Avec son allure de gendre idéal, Albert Rivera (38 ans) apparaît comme un homme neuf. © J. MEDINA/REUTERS

Qui est Albert Rivera, le nouveau « favori des sondages » en Espagne ?

Le Vif

Le leader de Ciudadanos, le parti espagnol de centre- droit, dépasse désormais le Premier ministre, Mariano Rajoy, dans les sondages. Pour combien de temps ?

Albert Rivera aime se comparer à Emmanuel Macron, Justin Trudeau ou Matteo Renzi. A 38 ans, c’est le plus jeune des quatre et aussi, sans doute, l’un des plus pressés : fort de la récente percée de son parti dans les sondages, le dirigeant de Ciudadanos (Citoyens) commence déjà à se projeter au sommet de l’Etat, à l’instar des jeunes dirigeants français et canadien ou de l’ancien Premier ministre italien, qui ont renvoyé adversaires et prédécesseurs à une retraite prématurée. A un an des prochaines échéances locales et européennes, en mai 2019, sa formation au logo orange, arrivée quatrième lors des législatives de juin 2016, devance désormais le Parti populaire (PP), au pouvoir en Espagne depuis 2011.

L’ancien champion de natation de Catalogne, aux airs de gendre idéal, est aussi le premier ministrable préféré des Espagnols, surpassant de 10 points le chef du gouvernement au profil terne, Mariano Rajoy. La lune de miel durera-t-elle jusqu’aux élections ?  » Tout le monde se pose la question « , explique le politologue Jorge Galindo, l’un des fondateurs du site d’experts Politikon.es. En 2015, les sondages s’étaient trompés sur les chances de Ciudadanos à l’occasion des législatives ; crédité de 20 % des voix à la veille du scrutin, le parti n’avait recueilli que 13,9 % des suffrages, loin derrière le PP, les socialistes du PSOE et le parti de la gauche radicale Podemos.

Le parti a rompu, il y a un an, ses liens originels avec la social-démocratie

Fils d’une Andalouse et d’un Catalan de souche, né à Barcelone, Albert Rivera doit beaucoup à sa terre natale, car le  » référendum  » et la proclamation d’indépendance avortée des partis séparatistes, en octobre dernier, ont provoqué un imbroglio politico-judiciaire. Dans la région déboussolée, la crise a permis au mouvement Ciudadanos de se poser en défenseur de l’hispanité, aux dépens du Parti populaire, à droite, et de Podemos, le grand rival de gauche : Albert Rivera et Inès Arrimadas, tête de liste pour la région, ont très tôt plaidé pour l’application de l’article 155 de la Constitution, prévoyant la reprise en main de la Catalogne par Madrid.

Cette ligne dure a permis au mouvement d’engranger son premier vrai succès électoral, arrivant en tête lors des élections convoquées le 21 décembre, après la mise sous tutelle de la région. Pour autant, avec 25 % des voix, le score de Ciudadanos était insuffisant pour lui permettre de bâtir une majorité. Avant ce scrutin, la bonne image d’Albert Rivera, surtout auprès des classes moyennes et des jeunes, n’avait guère rejailli sur son parti ; Ciudadanos s’est donc contenté de jouer les forces d’appoint auprès du PP, à Madrid et dans trois autres communautés autonomes, ou du PSOE en Andalousie.

Passé par l’Esade, une école de management réputée, Albert Rivera a fait une très brève carrière dans la banque, avant de se lancer, à 26 ans, dans la politique. Aujourd’hui encore, son jeune âge lui permet d’apparaître comme un homme neuf.  » Or, ce n’est pas tout à fait le cas, observe Juan Rodriguez-Teruel, professeur de sciences politiques à l’université de Valence. Car il est à la tête de son parti depuis l’origine, soit près de douze ans, deux ans de moins seulement que Mariano Rajoy à la tête du sien.  »

Emmenée par Inés Arrimadas, la liste Ciudadanos a fini en tête des élections au parlement de Catalogne, en décembre dernier, avec 25 % des voix.
Emmenée par Inés Arrimadas, la liste Ciudadanos a fini en tête des élections au parlement de Catalogne, en décembre dernier, avec 25 % des voix.© E. GAILLARD/REUTERS

Né en 2006 du rejet du catalanisme, après la formation d’un gouvernement régional de coalition entre le PSOE et la gauche républicaine catalane, Ciudadanos cultive volontiers un certain flou idéologique afin de séduire à droite comme à gauche. A l’appel de son chef, le parti a rompu, il y a un an, ses liens originels avec la social-démocratie au profit d’un  » libéralisme progressiste « . Son succès croissant, à l’échelle nationale, s’explique aussi par le rejet des partis traditionnels, de droite comme de gauche, éclaboussés par une longue série de scandales liés à la corruption.

En matière économique, Ciudadanos réclame la baisse des impôts sur le revenu et la hausse de la TVA. Sur les questions de société, le mouvement s’affirme libéral : en juin 2017, il déposait une proposition de loi sur la gestation pour autrui. Qu’en sera-t-il demain ?  » Ciudadanos estime avoir plus d’opportunité de croissance à droite qu’à gauche « , observe Pablo Simon, professeur à l’université Charles-III de Madrid. Les sondages le confirment : parmi les électeurs ayant voté pour le PP en 2016,un sur cinq se dit prêt à voter pour le parti d’Albert Rivera, selon une récente enquête de Metroscopia. Seuls 12 % des électeurs du PSOE en disent autant.  » Ciudadanos pourrait se faire plus discret, à l’avenir, sur les sujets susceptibles de braquer les électeurs de droite « , ajoute Pablo Simon. Cela explique-t-il son durcissement sur les questions sécuritaires ? La formation est récemment revenue sur son opposition au rétablissement de la peine de prison à perpétuité, en débat depuis plusieurs mois, après plusieurs faits divers qui ont ému l’opinion.

Un défi supplémentaire attend Ciudadanos. Pour gagner en crédibilité et en efficacité, le mouvement doit abandonner son fonctionnement pyramidal et étendre son implantation territoriale. Dans un pays vieillissant, où le système électoral favorise les campagnes, acquises au PP, le leader de Ciudadanos devra l’emporter au-delà de ses bastions de Madrid et de la Catalogne.  » A la différence d’Emmanuel Macron, il ne pourra rebondir sur la dynamique de la présidentielle pour ensuite présenter des candidats plus ou moins improvisés aux législatives, constate Pablo Simon. Le système parlementaire espagnol ne le permet pas. Et il ne pourra pas profiter du rejet de l’extrême droite pour convaincre les indécis.  » Pour Albert Rivera, ancien champion national de débat universitaire, les prochains mois s’annoncent décisifs.  » La crise catalane a été sa chance, souligne Jorge Galindo. Son apaisement pourrait faire retomber le soufflé Ciudadanos.  »

Par Catherine Gouëset.

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