la chance de pouvoir retourner à l’école en Jordanie mais malgré l’attente et l’envie, elle n’arrive pas à s’y sentir bien car elle a l’impression de ne pas y être à sa place.

C’est une adolescente touchante, du haut de ses 16 ans elle a la tristesse et la lourdeur d’une guerre dans les yeux, pourtant elle me parle avec un sourire aux lèvres, celui que tu te forces à avoir même quand le coeur n’y est pas, juste car il faut rester digne face à l’adversité. Le sourire de ceux pour qui la vie est un combat permanent, le sourire de ceux qui n’ont pas la chance mais qui gardent l’espoir, solide et fière comme un arbre même quand les feuilles s’envolent dans la tempête.

Razam me raconte sa vie avec ses 5 amies de Homs, elle craque et commence à pleurer à gros sanglots et ne cesse de s’excuser. Elle avait un groupe de 6 amies, elles étaient inséparables, ensemble depuis la maternelle, habitant dans le même quartier et unies comme des soeurs.

J’essaye tant bien que mal de lui expliquer qu’ici aussi elle se fera des amis et qu’elle va s’habituer à sa nouvelle école, la vie ne peut que lui offrir une meilleure facette, elle me dit oui mais je vois qu’elle n’y croit pas.

Razam est une réfugiée, mais elle ne veut pas venir en Europe pour la simple raison qu’elle n’a qu’un seul désir : retrouver sa vie en Syrie.

Elle me demande de l’excuser pour ses pleurs, je la sens confuse et j’essaye de changer de conversation, lui explique un peu la vie en Europe, je réussis à la faire rire mais les larmes coulent toujours…

En Syrie c’était une jeune femme heureuse, mais aujourd’hui elle a compris qu’elle ne retrouverait jamais sa vie d’avant et c’est ce qui est le plus douloureux me dit-elle.

Avant de nous quitter, elle me demande de faire une photo de ses frères et soeurs (ci-joint), nous échangeons nos numéros, elle utilise whatsapp et nous nous promettons de nous donner des nouvelles. »

Pendant plusieurs mois, j’échange avec Razam, nous nous écrivons une fois par semaine. Un jour, elle m’annonce que sa famille à décidé de rentrer en Syrie. Depuis je n’ai presque plus reçu de nouvelles de Razam, les derniers messages étaient en arabe accompagnés d’images. Une amie m’a dit qu’il s’agissait de bénédictions qui m’étaient destinées…

Razam est une réfugiée, mais elle ne veut pas venir en Europe pour la simple raison qu’elle n’a qu’un seul désir : retrouver sa vie en Syrie. La plupart des réfugiés ne pensent d’ailleurs qu’à retrouver leur vie, ils sont des millions le long de la frontière syrienne, en Jordanie, au Liban et en Turquie.

Seule une infime partie des réfugiés arrivent jusqu’à nos portes et pendant ce temps, nous nous disputons pour savoir qui devra leur offrir une place et deux tranches de pain dans un centre sans chaleur… La grandeur d’un peuple n’est-elle pas jugée à la façon dont les plus faibles sont traités ?

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