Peter-Jürgen Boock © Jesco Denzel

Quarante ans plus tard, un terroriste de la Bande à Baader s’exprime: « Être un assassin, c’est minable »

Le Vif

Il y a quarante ans, le terrorisme frappait l’Allemagne de l’Ouest. L’assassinat du représentant du patronat allemand, Hanns Martin Schleyer, par la Rote Armee Fraktion le 5 septembre 1977 marque le début sanglant de l’automne allemand. Peter-Jürgen Boock y était et revient sur ce qui s’est passé dans l’hebdomadaire allemand Der Spiegel.

L’automne allemand agite toujours le pays. Beaucoup d’actes de la RAF ont été tirés au clair, mais de nombreuses questions demeurent sans réponse. Jusqu’à présent, aucun ancien membre de la RAF n’a parlé de l’enlèvement de Hanns Martin Schleyer, à l’exception de Peter-Jürgen Boock. En 1988, ses anciens camarades le qualifiaient de menteur. Selon eux, il aurait tu son addiction à la drogue et il aurait trahi plusieurs membres de la RAF. Aujourd’hui, il livre sa vérité au Spiegel.

Deuxième génération

Peter-Jürgen Boock naît en 1951. Il est le fils d’un ancien soldat de la Wehrmacht. À quinze ans, il abandonne l’école pour aller vivre dans une communauté avant que ses parents ne le placent dans une maison de redressement. Peu après, il rencontre Andreas Baader et Gudrun Ensslin qui mènent campagne contre l’éducation très dure dispensée dans les institutions. Après l’arrestation de ses mentors en juin 1972, il fonde la deuxième génération de la RAF avec une dizaine de partisans. Leur objectif principal : libérer les fondateurs du mouvement terroriste de la prison de Stammheim.

La RAF exige la libération de ses onze membres emprisonnés, dont Andreas Baader et Gudrun Ensslin, cofondateurs du groupe terroriste en 1970 dans le but de déclencher une révolution mondiale anti-impérialiste. Pour appuyer l’exigence de la RAF, le 13 octobre 1977, un commando palestinien détourne un avion de la Lufthansa reliant Majorque à Francfort. Cinq jours plus tard, une unité anti-terroriste allemande attaque le commando à Mogadishu en Somalie. Elle tue trois Palestiniens et libère les 86 otages. Le même jour, Baader et Ensslin sont retrouvés morts dans la prison de Stammheim. Un jour plus tard, le cadavre de Schleyer est retrouvé dans le coffre d’une voiture à Mulhouse en France.

« C’était la nuit du 4 au 5 septembre 1977. Tous les membres de la RAF impliqués dans l’enlèvement de Hanns Martin Schleyer s’étaient retrouvés à Cologne. Pour autant que je me rappelle, il y avait en plus de moi, Rolf Heißler, Sieglinde Hofmann, Willy-Peter Stoll, Rolf Clemens Wagner et Stefan Wisniewski. Nous étions dans un petit appartement au sixième étage. Hormis quelques matelas et une radio, la maison était tout à fait vide. Au milieu, il y avait une grande feuille de papier sur laquelle se trouvait une assiette qui faisait office de cendrier. Nous discutions d’un message secret que nous avions reçu de Gudrun Ensslin, qui était enfermée à la prison de Stammheim », raconte-t-il.

C’est son dernier message, car six semaines plus tard, elle est retrouvée morte dans la cellule. Boock explique ce qu’il contenait : « Il disait que nous devions agir si nous voulions encore nous appeler RAF. Sinon, elle prendrait les rênes elle-même. Aujourd’hui, je considère que c’était du chantage. En outre, nous avions appris que Hanns Martin Schleyer partait en mission à l’étranger, personne ne savait pour combien de temps : il ne nous restait pas beaucoup de temps. Nous connaissions son adresse à la Cologne et la route qu’il prenait pour aller travailler. Nous devions uniquement décider quand et comment nous allions frapper ».

Il revient en détail sur la préparation de l’attentat: « Ce n’est qu’à 2 heures du matin que nous avons atteint un consensus. Il nous fallait quatre tireurs flegmatiques capables de manier une mitrailleuse et dont au moins deux savaient conduire une voiture de fuite. Certains d’entre nous avaient appris à manier une mitrailleuse au Yémen avec nos alliés palestiniens, mais tout le monde n’avait pas terminé l’entraînement. Nous avons dessiné les rues où aurait lieu l’enlèvement sur la grande feuille de papier cuisson. Nous simulions la situation avec des paquets de cigarettes et des boîtes d’allumettes qui devaient représenter les voitures. ‘Ici, il faut garer la voiture bélier, ici le combi Volkswagen. Qui élimine le chauffeur de Schleyer ? Qui les trois gardes du corps ?’ Nous avons répété le scénario sous plusieurs variantes. Nous convenions aussi de signaux : ‘Quand je plie mon journal et que Sieglinde et moi nous partons avec le landau, cela signifie pour Stefan et Willy que les limousines de Schleyer approchaient. »

Continuité criminelle du régime nazi

Interrogé sur la décision d’enlever Schleyer, Boock explique qu’il savait qu’il avait été SS-Untersturmführer à Prague. « À cela s’ajoutait qu’il était président d’une organisation d’employeurs, et donc une sorte de capitaliste suprême. Pour nous Schleyer symbolisait la continuité criminelle du régime nazi dans la République fédérale d’Allemagne.

Après le message convenu, la Mercedes bleue de Schleyer arrive suivie d’une blanche occupée par trois gardes du corps. Après que les voitures aient dépassé Boock et Sieglinde Hofmann, Stefan Wisniewski sort en marche arrière d’une allée. Le conducteur de la Mercedes blanche n’arrive pas à freiner à temps, heurte la voiture de Schleyer et l’encastre dans la voiture bélier. Boock raconte ce qui s’est passé ensuite : « Sieglinde et moi nous trouvions à 20 mètres de la voiture bélier et devions éliminer les trois agents, alors que Stefan Wisniewski et Willy Stoll neutralisaient le chauffeur et empoignaient Schleyer. Mais nous n’avions pas prévu que les agents réagiraient tout de suite et qu’il y aurait une fusillade ».

L’instruction révélera que Peter-Jürgen Boock tire 119 coups de feu. « Dans une situation pareille, on ne compte pas les coups de feu. On tire, tout simplement. Mon barillet n’était pas vide, mais celui de Sieglinde l’était. Elle a changé le sien au milieu de l’opération. Les agents tiraient sur Stefan, qui avait emmené Schleyer. Plus tard, nous avons pensé qu’ils avaient peut-être mission d’abattre Schleyer, pour que nous ne puissions pas l’enlever », déclare-t-il.

Aucune justification morale

Le terroriste admet qu’il n’y a aucune justification morale à ce qu’il a fait. « Mais c’était la position de la RAF, et donc la mienne, que pour la lutte armée contre des ténors de la vie politique et économique il était impossible de tenir compte de leurs gardes du corps. Aucun de nous n’était assez loin pour dire : ‘Arrêtez. C’est contraire à notre objectif pour la vie humaine.’ Pour les RAF, ces agents étaient des adversaires de guerre. Ils tiraient sur nous et nous sur eux. Le meilleur tireur était épargné. »

Après l’enlèvement, les membres du gang conduisent Schleyer dans un appartement où ils le surveillent jour et nuit. Quand la police retrouve leurs traces, ils emmènent leur victime à La Haye et puis à Bruxelles. Quatre semaines après l’enlèvement, Boock fuit à Bagdad. La pression des enquêteurs devient telle que la RAF évacue presque tous les membres dont la présence n’est pas indispensable pour la surveillance de Hanns Martin Schleyer.

Après le suicide d’Andreas Baader et Gudrun Ensslin en prison le 18 octobre 1977, la RAF décide de se venger et de se débarrasser de Schleyer. Le 19 octobre 1977, un membre de la RAF téléphone au DPA, l’agence de presse à Stuttgart et lit le dernier communiqué au sujet de l’enlèvement : « Après 43 jours, nous avons mis fin à la vie pathétique et corrompue de Hanns Martin Schleyer. »

L’automne allemand se termine par une défaite pour la RAF, mais le noyau dur du groupe refuse d’abandonner. Dix membres trouvent refuge en Allemagne de l’Est. Fin 1982, la plupart des autres membres de la RAF sont arrêtés, y compris Peter-Jürgen Boock. Ils écopent tous d’une peine à perpétuité. Pourtant, une troisième génération se forme qui continue à commettre des attentats jusqu’en 1991. Ce n’est qu’en 1998 que le groupe déclare qu’il s’est dissous. En tout, la RAF a tué 33 personnes ; dans ses rangs, 21 membres sont décédés d’une mort violente.

Affiches avec les membres de la RAF recherchés: en bas à droite: Peter-Jürgen Boock
Affiches avec les membres de la RAF recherchés: en bas à droite: Peter-Jürgen Boock© Getty Images

Invité à comparer les actes de la RAF à ceux de l’extrême droite ou de l’État islamique, Boock estime qu’il n’y a aucun rapport. « Nous ne tuions pas au hasard, comme le font les islamistes. Et nous n’avions pas de motifs racistes, comme l’extrême droite ».

‘Tu ne tueras point’

Il admet toutefois qu’aucune idéologie ne justifie le meurtre d’innocents. « Je sens encore toujours cette honte, et parfois haine, de moi. Que j’ai pu être aussi aveuglé et cruel… Quand on tue quelqu’un, on porte ça toute sa vie jusque dans ses rêves. ‘Tu ne tueras point !’ Être un assassin, c’est minable », conclut Boock.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire