Mario Draghi © Reuters

Qui se cache derrière le G30 ?

Muriel Lefevre

Mercredi, la médiatrice européenne Emily O’Reilly conseillait poliment, mais fermement, à Draghi de sortir du G30. Pour elle, sa présence au sein d’un organe international relativement opaque de concertation de banquiers insinue le doute dans l’esprit des gens sur l’indépendance de son institution.

Emily O’Reilly a mené une enquête durant douze mois sur la participation de Mario Draghi au Groupe des 30 (G30). Pour la médiatrice européenne, non seulement la participation de Mario Draghi au G30 entache la perception d’indépendance de la BCE, mais elle « mine » aussi « les démarches très positives » que la Banque centrale a entreprises ces dernières années en matière de transparence. Elle souhaite par ailleurs que la BCE élabore un code d’éthique pour la participation des administrateurs dans ce type de discussion avec le secteur financier.

Les déclarations de l’Ombudsman sont d’autant plus remarquables que personne n’y voyait à mal lorsque les prédécesseurs de Draghi siégeaient eux aussi dans ce G30. Il y a cependant une différence notable entre les deux exemples.

Depuis la BCE a considérablement élargi ses pouvoirs. En effet, depuis 2014 et la crise financière, la banque centrale s’occupe non seulement de la politique monétaire, mais elle est également responsable de la supervision des grandes banques européennes. Or plusieurs de ces banques ont un représentant au sein du G30.

« Il est important d’affirmer à l’opinion publique qu’une séparation claire existe entre la BCE en tant qu’autorité de surveillance et le secteur financier qui est influencé par les décisions de la BCE », écrit Emily O’Reilly dans sa recommandation.

Un opaque G30

En réalité, il y a 33 membres dans le G30. On n’y compte que deux femmes.Il regroupe des financiers importants et des universitaires qui cherchent à approfondir la compréhension des problèmes économiques et financiers et à examiner les conséquences des décisions des secteurs publics et privés relatifs à ces sujets. Le groupe a notamment préconisé des changements dans les procédures de compensation et de règlement/livraison.

Parmi les sommités présentes, on retrouve Axel Weber (président de la banque suisse UBS et président du lobby des banques internationales Institute of International Finance), Mark Carney (gouverneur de la Banque d’Angleterre) et l’économiste américain Paul Krugman. Le Group of Thirty a été fondé en 1978 à l’initiative de la fondation Rockefeller qui a également fourni les premiers fonds. Le groupe tient deux réunions chaque année et organise des séminaires, des symposiums et des groupes de travail.

Ce club de « discussion », n’est cependant pas une rareté dans le monde des banquiers centraux où on se réunit plus souvent que certaines familles dit de Volkskrant. Ces acteurs se retrouvent régulièrement pour dîner dans des villes comme Francfort ou Bâle, ville où siège la Banque des règlements internationaux, aussi appelée la « banque centrale des banques centrales ». Ils se réunissent également en marge des sommets annuels au FMI à Washington, à Jackson Hole où a lieu chaque année un rassemblement des dirigeants économiques mondiaux ou encore à Davos. Ce type d’occasions offre aux banquiers centraux la possibilité d’échanger librement des idées, sans que leurs paroles ne bouleversent directement les marchés financiers.

Le G30 ressemblerait lui pourtant davantage à un groupe de pression qu’à une table de conversation, selon Olivier Hoedeman, spécialiste des lobbys. « Par exemple, le G30 publie des rapports avec des recommandations en ce qui concerne la régulation financière. Les conclusions s’inscrivent alors remarquablement bien dans la veine des grandes banques, qui bien sûr sont aussi membres de ce club de discussion. »

Déjà en 2012, le président Draghi était sous le feu des critiques en raison de son appartenance au forum du G30 suspecté de lobbying auprès des banques. L’Observatoire de l’Europe industrielle (Corporate Europe Observatory, CEO), qui suit le lobbying ayant pour cible l’Union européenne, estimait alors que « Le G30 présente toutes les caractéristiques d’un véhicule de lobbying pour les grandes banques internationales privées et le président de la Banque centrale européenne ne devrait pas pouvoir en être membre (…) ». Cinq ans plus tard, Draghi est toujours officiellement membre du groupe.

Notons aussi que l’Italien avait déjà été critiqué sur son parcours et son passage chez Goldman Sachs entre 2002 et 2005, à une époque où la banque américaine aidait la Grèce à maquiller ses comptes.

Mario Draghi ne doit toute fois pas s’inquiéter outre mesure puisqu’il peut continuer à participer à certaines réunions du G30, à condition que leur agenda et un résumé de ces rencontres soient rendus publics, souligne la médiatrice.

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