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RDC: après trois reports, enfin le vote

Le Vif

Après deux ans de retard et trois reports, les élections ont enfin commencé dimanche en République démocratique du Congo pour désigner le successeur du président Joseph Kabila. Les témoignages se multipliaient pourtant ce dimanche pour énumérer les lacunes de l’organisation des élections.

Pannes des « machines à voter » (MaV), fermeture de bureaux de vote, tentatives de fraudes, d’intimidation ou de corruption, difficultés d’accès des témoins…, les témoignages se multipliaient dimanche matin sur les réseaux sociaux et dans les médias locaux pour énumérer les lacunes de l’organisation des élections présidentielle, législatives et provinciales en République démocratique du Congo (RDC).

A de nombreux endroits, les électeurs n’ont pas retrouvé leur nom sur les listes électorales en principe affichées devant les bureaux de vote – qu’ils n’ont souvent découvert qu’en dernière minute en raison de la fermeture de milliers d’entre eux par la Commission électorale nationale indépendante (Céni), selon de multiples témoignages.

Des files d’attente grossissaient au fil de la journée dans les bureaux de vote dimanche en République démocratique du Congo, où se tiennent des élections historiques, entre espoir de changement, peur de nouvelles violences, retards et problèmes techniques.

« Je sens comme une libération. Je me sens libéré, dégagé », a déclaré à l’AFP Victor Balibwa, fonctionnaire de 53 ans, un des premiers électeurs à déposer son bulletin de vote à Lubumbashi à l’ouverture des bureaux à 06H00 (04H00 GMT).

Trois fois reportées, ces élections générales à un tour doivent désigner le successeur du président Joseph Kabila, au pouvoir depuis l’assassinat de son père en janvier 2001.

C’est la première fois que le Congo peut rêver d’une transmission pacifique du pouvoir d’un président à l’autre depuis l’indépendance en 1960.

Le président sortant a voté à Kinshasa avec son « dauphin » désigné, son ex-ministre de l’Intérieur Emmanuel Ramazani Shadary.

Ils ont été suivis une heure plus tard par l’un des deux principaux candidats de l’opposition, Martin Fayulu.

« C’est un grand jour pour moi, c’est un grand jour pour le Congo parce que c’est la fin de la dictature, c’est la fin de l’arbitraire, c’est la fin (…) de 18 du système Joseph Kabila », a déclaré M. Fayulu.

L’autre principal candidat de l’opposition, Félix Tshisekedi, doit voter vers 14H00 (13H00) dans un quartier populaire de la capitale.

Aucun incident majeur n’a été relevé jusqu’à présent dans cet immense pays à l’histoire agitée, où le vote a été reporté dans deux régions, officiellement pour cause de violences (Beni-Butembo dans l’Est et Yumbi dans l’Ouest).

A Beni, des jeunes ont d’ailleurs organisé un vote fictif pour protester. « La ville de Beni est dans la République démocratique du Congo. On ne peut pas nous priver (du droit de vote », a revendiqué un jeune, Manix.

De nombreux retards ont été enregistrés dans les centres de vote où les électeurs passent du temps à chercher leur nom et leur bureau sur les listes électorales.

Objet de toutes les polémiques depuis plus d’un an, la « machine à voter » a connu des couacs au jour J des élections.

« Il y a cinq à six bureaux où les machines ne fonctionnent pas » a témoigné à la presse à Lubumbashi un « témoin » (observateur d’un candidat). « Il faut attendre le technicien ».

Dans un bureau à Kinshasa, l’écran tactile s’est enrayé au deuxième bulletin de vote, a constaté une journaliste de l’AFP.

Le vote « avec la machine est très compliqué. J’ai appuyé sans trop savoir pour qui. Je n’ai pas vu le numéro ni le visage de mon candidat », regrette une dame d’un âge avancé en sortant de l’isoloir qui protège le secret du vote.

Les électeurs qui ont pu voter ne cachait par leur enthousiasme et leur soif d’autres horizons.

« Parce que le Congo a trop souffert nous méritons le changement », lance à Goma Patrice Nzanzu, technicien.

« Ça m’excite de voter, de pouvoir enfin choisir. C’est mon premier vote! » s’exclame Rachel, 18 ans, étudiante à Goma, dans ce pays où la majorité des 80 millions d’habitants ont moins de 25 ans.

Au total, les 40 millions d’électeurs inscrits ont le choix entre 21 candidats – dont la plupart n’ont même pas fait campagne.

Le président Kabila a renoncé à briguer par la force un troisième mandat interdit par la Constitution.

Sa décision est intervenue avec du retard, puisque les élections ont été reportées trois fois depuis la fin de son second mandat il y a deux ans, en décembre 2016.

Les 40 millions d’électeurs enregistrés peuvent voter jusqu’à 17H00 (15H00 GMT dans l’Est et 16H00 GMT à Kinshasa). Les résultats provisoires seront annoncés le 6 janvier, avant d’inévitables contentieux devant la Cour constitutionnelle.

Des bureaux ont ouvert avec retard à Goma et ailleurs, ont constaté des équipes de l’AFP. Les problèmes sont souvent dus aux « machines à voter »: derniers réglages, introduction du mot de passe, public peu habitué…

La « machine à voter » est un écran tactile qui permet à l’électeur d’imprimer son bulletin de vote et de le glisser dans l’urne. L’opposition dénonce une « machine à tricher ».

Au total, 21 candidats – dont la plupart n’ont même pas fait campagne – se présentent à ce scrutin à un seul tour, dont l’enjeu est historique: désigner le successeur d’un président sortant pour une première transmission pacifique du pouvoir.

Kabila et son dauphin ont voté à Kinshasa

Le président congolais sortant Joseph Kabila a voté dimanche matin dans le même bureau et en même temps que son « dauphin » et ex-ministre de l’Intérieur Emmanuel Ramazani Shadary, sous sanctions de l’Union européenne, a constaté une équipe de l’AFP. Le président Kabila et le candidat du Front commun pour le Congo (FCC, coalition du pouvoir) étaient parmi les rares électeurs présents au centre de vote de l’Athénée, dans le quartier de la Gombe à Kinshasa, où n’y avait pas une forte affluence dans les 14 bureaux de vote, a-t-on aussi constaté.

En votant avec sa femme et sa fille, le président Kabila a croisé le porte-parole et secrétaire général de la puissante conférence épiscopale (Cenco) qui entend déployer 40.000 électeurs dans tout le pays pour superviser les opérations de vote à haut risque.

« Vous ne devriez pas publier les résultats. C’est à la Céni (Commission électorale nationale indépendante) de les publier », a lancé sur le ton de la plaisanterie le président Kabila à l’abbé Donatien Nsholé. C’est exactement le message que le chef de l’Etat avait délivré très sérieusement la veille au soir dans ses voeux télévisés: la Constitution « ne confère la compétence d’organiser les scrutins et d’en publier les résultats qu’à la Commission électorale nationale indépendante (Céni) elle seule et, in fine, à la Cour constitutionnelle ».

Le contrôle du dépouillement, de l’établissement et de la répartition des procès-verbaux et surtout de la « compilation » des résultats dans chaque province puis au niveau national, sera un enjeu crucial jusqu’à la proclamation des résultats provisoires prévue le 6 janvier.

Le « dauphin » Emmanuel Ramazani Shadary a voté quelques minutes après le président et sa famille. L’un des deux principaux candidats de l’opposition, Martin Fayulu, est attendu dans ce même centre de vote qui comprend 14 bureaux avec plusieurs centaines d’inscrits dans chacun d’entre eux.

Un journaliste de l’AFP inscrit dans ce bureau n’a pas retrouvé son nom sur la liste des électeurs affichée à l’entrée. C’est un des problèmes récurrents dans de nombreux bureaux à travers le pays trois heures après le début des opérations de vote dans l’Est.

« Si nous qui sommes intellectuels nous n’arrivons pas à trouver nos noms, que dire des vieilles mamans qui ne savent ni lire ni écrire » s’énerve l’avocat Christian Mpanya à Tshikapa (Kasaï, centre).

– Trois favoris –

Le président Kabila a renoncé à briguer par la force un troisième mandat interdit par la Constitution. Sa décision est intervenue avec du retard, puisque les élections ont été reportées trois fois depuis la fin de son second mandat il y a deux ans en décembre 2016.

A Kinshasa, le candidat de la majorité et « dauphin » du président Kabila, l’ex-ministre de l’Intérieur Emmanuel Ramazani Shadary, devait voter dès l’ouverture des bureaux dans le quartier huppé de la Gombe.

Il sera suivi par un des deux principaux candidats de l’opposition, Martin Fayulu, qui voulait accomplir son devoir électoral avant d’aller à la messe. L’autre grand candidat de l’opposition, Félix Tshisekedi, devait voter plus tard dans la journée.

Les 40 millions d’électeurs enregistrés peuvent voter jusqu’à 17h00 (15h00 GMT dans l’Est et 16h00 GMT à Kinshasa). Les résultats provisoires seront annoncés le 6 janvier, avant d’inévitables contentieux devant la Cour constitutionnelle.

Martin Fayulu
Martin Fayulu© AFP/John Wessels

Des sondages donnent le « dauphin » perdant et prédisent la victoire de M. Fayulu.

Des élections législatives et provinciales ont lieu en même temps que la présidentielle.

Pour ces élections, Kinshasa a refusé toute aide logistique des Nations unies, présentes depuis 20 ans au Congo, de même que toute mission d’observation occidentale.

Quant au représentant de l’UE en RDC, il a pris l’avion pour Bruxelles samedi soir, après avoir été sommé de quitter le pays jeudi par les autorités.

Pour le jour du vote, le pouvoir a annoncé la fermeture de ses frontières terrestres, lacustres et fluviales avec ses neuf voisins, de Brazzaville à l’Angola en passant par le Rwanda.

En revanche, Internet n’était pas coupé dimanche matin, contrairement à ce qui se passe lors des journées de fortes tensions.

La campagne a été rattrapée par la violence, avec une dizaine de morts selon une association de défense des droits de l’homme, ce que nie le pouvoir.

Samedi soir, les deux candidats de l’opposition ont refusé de signer un document destiné à prévenir les violences post-électorales, en claquant la porte d’une médiation conduite par des observateurs africains.

La RDC reste un des pays les plus instables du continent, avec des centaines de groupes armés encore actifs dans l’Est.

Leurs exactions menacent les civils, à commencer par les femmes violées et soignées dans la clinique du gynécologue Denis Mukwege, prix Nobel de la paix 2018.

Des centaines de milliers de réfugiés et de déplacés internes ne pourront pas voter après avoir fui les conflits civils au Kasaï (centre), Tanganyika, Ituri… Les ONG affirment nourrir des millions de Congolais.

Depuis des mois, la capitale de toutes les douleurs se trouve à Beni, dans le Nord-Kivu, victime des massacres de civils attribués aux milices des ADF et d’une épidémie d’Ebola.

Les élections ont d’ailleurs été reportées à Beni et dans la ville voisine de Butembo, de même qu’à Yumbi (ouest) théâtre de très récentes violences communautaires. Bilan: plus de 1,2 million d’électeurs en moins sur 40 millions d’inscrits.

L’opposition accuse le pouvoir de mettre à l’écart ses bastions anti-Kabila.

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