© Reuters

Quand les émotions annoncent la victoire de Macron

Christophe Leroy
Christophe Leroy Journaliste au Vif

Votre visage peut aussi prédire une victoire électorale. En décryptant les émotions suscitées par les discours des deux candidats à la présidentielle, une étude confirme l’avantage d’Emmanuel Macron. Elle avait vu juste au premier tour. Explications avec Camille Srour, du groupe français Othello.

Et si le meilleur des sondages se basait sur nos micro-expressions ? Selon les partisans d’une approche discrète des émotions, il en existerait sept, universelles : la joie, la tristesse, la colère, le dégout, la peur, la surprise et le mépris. Du 26 avril au 1er mai, le groupe français Othello, en collaboration avec le Centrum voor lichaamstaal, à Anvers, a analysé les réactions d’un panel de 217 personnes face aux discours d’Emmanuel Macron et de Marine Le Pen, les candidats à l’élection présidentielle française de ce dimanche. « Avantage Macron », annonce Camille Srour, fondateur-dirigeant du groupe Othello. Dont la méthode avait, déjà, permis d’identifier les deux prétendants à la lutte finale.

Comment lit-on les émotions humaines ?

Les émotions activent une combinaison de muscles et de micro-expressions sur nos visages, dont le décryptage peut prendre énormément de temps. Pour qu’un chercheur identifie les muscles impliqués dans une vidéo de dix secondes, il faut compter une vingtaine de minutes. Nous avons donc utilisé des outils beaucoup plus rapides, qui permettent de procéder à une analyse automatique, image par image, pour ensuite déduire l’émotion ressentie par la personne. Les participants de notre panel se sont connectés à une plateforme en activant leur webcam. Ils ont visionné un extrait vidéo de deux minutes des deux candidats, avec des segments comparables, alternant Marine Le Pen et Emmanuel Macron. Nous avons ensuite soumis les images de leur webcam à notre logiciel pour agréger les résultats. Dans ces conditions moyennes d’enregistrement, la précision s’élève à 80% par rapport à un codage manuel, ce qui est déjà excellent.

217 participants, est-ce un panel suffisamment représentatif ?

Dans les sondages habituels, on considère qu’il faut environ 1000 personnes pour obtenir une marge d’erreur de 3%. Notre travail ne visait pas à prédire le score précis d’un candidat, mais plutôt à identifier les grandes tendances sur les avantages de chaque candidat par rapport à leur public ou à des thématiques données. En ce sens, cette démarche va un cran plus loin que les sondages classiques, puisqu’elle permet d’identifier le ressenti des électeurs. Lors du premier tour, on s’est par exemple rendu compte que les gens qui déclaraient voter pour Benoît Hamon réagissaient beaucoup plus à tous les autres candidats. Ce qui nous permet de déduire que le vote Hamon était un vote partisan, de raison, et non un vote de coeur.

Camille Srour
Camille Srour© DR

Quelles sont les conclusions de l’étude pour le second tour ?

Nous avons mesuré trois émotions : la colère, le dégout et la joie. Sur l’ensemble de notre panel, on s’est aperçu qu’Emmanuel Macron suscitait plus d’émotions positives et moins d’émotions négatives que Marine Le Pen. Cette tendance se confirme aussi parmi les indécis, ce qui constitue un signal très important. Pour cette catégorie, nous avons sélectionné deux thématiques chères à chaque candidat : les réformes de l’impôt sur la fortune (ISF) et de l’éducation pour Emmanuel Macron, le retour à une monnaie nationale et la fermeture des frontières pour Marine Le Pen. On se rend compte que la réforme de l’ISF de Macron touche davantage les indécis que la question de l’éducation, ce qui ne va pas forcément de soi. Quant à Marine Le Pen, son argumentaire sur la monnaie nationale génère plus d’émotions positives que la fermeture des frontières, ce qui m’a surpris à titre personnel.

Autre surprise : les émotions des électeurs certains de voter pour Marine Le Pen, qui semblent réagir positivement au discours d’Emmanuel Macron. Une explication ?

C’est en effet une tendance surprenante, que l’on ne retrouve pas chez les électeurs de Macron. A la vue de ces résultats, peut-être que la déception serait plus grande pour l’un des camps que pour l’autre.

Comment s’assurer que les émotions manifestées soient liées au candidat qui s’exprime, et non à un élément de langage de son discours ?

Au premier tour, nous avions opté à la fois pour des extraits neutres, peu clivants, et pour des extraits chers à chaque candidat. On s’est aperçu que les séquences neutres étaient plus efficaces pour identifier ceux qui allaient passer au second tour. Dans ces extraits, les gens ne réagissaient qu’à la vue de la personne, sans même se soucier des propositions. Si un électeur potentiel réagit de manière négative à la simple vue de Marine Le Pen, c’est qu’il n’est vraiment pas près de voter pour elle. Une étude reproduite en 2010, Elu en 100 millisecondes, a démontré que des personnes prédisaient, dans sept à huit cas sur dix, le vrai vainqueur d’une élection, simplement à partir des photos de candidats qu’ils ne connaissent absolument pas. Il faudra encore plusieurs dizaines d’élections pour parfaire nos connaissances et nos prévisions. Mais, progressivement, on entre dans une ère où l’on est en mesure de confirmer que de tels choix sont loin d’être rationnels.

Emmanuel Macron sera donc le grand vainqueur dimanche ?

Il a un avantage.

N.B. : Le groupe Othello a par ailleurs publié, sur son blog, une analyse non-verbale du débat présidentiel de ce 30 mai.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire